Les descendants des Juifs de Tchernobyl retournent dans la zone interdite

Pendant des siècles, Tchernobyl a abrité une importante communauté juive hassidique. Aujourd'hui, un homme - et les 50 000 membres de sa famille - se réapproprie leur histoire.

De Christine Blau
Photographies de Pierpaolo Mittica, Parallelozero
Un juif hassidique visite le site de l'ancienne synagogue de Tchernobyl. Au cours du 18e siècle, ...
Un juif hassidique visite le site de l'ancienne synagogue de Tchernobyl. Au cours du 18e siècle, cette ville est devenue le berceau d'un mouvement hassidique de premier plan encore suivi aujourd'hui.
PHOTOGRAPHIE DE Pierpaolo Mittica, Parallelozero

Pendant 30 ans, Yitz Twersky, originaire de New York, a consacré tout son temps et son argent à la reconstitution de son arbre généalogique, reliant huit générations et plus de 50 000 personnes à Tchernobyl, que leurs ancêtres ont fui après la catastrophe nucléaire de 1986.

Il a financé des centaines de tests génétiques, tout en parcourant les archives historiques d’une éminente dynastie juive. Une fois sa quête de vie achevée, Yitz s'est rendu pour la première fois sur le lieu de naissance de ses ascendants en Ukraine, insufflant une nouvelle forme de vie dans cet environnement encore contaminé.

Bien avant que des nuages ​​de particules hautement radioactives ne s'échappent de la centrale éventrée et balayent l'Europe entière, révélant par là-même la vulnérabilité de l'humanité face à ses propres créations, Tchernobyl était le lieu d'une grande ferveur spirituelle. 

Au 18e siècle, cette ville située à environ 160 kilomètres au nord-est de Kiev, devint le berceau d'un mouvement hassidique de premier plan lancé par l'ancêtre direct de Yitz, Rebbe Menachem Nahum Twersky, disciple du fondateur de l'hassidisme, le Baal Shem Tov.

« Lorsque la catastrophe nucléaire s'est produite, tout le monde à Williamsburg, à Borough Park ou dans d'autres lieux de culte [juifs orthodoxes] - tout le monde connaissait Tchernobyl », explique Yitz.

La conséquente enquête généalogique de Yitz avait pour but de retrouver cet ancêtre et de lier tous ses descendants. « C'était ma quête », dit Yitz. « Je suis moi-même allé en Ukraine sous l'Union soviétique, pour entrer en contact avec toutes les personnes à qui je pouvais être lié. Il n'y avait pas Internet, pas de courrier électronique. Ils se servaient d'annuaires téléphoniques et écrivaient aux gens. »

Après avoir relié les 50 000 membres de sa famille, Yitz Twersky prie avec émotion devant la tombe de son ancêtre et fondateur du mouvement hassidique de Tchernobyl, le Grand Rabbin Menachem Nachum Twersky. Il raconte : "Je réunis ces personnes : des cousins ​​et des parents qui aspiraient à un lien mais ne savaient jamais où aller."
PHOTOGRAPHIE DE Pierpaolo Mittica, Parallelozero

Yitz a passé toute sa vie à parcourir le monde pour étudier les recensements du 18e siècle conservés dans les archives de Kiev, les fichiers du KGB, des centaines de témoignages de survivants de l’Holocauste au Yad Vashem d’Israël et les tests ADN de parents vivant dans 31 pays distincts, découvrant tout au long du chemin des artefacts tels que des assiettes en argent pour la Pâque, un rare rouleau de la Torah miniature et des images d'archives du Grand Rabbin de Tchernobyl. Après un projet généalogique d'une telle envergure s'étendant sur plusieurs décennies, Yitz décida que le moment était venu de se rendre sur la terre de ses ancêtres.

 

CACHÉ SOUS LA SURFACE

Les pèlerins ont longtemps cherché des réponses sur cette terre chargée d'histoire. Des milliers de personnes affluent de toutes parts dans la région pour écouter les enseignements et recevoir la bénédiction de Mordechai Twersky, fils de Menachem Nahum, qui est demeuré grand rabbin de Tchernobyl, vivant dans l'opulence auprès d'une cour et entouré des parures de l'orfèvre du tsar. Ses huit fils sont tous devenus rabbins en Ukraine, tout comme leurs enfants après eux. La dynastie Twersky a donc perduré.

