David et Goliath : la Bible confrontée à l’archéologie

Berger et héros guerrier, hors-la-loi et souverain modèle… Depuis plusieurs années, archéologues et historiens renouvellent la perception de ce complexe personnage, confrontant la lecture biblique à leurs découvertes.

De Francis Joannès
"David avec la tête de Goliath" a été réalisé par le peintre baroque Caravage réalisé vers 1606-1607 et exposé à la Galerie Borghèse à Rome, en Italie.
PHOTOGRAPHIE DE Wiki Commons

Cet article a initialement paru dans le magazine Histoire et CivilisationsS'abonner

« Dès que le Philistin se fut levé, il marcha et s’approcha à la rencontre de David, et David se hâta, il courut au front de bataille à la rencontre du Philistin. Puis David porta la main à sa sacoche, en tira une pierre et la lança avec sa fronde, il frappa le Philistin au front et la pierre s’enfonça dans son front : il tomba la face contre terre. […] Alors David courut et se tint debout sur le Philistin, il prit son épée et la tira du fourreau, il le mit à mort et avec elle il lui coupa la tête. Les Philistins virent que leur héros était mort et ils s’enfuirent. » Cet épisode, tiré du Livre de Samuel (I, 17, 48-51), est l’un des plus fameux de la Bible. Il a valu à David, un petit berger, le plus jeune des fils de Jessé, une renommée toute particulière : il y apparaît en héros qui renverse le cours de l’Histoire et assure au peuple d’Israël les bienfaits de l’alliance avec Yahvé.

Mais ce n’est là que l’un des aspects du personnage, et la recherche historique et archéologique récente a remis en question bien des certitudes sur l’historicité de David, sur son rôle en tant que roi et sur la place qu’il tient dans le déroulement du récit biblique.

 

UNE FIGURE COMPOSITE 

La diversité des figures de David pose en effet question : selon les épisodes de la Bible, il est tour à tour héros guerrier, chef d’une bande de hors-la-loi, fondateur d’une dynastie et l’un des modèles de la royauté israélienne. C’est aussi un poète et un musicien, et, de manière constante, un homme pieux, attaché indéfectiblement à son dieu Yahvé. Mais c’est également un homme faible, victime de ses passions, un père trahi par ses enfants, qui achève son existence en vieillard quasi sénile. Le personnage de David est donc une construction complexe, au point que l’on a même douté tout simplement de son existence, jusqu’à ce qu’une inscription araméenne découverte en 1993 à Tel Dan fournisse la preuve historique indéniable de son statut de fondateur de dynastie.

L’intérêt que l’on trouve à ce personnage tient en grande partie à cette alliance des contraires. Dès sa mention initiale, David s’insère dans une tradition bien connue au Proche-Orient, celle du jeune héros qu’une série d’épreuves révèle comme un être exceptionnel. C’est le cas, dans le récit biblique lui-même, de Joseph fils de Jacob, de Moïse ou encore du prophète Daniel. C’est aussi vrai, dans la tradition proche-orientale, de personnages moins connus, tels Idrimi (qui devint roi de la ville d’Alalakh, dans la Syrie antique, au cours des premières décennies du 15e siècle av. J.-C., après avoir connu l’exil chez les bédouins du désert), du roi d’Assyrie Assarhaddon, ou de Gilgamesh, roi sumérien mythique de la ville d’Uruk. De fait, lorsqu’il apparaît dans le récit biblique, David est berger, faisant paître le troupeau de son père Jessé.

Deux récits sont entremêlés ici, l’affrontement avec Goliath n’arrivant que dans un second temps. Avant même son coup d’éclat guerrier, David voit son destin tracé quand le prophète Samuel vient l’oindre en secret chez Jessé, à Bethléem, comme futur roi d’Israël. Juste après, David est appelé à la cour de Saül pour jouer, avec sa harpe, une musique apaisante, seule à même de tirer le roi de ses accès de dépression : il devient, du coup, l’un des favoris de celui-ci, et partage son temps entre ses fonctions de harpiste auprès du souverain et de berger chez son père. Pendant ce temps, le tout jeune royaume d’Israël est en conflit avec ses adversaires les plus tenaces et les plus dangereux : les Philistins de la plaine littorale, au sud-ouest de Canaan, qui cherchent à contrôler les hautes terres occupées par les gens d’Israël, au nord, et de Juda, au sud. Installés là depuis les grandes invasions des Peuples de la mer au 12e siècle av. J.-C., ils occupent plus particulièrement cinq cités-États, régulièrement mentionnées dans 
la Bible : Gaza, Ashdod, Eqron, Ashkelon et Gath.

L’affrontement avec Goliath reste l’un des plus célèbres épisodes de ces guerres entre Israël et les Philistins : originaire de la ville de Gath, le Philistin, un géant de 2,80 mètres, vient défier en combat singulier l’armée d’Israël pendant 40 jours, sans qu’aucun adversaire n’ose se présenter. C’est David, laissé à l’écart de la guerre car trop jeune pour combattre, qui se propose, seul, de l’affronter lorsqu’il vient ravitailler ses frères en nourriture.

