Cette femme a élevé ce bébé gorille dont la mère a été tuée

L’essor d’un commerce consacré à la viande de brousse met la vie des bébés gorilles en danger lorsque des adultes sont tués par des braconniers.

De Jani Actman
Nkan Daniel a été trouvé alors qu'il n'était âgé que de deux semaines seulement. Des braconniers avaient tué sa mère à des fins commerciales et plus précisément le commerce de viande de « brousse ».
PHOTOGRAPHIE DE Mike Olcott

Rachel Hogan s’est assise par terre, mâchant une feuille de bananier pendant que Nkan Daniel, un bébé gorille, l’observait. Attendant de voir si le jeune singe imiterait son comportement, elle n’a pas été déçue : quelques secondes plus tard, le petit singe a saisi quelques feuilles et s’est mis à les grignoter.

C’était en 2011, et Hogan était de passage au Cameroun pour une période de trois mois, faisant du bénévolat pour Ape Action Africa, une organisation de sauvetage des primates à but non lucratif. La rencontre avec Nkan Daniel (Nkan signifie « gorille » dans le dialecte local) a changé sa vie, dit-elle. Hogan est restée au Cameroun et est devenue directrice d’Ape Action Africa en 2010.

Le bébé gorille, âgé de deux semaines seulement, avait été trouvé par le gouvernement camerounais dans la propriété d’une femme cherchant à le vendre comme animal de compagnie pour une somme avoisinant les  30 $ (27 €). Des braconniers avaient tué sa mère ainsi que d’autres membres de sa famille à des fins commerciales, le commerce de viande de « brousse » plus précisément. Partout en Afrique, particulièrement au Cameroun et dans les pays limitrophes du Bassin du Congo, la demande de viande d’animaux sauvages – gorilles, singes mais aussi chauves-souris, porcs-épics, et de nombreuses autres espèces – a fortement augmenté.

Lorsque Nkan Daniel est arrivé au refuge d’Ape Action Africa du parc national de Mefou, à 45 minutes en voiture de Yaoundé, la capitale du Cameroun, quelqu’un l’a confié à Hogan. « J'ai collé mon front sur le sien, comme le ferait une femelle gorille, et c’est à ce moment qu’il s’est accroché à moi, » dit-elle.

Dès lors, il l’a suivie partout. Hogan, à la fois terrifiée et prise au dépourvu, a commencé à jouer le rôle d’une femelle gorille. Elle lui a appris à manger et s’occupait de lui lorsqu’il gémissait. La nuit, quand  elle dormait, il se reposait sur sa poitrine. Lorsqu’elle s’habillait ou qu’elle prenait sa douche, il se cramponnait fermement à elle. « J’ai appris à tout faire d’une seule main, » dit-elle en riant. « À cette époque, ma vie tournait autour de lui. »

Aujourd’hui, cependant, Hogan se concentre sur tous les animaux du refuge, un sanctuaire de plus de 1 000 hectares comptant 213 singes, 111 chimpanzés et 23 gorilles, dont certains ont été soignés dans la forêt, et d’autres ont été sauvés du commerce animalier. Ils sont tous devenus orphelins à un jeune âge après que des braconniers ont tué les membres de leur famille pour leur viande.

Ces singes sont mis en vente au marché hebdomadaire du village de Nendumbia, en République démocratique du Congo. Certains considèrent la viande comme un symbole de prestige.
PHOTOGRAPHIE DE Pete Muller, National Geographic Creative

Les villageois ont longtemps capturé et abattu les animaux de la forêt pour leur subsistance. Mais aujourd’hui, cette chasse prend une ampleur bien plus conséquente et connaît une croissance grandissante, facilitée par la construction de routes dans la forêt pour l’exploitation forestière et les activités minières, et alimentée par la demande croissante des marchés urbains, où des clients relativement riches considèrent que les protéines d’origine sauvage sont à la fois un met et un symbole de prestige. Parallèlement, un marché international plus restreint de viandes exotiques se développe en Europe et aux États-Unis. 

Le commerce de la viande de brousse, illégal de manière générale, a engendré des activités commerciales indirectes : les restes des crânes de primates, par exemple, sont expédiés aux États-Unis où ils sont prisés comme des trophées, et en Chine, utilisés dans la médecine traditionnelle. Et les primates orphelins, trop petits pour fournir assez de viande, sont source de profit pour les marchands qui les revendent sur le marché des animaux de compagnie.

Des experts en conservation estiment que chaque année, plus de six millions de tonnes de viande de brousse sont prélevées dans le Bassin du Congo. Au Cameroun, « le problème s’aggrave d’année en année, » explique Denis Mahongol, agent forestier et commercial pour TRAFFIC, une organisation qui supervise le commerce mondial d’animaux sauvages.

Les primates – particulièrement vulnérables à la chasse car contrairement à certains animaux plus petits, ils se reproduisent lentement – subissent le contrecoup du commerce. Le braconnage constitue l’une des plus grandes menaces pour les gorilles de l’Est et de l’Ouest menacés d’extinction, des espèces trouvées dans le Bassin du Congo. À mesure que le nombre de primates diminue, la santé des écosystèmes en pâtit : en effet, les animaux se nourrissent de fruits forestiers et dispersent les graines dans leurs excréments, lors de leurs déplacements.

De nombreux pays africains, dont le Cameroun, interdisent la chasse d’espèces en voie de disparition telles que les grands singes et les pangolins, et un accord des Nations Unies proscrit les ventes transfrontalières de ces animaux et de leurs parties. De plus, les États-Unis, l’Angleterre et d’autres pays interdisent l’importation de viandes exotiques qui pourraient être vectrices de maladies : des liens ont été établis entre la consommation de viande de brousse et les virus Ebola et VIH/sida.

Hogan affirme que les campagnes éducatives ainsi que la répression exercée par les autorités camerounaises ont contribué à la sensibilisation du problème, poussant les activités illicites à entrer dans la clandestinité. « C’est illégal, même Monsieur Tout-le-Monde le sait, » dit-elle.

Mais Mahongol, qui s’emploie à lutter contre la crise de viande de brousse depuis 2008, affirme que la corruption généralisée a freiné les progrès qui ont été réalisés : « Les lois et les législations sont en place, mais leur mise en œuvre sur le terrain est un problème de taille. » Moyennant paiement, certains agents de police détourneront le regard ou délivreront des permis de chasse, explique-t-il.

Pour certains chasseurs et marchands, la perspective de bénéfices conséquents vaut la peine de risquer l’arrestation. D’après le Center for Global Development (Centre de développement mondial), sur l’île de Bioko, située au large de la côte de la Guinée équatoriale où 77 % de la population vit avec moins de 750 $ (685 €) par an, les chasseurs peuvent gagner près de 2 000 $ (1 825 €) par an en vendant de la viande sauvage.

À l’abri des chasseurs dans le refuge, Nkan Daniel – devenu depuis un mâle dominant à dos argenté – est à la tête d’un groupe de 10 gorilles, et tous passeront le reste de leur vie là-bas. Bien qu’il soit devenu le mâle alpha de son groupe familial, Nkan Daniel n’a rien perdu de son affection pour la femme qui l’a élevé. « Il pense que je suis sa mère de 16 ans, » indique Hogan. « C’est l’amour de ma vie. »

Toutefois, elle regrette qu’ils n’aient pas eu la chance de grandir tous ensemble. « J’aurais été plus heureuse de ne pas rencontrer Nkan Daniel ou n’importe lequel de ces animaux ; leur place n’est pas ici, pas avec nous, » explique-t-elle. « Elle est dans la forêt. »

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