Course contre la montre : documenter les glaciers avant qu'ils ne fondent

Le projet Ice Memory a vu le jour en 2015. Ce programme est dédié à la conservation d’échantillons de glace pour permettre aux futurs chercheurs d'étudier notre passé géologique.

De Arnaud Sacleux
Les carottes de glace seront conservées et envoyées à la base Concordia en Antarctique.
Les carottes de glace seront conservées et envoyées à la base Concordia en Antarctique.
PHOTOGRAPHIE DE Sarah Del Ben, Avec l'aimable autorisation de la Fondation de l'Université Grenoble-Alpes

Depuis 1850, les glaciers alpins ont déjà perdu près de 50 % de leur masse. Face à ce constat, à l’initiative des glaciologues français Jérôme Chappellaz et Patrick Ginot, le projet Ice Memory est lancé. Grâce au soutien financier des mécènes sollicités par la Fondation de l’université Grenoble-Alpes, aux ressources humaines et matérielles fournies par le CNRS, l’Institut pour la Recherche et le Développement (IRD) et l’Université Grenoble-Alpes ainsi qu’aux possibilités de transport et de stockage offertes par l’Institut Polaire français Paul-Emile Victor (IPEV), des équipes de chercheurs internationales impliquant la France, l’Italie, la Suisse et la Russie gravissent les glaciers du monde entier à la recherche d’échantillons glaciaires, en anticipation de leur transfert en Antarctique.

Jérôme Chappellaz, Directeur de Recherche au CNRS et Directeur de l’IPEV, nous a accordé une entrevue avant son départ pour une mission en Antarctique. Si le chercheur se qualifie comme quelqu’un de réaliste et non de pessimiste, il y a urgence dans la conservation de ces échantillons à cause du réchauffement climatique qui a pour effet la fonte des glaciers de notre planète et fait disparaître avec eux bon nombre d’informations sur notre Histoire.

 

LE ICE MEMORY, UN PARI POUR L’AVENIR

Le programme consiste à récolter des carottes glaciaires issues d’une vingtaine de glaciers à travers le monde, avant que ceux-ci ne fondent et que ne disparaissent avec eux les traces de notre passé. Ces traces, ce sont les différents composants chimiques qu’emprisonne la glace en se formant, qui sont des sources d’informations inépuisables sur notre passé climatique qu’il est urgent de conserver. « Nous sommes la communauté scientifique qui voit sa propre matière première disparaître » regrette Jérôme Chappellaz. Quand la glace fond, toute trace, toute mémoire disparaît avec elle. C’est cette problématique qui anime le programme Ice Memory : « La science des carottes de glace est une science très jeune, elle a débuté dans les années 1950. Ce n’est rien du tout à l’échelle de la recherche. Quand on compare ce qu’on découvre grâce aux carottes de glace par rapport à ce qu’on découvrait il y a 60 ans, ce sont deux mondes complètement différents. Les idées scientifiques ont évolué et les technologies d’analyses aussi » précise le glaciologue avant d’ajouter : « notre pari est que dans 60 ans il en sera de même, il y aura de nouvelles techniques et de nouvelles idées scientifiques pour étudier les carottes de glace. Ce qu’il n’y aura plus en revanche, c’est la matière première si notre génération ne prend pas la responsabilité de conserver quelques un de ces précieux cylindres de glace. »

Les conditions pour récolter ces carottes glaciaires sont parfois très dures. Seuls les scientifiques les plus chevronnés prennent part aux expéditions.
PHOTOGRAPHIE DE Sarah Del Ben, Avec l'aimable autorisation de la Fondation de l'Université Grenoble-Alpes

Ces carottes glaciaires sont conservées à la base Concordia en Antarctique, congélateur naturel où la température atteint – 54° C.

 

QUE NOUS RACONTENT LES GLACIERS ?

Les carottes glaciaires sont de véritables témoins du temps géologique. La glace qui les compose emprisonne en elle des particules comme des petites bulles d’air ou certaines impuretés comme les métaux lourds ou les aérosols, marqueurs d’acidité. Avant de récolter ces échantillons, la première partie du travail est de sélectionner les glaciers à étudier. « Forer 20 glaciers dans les Alpes n’aurait pas de sens » confirme Jérôme Chappellaz. Cette sélection se fait donc en fonction de plusieurs critères.

Le premier est la zone géographique du glacier, qu’il faut diversifier pour permettre une couverture spatiale exhaustive. Selon la région où il se situe, l’histoire que va nous raconter ce glacier sera différente. « Il y a des signaux très généraux, comme la composition des petites bulles d’air contenues dans les glaces et qui révèlent la composition de l’atmosphère, signal assez homogène sur toute la surface de la planète. On trouvera ce même signal dans les Alpes ou dans l’Himalaya par exemple. En revanche, si l’on s’intéresse à d’autres impuretés comme les métaux lourds, ce sont des marqueurs qui ont un temps de vie dans l’atmosphère très court. On aura des disparités en fonction des régions où on le mesure. » Certains glaciers servent de vigie régionale et permettent d’avoir un regard global sur l’évolution de la planète.

Le second critère est celui de la couverture temporelle. « Grâce aux glaciers de montagnes, on va pouvoir remonter jusqu’à 20 000 ans en arrière, jusqu’à la dernière glaciation. Mais avec d’autres types de glaciers, où l’on va avoir beaucoup de neige accumulée, on ne va remonter que un ou deux siècles en arrière mais nous aurons une très bonne résolution dans le temps. On va pouvoir suivre les couches de neige qui se sont accumulées saison après saison. » Combiner ces découvertes faites sur un même secteur permettront d’avoir ces deux regards : le temps long et la haute résolution dans le temps.

 

DES MISSIONS PÉRILLEUSES

Les missions se suivent et ne se ressemblent pas. Chaque expédition présente des conditions différentes mais toutes ont ce point commun : elles nécessitent une excellente condition physique et de bonnes capacités d’acclimatations. « On parle ici de personnes capables de travailler 3 semaines durant en haute altitude, sans que leurs capacités ne soient trop altérées par le froid et le manque d’oxygène » confirme Jérôme Chappellaz.

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    Si certaines missions ont été assez simples dans leur réalisation, d’autres ont été nettement plus éprouvantes. C’est le cas notamment de la seconde mission du programme qui a envoyé les chercheurs sur le mont Illimani en Bolivie en 2017. Cette mission a duré deux mois ; le glacier étant trop haut (6 500 mètres d’altitude) pour que les hélicoptères puissent transporter le matériel jusqu’en haut, les deux tonnes de matériel ont dû être transportées par les scientifiques aidés par 60 transporteurs boliviens. « Nous n’envoyons que les scientifiques les plus chevronnés en alpinisme » assure le chercheur.

    D’autres missions sont à venir, avec de nouveaux partenaires internationaux tels que le Brésil, le Japon, la Chine et les Etats-Unis et le programme devrait exister encore une quinzaine d’années. « Le travail n’est pas fini » conclut le glaciologue. Prochaine étape : le Kilimandjaro, où de nombreux chercheurs africains seront associés au projet.

     

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