La révolution russe de 1917, les pogroms paysans de 1919 et la seconde guerre mondiale ont dévasté la communauté juive de Tchernobyl. Pourtant des milliers de leurs descendants vivent aujourd'hui en Pologneaux États-Unis et en Israël. L’Ukraine compte l’un des plus grands nombres de sites du patrimoine juif de tous les pays européens : environ 1 500 sites ont ainsi été recensés, mais le chiffre réel est certainement plus élevé. De nombreuses entreprises, telles que PoyechaliJUkraine et Jewish Travel Agency participent aux recherches généalogiques, organisent des visites de groupes et aident les personnes à la recherche de leur ascendance.

Menachem Nahum Twersky est un site ancestral d'importance situé dans la zone interdite de Tchernobyl. Une bande de terres contaminées entourant le réacteur défectueux est maintenant recouverte d’une barrière en acier.

Un visiteur de la synagogue abandonnée de Tchernobyl fait une pause pour prendre une photo.
PHOTOGRAPHIE DE Pierpaolo Mittica, Parallelozero

Le rabbin Sirkis Leibel, originaire de New York, a aidé à localiser le site exact en 1988, deux ans seulement après la catastrophe. « J'avais besoin d'une permission spéciale émanant de Washington pour pénétrer dans la zone », déclare-t-il. Des équipements radar pointés vers le sol ont permis de localiser le mausolée.

« Nous nous rendons à [Tchernobyl] pour chanter, allumer des bougies et prononcer des psaumes. C'est une partie très spéciale et émouvante du voyage », explique le rabbin Shmiel Gruber, de New Square, une ville entièrement hassidique du comté de Rochester, dans l'État de New York, pensée par une succession de dirigeants rabbiniques de la famille Twersky. Beaucoup font appel à Gruber pour jouer les guides et traducteurs.

Au cours des deux dernières décennies, celui-ci a emmené plus de 10 groupes dans l’ancienne synagogue et dans des tombes avant de poursuivre l’itinéraire vers d’autres sites du patrimoine juif de la région, évitant ainsi les 60 000 personnes adeptes du tourisme macabre qui chaque année se pressent dans la zone interdite.

« Les Grands Rabbins viennent tous de Tchernobyl et beaucoup d'entre nous veulent visiter la tombe du premier rabbin, mais la bureaucratie ukrainienne est très complexe », se lamente-t-il.

Chaque année, à l'anniversaire de la mort du Grand Rabbin Menachem Nachum, des pèlerins se recueillent sur les tombeaux de ces dirigeants hassidiques et dans des lieux de culte, comme cette synagogue, aujourd'hui réduite à un bâtiment abandonné anonyme mais toujours en vie pour cette communauté. Yitz Twersky s'y rend pour la première fois en 2017 : "Certains Grand Rabbins ont amené, au fil des ans, 1 000 personnes. Les gens viennent notamment à l'anniversaire de sa mort ou juste pour prier. Mais ce n’est pas aussi simple, comme vous le savez, d’y entrer."
PHOTOGRAPHIE DE Pierpaolo Mittica, Parallelozero

Les papiers de tous les visiteurs de la zone interdite de Tchernobyl et des zones environnantes doivent être soumis aux autorités gouvernementales des semaines à l'avance, ce qui est plus facile à organiser par l'intermédiaire d'une agence de voyage. Il arrive que certains visiteurs munis des documents appropriés se voient pourtant refuser l'entrée au point de contrôle. Ils sont alors obligés d'attendre le retour du reste du groupe.

« Chaque fois, il faut répondre à des exigences différentes », explique Gruber. « Je ne suis pas sûr de savoir pourquoi c'est une zone interdite, et si c'est le cas, pourquoi ils rendent les choses si difficiles. »

 

RÉUNION DE FAMILLE

Quand Yitz Twersky a finalement effectué le voyage avec sa femme, il a emporté avec lui les noms de 50 000 personnes. « Bien sûr, j'ai vu d'autres Juifs orthodoxes là-bas, dont certains que je connaissais. »

Ils ont notamment rencontré le photographe italien Pierpaolo Mittica, qui s'est rendu à plus de 20 reprises à Tchernobyl depuis 2002 pour documenter des histoires inédites de la vie après la catastrophe.

« Cette situation est peut-être la plus rare que j'ai vue dans la zone interdite de Tchernobyl. Tous ces gens qui portaient un chapeau noir en hiver parlaient et priaient sur les lieux de sépulture situés en face d'une forêt », explique Mittica. « Cela a créé une atmosphère incroyable à photographier, mais c'est une zone interdite, l'endroit le plus dangereux du monde. La beauté contrastait avec [le niveau de] contamination. »

 
Pierpaolo Mittica est un photographe basé à Venise, en Italie. Retrouvez-le sur Instagram @pierpaolomittica.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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