Cette cité de pierre pourrait être la première ville de l'humanité

Établie il y a plus de 9 000 ans en Turquie, cette cité agricole a vu germer les premiers citadins.

De Cristina Belmonte
Depuis les années 1960, le travail des archéologues sur le site de Çatal Höyük a permis ...
Depuis les années 1960, le travail des archéologues sur le site de Çatal Höyük a permis de révéler de nombreux niveaux d'habitations collées les unes aux autres, habitées par une large communauté vivant à l'Âge de pierre, à l'époque où l'Homme commençait à abandonner son mode de vie nomade.
PHOTOGRAPHIE DE Marion Bull, Alamy, ACI

La plaine de Konya s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres à travers la région de l'Anatolie centrale en Turquie. Il y a presque 60 ans, dans une zone située à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Konya, préfecture de la province du même nom, une équipe d'archéologues débutait son exploration de deux petits tertres. La fourche (çatal en Turc) dessinée par un sentier voisin et les deux tertres (höyük) ont été combinés pour donner au lieu le nom de Çatal Höyük. Aujourd'hui, ce site est considéré par l'UNESCO comme le plus remarquable établissement humain témoin d'une ancienne communauté agricole sédentaire.

Érigée il y a plus de 9 000 ans au bord d'une rivière qui s'est depuis asséchée, Çatal Höyük aurait servi de refuge à une société égalitaire vivant à l'Âge de pierre. Les maisons caractéristiques des membres de cette communauté étaient construites les unes contre les autres, sans porte ni fenêtre, l'unique accès se faisait par le toit de l'habitation. À l'intérieur, les résidents avaient peint sur les murs et disposé des figurines mystérieuses.

Çatal Höyük occupe une partie de la plaine de Konya en Turquie. Son tertre oriental (à droite) fut établi environ 1 500 ans plus tôt que son tertre occidental (à gauche). Une grande partie du site est toujours enfouie sous la plaine.
PHOTOGRAPHIE DE Images & Stories, Alamy, ACI

Ces logements jouaient également un rôle majeur dans les rites funéraires de la communauté qui enterrait ses morts sous les habitations. À son apogée, la ville hébergeait jusqu'à 8 000 personnes qui vivaient de l'agriculture et de l'élevage de bétail.

En plus de mettre en lumière des détails fascinants sur les habitudes de vie d'une ville à l'Âge de pierre, le site témoigne également d'un tournant décisif dans l'histoire de l'Homme, le passage du mode de vie nomade à la sédentarisation. Çatal Höyük marque en effet la fin d'un voyage entrepris par l'Homme il y a des centaines de milliers d'années et par la même occasion le début d'une des premières expériences de vie en zone urbaine.

 

DE LA PIERRE AU CUIVRE

L'occupation la plus ancienne de Çatal Höyük remonte à 7400 avant notre ère, dans le contexte de la propagation vers l'ouest des systèmes agricoles sédentaires associés au Néolithique, le nouvel Âge de pierre. Il existe d'autres réseaux d'habitat associés au Néolithique en Turquie, par exemple Hacilar, un site voisin datant de 7500 avant notre ère. (À lire : Pourquoi la découverte de ce masque néolithique vieux de 9 000 ans interroge les archéologues)

Cette figurine inachevée semble représenter un homme qui s'incline. Elle a été découverte en 2009 à Çatal Höyük.
PHOTOGRAPHIE DE Jason Quinlan, Çatalhöyük Research Project

La découverte et la datation du site d'Hacilar ont été réalisées dans les années 1950 par l'archéologue britannique James Mellaart, un égyptologue. La passion de Mellaart pour les villes très anciennes est née d'une expérience professionnelle sur le site archéologique de Tell es-Sultan, près de Jericho, considéré comme la plus ancienne ville au monde. Mellaart entama ses fouilles à Çatal Höyük en 1961, près du chemin fourchu évoqué plus haut. Les tertres jumeaux avaient retenu son attention quelques années plus tôt et il avait l'intime conviction qu'ils dissimulaient un secret.