 

DAVID SERAIT UN HORS-LA-LOI 

Pourtant, tout joue contre lui : non seulement il est rabroué par son frère aîné, mais il ne peut supporter le poids des armes que le roi Saül met à sa disposition, et part affronter Goliath presque à mains nues, avec son seul bâton de berger, sa fronde et cinq pierres plates. Il vient pourtant à bout de son adversaire. Mais s’agissait-il bien de Goliath ? On peut se le demander quand on retrouve, plus tard, un Goliath de la ville de Gath tué par l’un des compagnons de David ! Ce pourrait être la preuve, selon I. Finkelstein, que l’on a composé une sorte de chanson de geste à partir des exploits de la troupe rassemblée par David, après qu’il eut dû fuir la jalousie colérique de Saül.

Ce récit comportait naturellement des variantes, attribuant le même fait d’armes tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Mais il était important pour la compréhension du personnage de David – et du soutien que lui apportait Yahvé – qu’il soit crédité, dès le début de sa carrière, d’une action extraordinaire. Il y a par ailleurs plusieurs effets littéraires à l’œuvre dans le récit biblique de cet épisode de la vie de David : l’attitude de Goliath rappelle des scènes rapportées dans les épopées homériques, où les principaux chefs grecs et troyens se lancent des défis et servent de champion à leur camp. Du côté des gens d’Israël, on côtoie le merveilleux en apprenant que celui qui osera affronter le géant philistin recevra la fille du roi en mariage, des richesses à foison… et qu’il sera exempté de taxes. Mais c’est au nom de Yahvé, et non de Saül, que David combat et triomphe. Enfin, dernier motif propre aux récits épiques, cet épisode est aussi le début d’une amitié indéfectible entre David et le fils de Saül, Jonathan. Conquis par la prestance et la gloire du fier berger, le jeune homme partage tout avec lui, jusqu’à ses vêtements et ses armes. C’est à l’affection de Jonathan que David devra la vie, quand Saül se sera retourné contre lui. Car la faveur royale que son exploit contre Goliath a valu à David ne dure pas, et, s’il conquiert la main d’une fille du roi, il n’obtient pas l’aînée, mais la cadette, Mikal, pour laquelle il doit verser une dot peu courante (le roi lui réclame cent prépuces de Philistins).

Puis David, de héros national, devient un fugitif poursuivi par son roi, vivant de rapines et de coups de main dans les terres désertiques au sud de Juda, avec une bande de 5 à 600 compagnons hors-la-loi. Il s’intègre ainsi dans une autre tradition proche-orientale, celle des exilés politiques ou économiques, exclus des centres habités et qui vivent de brigandage. Ces habiru (en Méso­potamie) ou ’apiru (au Levant) font partie du paysage sociopolitique et sont souvent utilisés comme mercenaires par des roitelets locaux. 

De fait, David n’hésite pas à se mettre au service des Philistins, en particulier du roi Akish de la ville de Gath. La renommée de David comme chef de guerre lui vaut de passer ensuite du statut de meneur de bande à celui de chef coutumier de Juda, installé dans une première capitale, Hébron, puis de se faire reconnaître comme roi sur l’ensemble des tribus confédérées d’Israël et de s’implanter à Jérusalem.

 

SOUVERAIN D'UN ROYAUME UNIFIÉ 

Telle est la trame historique fournie par le récit biblique, selon laquelle David, souverain du royaume unifié Israël-Juda, aurait succédé à Saül et son fils Išba’al, premiers rois d’Israël. Une trame complètement remise en question depuis trois décennies, car on tend à penser aujourd’hui qu’il y aurait eu non pas succession, mais coexistence entre le territoire d’Israël, au nord, plus étendu, plus riche, plus peuplé (40 000 habitants environ), et celui de Juda, au sud, abritant environ 5 000 habitants.

Tantôt rivaux, tantôt alliés contre les Philistins, ces deux ensembles firent l’apprentissage du passage de la tribu à l’État, sur le modèle de la plupart de leurs voisins du Proche-Orient occidental. De manière plus générale, on peut même avancer l’idée d’une structure politique combinant l’organisation tribale propre aux premiers Israélites historiques (vers 1100-1000 av. J.-C.) et les restes très affaiblis des cités-États cananéennes de la seconde moitié du IIe millénaire av. J.-C., comme Jérusalem.

Ainsi, la capitale dont se dota David n’était, à cette époque, qu’une modeste bourgade de quelques centaines d’âmes, dépourvue de fortifications, et elle le resta encore longtemps. Le récit biblique ne peut donc, à lui seul, permettre de saisir la réalité historique du personnage de David. Il faut dégager le texte de ses apprêts idéologiques et littéraires, le confronter aux traces fournies par la recherche archéologique, ainsi qu’aux autres sources historiques proche-orientales. David n’a plus besoin d’avoir triomphé de Goliath pour être reconnu comme le fondateur de la maison royale de Juda, mais cet exploit initial était essentiel pour l’établissement de sa légende. 

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