Son intuition n'allait pas tarder à se confirmer : après avoir excavé le site, il sut qu'il venait de tomber sur la découverte de sa carrière. Toutefois, le temps qui allait lui être imparti serait court, mais fructueux. Mêlé à une affaire de trafic d'antiquités, le permis de Mellaart lui fut retiré, mais en quatre années de travail il avait mis au jour 14 occupations distinctes sous le tertre oriental et de nombreuses habitations. (À lire : Découverte d’une forteresse sous-marine dans lac de Van, en Turquie)

Le mont Hasan, un volcan endormi haut de 3 253 m dans le massif central en Turquie, était actif à l'époque où Çatal Höyük était habitée.
PHOTOGRAPHIE DE Bruno Cossa, Fototeca

Pendant 25 ans, entre 1993 et 2018, l'archéologue britannique Ian Hodder développa un projet de recherche internationale sur le site de Çatal Höyük. Ce regain d'attention dont l'ancienne ville fit l'objet fut déterminant dans son inscription à la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en 2012. Ce privilège lui a été accordé non seulement pour les connaissances qu'elle a permis d'acquérir sur la façon dont vivaient ses habitants dans ce labyrinthe de maisons soignées, ordonnées et recouvertes d'enduit mais également pour sa longévité, le tertre oriental fut habité pendant près de 1 500 ans. Sa période postérieure coïncide avec l'Âge de Cuivre, ou Chalcolithique, qui démarra vers 5500 avant notre ère. À cette époque, le tertre oriental fut abandonné au profit du tertre occidental sur lequel ont été découverts des poteries décorées de peintures, un élément caractéristique de l'Âge de cuivre. (Découvrez Toute la magie et l’émotion de l’archéologie en 13 photos)

Outils en os utilisés pour la couture et le tissage découverts sur le site de Çatal Höyük. Propriété du Musée des civilisations anatoliennes situé à Ankara en Turquie.
PHOTOGRAPHIE DE NATHAN BENN/GETTY IMAGES

 

LES ORIGINES DU FOYER

La vie sociale et économique ainsi que les rituels étaient en majeure partie orientés autour de la maison. Les habitations, toutes similaires par leur taille, abritaient des familles composées de cinq à dix personnes. Typiquement, ces logements étaient dépourvus de fenêtres, disposaient d'une pièce principale autour de laquelle s'articulaient deux annexes destinées au stockage ou aux tâches ménagères. Le matériau de construction des murs était l'adobe, recouvert de chaux. L’épaisseur des murs était d'environ 50 cm et leur hauteur dépassait les 2,4 m.

L'utilisation d'argile et de chaux dans les matériaux de construction a facilité le travail des archéologues. Les sols, les murs et l'art devaient sans cesse être rénovés. Dans certains bâtiments, plus de 450 couches d'enduit ont été recensées sur une épaisseur d'à peine 10 cm. Chacune de ces couches offre aux experts des informations précieuses sur la période à laquelle fut construit l'édifice mais également sur les habitudes des résidents, comme les marques laissées par les corbeilles ou les tapis sur le sol.

La disposition des habitations, collées les unes aux autres, ne permettait qu'un accès par une ouverture située sur le toit. Les habitants pénétraient dans leur logement grâce à une échelle qui donnait sur la pièce principale. Le four et son foyer étaient placés juste sous cette ouverture qui servait également d'aération pour laisser s'échapper la fumée. Les citoyens cuisinaient dans cette partie de la pièce principale et les sols y étaient noircis à l'aide de cendres et de suie. L'obsidienne, une roche volcanique très prisée pour son aspect lisse, était transformée à cet endroit afin de fabriquer des objets divers et variés, comme des miroirs. Les archéologues ont par ailleurs découvert que les nourrissons et les nouveau-nés étaient enterrés à cet emplacement.

Des bancs ou des murets étaient utilisés pour séparer la partie sale de l'habitation, de sa partie propre. Dans cette dernière, les sols n'étaient pas noircis par le feu. En outre, ils étaient plus régulièrement recouverts d'enduit. Les adultes et les enfants étaient enterrés sous ces espaces plus soignés. Des excavations menées ultérieurement ont révélé l'importance accordée à l'hygiène par les habitants : les déchets étaient brûlés, enterrés, puis recouverts de cendres. Cette propreté généralisée pourrait expliquer les résultats des expertises médico-légales qui indiquent que l'état de santé de la population était remarquablement bon.

Les murs de ces espaces entretenus offraient aux habitants une surface idéale pour exprimer leur art. Leurs œuvres généralement peintes à l'aide de pigments rouges ou noirs représentaient des figures géométriques, des mains ou des animaux sauvages. La relation avec ces animaux devait être au cœur de profondes croyances locales. Léopards, sangliers et ours étaient omniprésents mais l'animal qui occupait une place centrale était a priori le taureau sauvage, dont les cornes habillaient les murets ou d'autres parties de la maison. Les os des animaux sauvages, le plus souvent des mâles, étaient déposés en offrande lors de la construction ou de l'abandon d'une maison. Selon les hypothèses des chercheurs, cela pourrait s'expliquer par le désir des habitants de combattre leur peur de la nature tout en s'approchant au plus près de son esprit tout puissant.

 

UNE VILLE OUVERTE SUR LE MONDE

Les citadins de Çatal Höyük cultivaient des céréales et des légumes, élevaient des moutons et des chèvres, chassaient les animaux sauvages comme le bison, le cerf, l'élan, le sanglier et les oiseaux. La campagne environnante leur offrait toute sorte de denrées telles que des pommes, des amandes, des pistaches, du poisson et des œufs de sauvagine. Les matériaux de construction comme la boue ou la chaux étaient également disponibles sur les terres proches de la ville.

Les archéologues furent surpris de constater que les logements n'étaient pas situés à proximité des terres cultivées, un phénomène inhabituel pour une communauté agricole constituée de milliers d'individus. D'après Hodder et son équipe, une explication possible réside dans l'importance de l'argile et de la chaux pour la construction du village. Si les agriculteurs avaient décidé de vivre au plus près de leurs champs, ils auraient été forcés de transporter de l'argile pour construire leur logement. Les paniers en osier utilisés pour acheminer ce matériau ne convenaient pas au transport de grands volumes sur de longues distances. Il était donc plus pratique d'apporter leur récolte au village pour la stocker.

Le voyage n'était apparemment pas un problème, les citoyens de Çatal Höyük avaient développé des réseaux d'échange longue distance. Des paniers de palmier dattier provenant de la Mésopotamie ou du Levant ont été découverts par les archéologues. La présence de coquillage indique quant à elle l'existence d'échanges avec les peuples vivant sur les littoraux de la mer Rouge ou de la Méditerranée. La précieuse obsidienne provenait du mont Hasan, un volcan situé à 130 km de là, ou de la région de Cappadoce plus à l'est.

À ce jour, aucun temple ni bâtiment communautaire ou cimetière n'a été mis en évidence à Çatal Höyük. Les archéologues pensent que cette absence de construction monumentale montre que cette société était singulièrement égalitaire, tout du moins pendant ses « jeunes » années. Certains bâtiments où les sépultures étaient plus nombreuses ou dont l'architecture était plus élaborée ont été identifiés, notamment grâce à la présence de cornes d'aurochs ou d'autres éléments. Quoi qu'il en soit, les habitants de ces résidences ne contrôlaient pas la production de nourriture et leurs sépultures n'étaient pas plus sophistiquées que d'autres. On leur attribue plutôt le rôle de gardien de la mémoire historique et culturelle de la communauté, l'équipe de Hodder a d'ailleurs baptisé ces bâtiments « history houses », des lieux de mémoire. (À lire : Le plus ancien temple du monde va être restauré)

Les raisons qui ont poussé les villageois à abandonner le site restent aujourd'hui encore un mystère. Des éléments suggèrent que le système social s'est peu à peu dégradé en raison des bouleversements culturels et du changement climatique. Les archéologues ont détecté qu'à une période avancée de l'histoire de Çatal Höyük, le fossé entre les différentes classes sociales avait fini par se creuser. Les maisons n'étaient plus le noyau des relations rituelles et sociales, elles étaient devenues des centres de production et de consommation. Les motifs de cet abandon occupent toujours les archéologues à l'heure actuelle. Sur la superficie totale de Çatal Höyük, seuls 4 % ont été étudiés, les réponses aux questions des archéologues sur ces premiers « citadins » pourraient donc être enfouies dans les milliers d’édifices qu’il leur reste à excaver.

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