Coronavirus : pour éviter un maximum de morts, la distribution d'un vaccin devra être équitable

La pandémie a inversé des années de progrès mondial, et la course des pays riches pour s'approprier par milliards les doses de vaccins potentiels contre la COVID-19 pourrait mener à des centaines de milliers de morts supplémentaires dans le monde.

De Oliver Whang
Publication 16 sept. 2020, 14:32 CEST
Un jeune garçon s'essaye au port du masque pendant une distribution de nourriture aux familles vulnérables ...

Un jeune garçon s'essaye au port du masque pendant une distribution de nourriture aux familles vulnérables de Nairobi, au Kenya. En plus de la crise sanitaire, la pandémie a déclenché une crise économique qui a affecté disproportionnellement les communautés à faible revenu du monde entier.

PHOTOGRAPHIE DE Fredrik Lerneryd, AFP, Getty

La course des pays riches pour s'approprier par milliards les doses de vaccins potentiels contre la COVID-19 pourrait mener à des centaines de milliers de morts supplémentaires par rapport à une distribution équitable des vaccins. C'est ce que dévoile le rapport publié le 14 septembre par la Fondation Bill-et-Melinda-Gates.

Ce n'est que l'un des constats présentés dans le quatrième Goalkeepers Report, un rapport publié chaque année par la Fondation Gates en partenariat avec l'Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME). Ces dernières années, le rapport avait documenté la lente progression du monde vers les objectifs de développement durable fixés par l'Organisation des Nations unies dans des domaines allant de la faim à l'accès à l'éducation en passant par l'égalité des genres.

Cette année en revanche, la quasi-totalité des métriques témoigne d'une baisse de la qualité de vie à travers le monde, notamment pour ceux qui souffraient déjà. Plus frappant encore, l'IHME affirme que la pandémie aurait mis fin à 20 années de progrès vers un recul de la pauvreté et aurait poussé environ 37 millions d'individus dans la pauvreté extrême depuis son apparition au début de l'année.

« La pandémie a aggravé les inégalités dans presque toutes leurs dimensions, » a déclaré Bill Gates lors d'une conférence de presse tenue jeudi dernier. Le nouveau rapport indique que pour sauver un maximum de vies et mettre un terme à la pandémie le plus rapidement possible, les pays devront collaborer pour développer, produire et distribuer les vaccins et traitements équitablement à travers la planète.

À l'heure actuelle, plus de 150 vaccins sont en cours de développement de part et d'autre du globe, dont huit en phases finales des essais cliniques. La distribution du potentiel vaccin entre les différentes nations de façon proportionnelle à leurs populations permettrait d'éviter 61 % des décès infligés dans le monde par la COVID-19 en l'absence de vaccin, indique le rapport en s'appuyant sur deux scénarios établis par le Laboratory for the Modeling of Biological and Socio-technical Systems de l'université Northeastern. En revanche, toujours selon le rapport, l'allocation des deux premiers milliards de doses de vaccin aux plus offrants n'empêcherait que 33 % des décès.

« On ne peut pas confier aux plus riches l'attribution des doses, » a déclaré Bill Gates lors d'une interview accordée à la rédactrice en chef de National Geographic, Susan Goldberg. « Il faut se fixer un but ultime puis diffuser un message "Pour le bien de tous, lançons-nous dans une coopération sans précédent". »

 

CRISES EN SÉRIE

Au cours de la conférence de presse, Bill Gates a évoqué les effets en cascade catastrophiques générés par la pandémie : une crise sanitaire suivie d'une crise économique suivie d'une crise de l'éducation qui amplifient les inégalités existantes entre les différents pays, les genres et les communautés.

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    D'après le rapport, la récession économique mondiale est la plus pernicieuse de ces crises, car elle affecte tous les pays sans distinction de leur réussite dans l'endiguement du virus. Le Fonds monétaire international a estimé que l'économie mondiale perdait près de 500 milliards de dollars par mois et aura perdu « 12 000 milliards de dollars, ou plus, d’ici la fin de 2021. » Les pays en développement subissent de façon démesurée les effets de cette récession. Les 18 000 milliards de dollars injectés depuis le mois de mars ont principalement bénéficié aux pays riches, alors que les pays à faible revenu tels que ceux de l'Afrique subsaharienne ont dû lutter pour échapper à la déroute financière.

    L'impact de la récession n'est pas le même pour tous les groupes ethniques. Selon une enquête récente, 46 % des Afro-Américains et des Latino-Américains ne savaient pas s'ils allaient pouvoir payer leur loyer au mois d'août, contre 23 % des Américains blancs vivant dans des conditions similaires. Plus de la moitié des entreprises dirigées par des Noirs pourraient ne pas survivre à la pandémie.

    Les femmes et les jeunes filles ont également été particulièrement affectées par la pandémie. D'après l'Organisation internationale du travail, sur les 37 millions d'individus poussés dans l'extrême pauvreté, un nombre disproportionné sont des femmes issues des pays à faible et moyen revenus.

    Les femmes de tous âges sont plus susceptibles de travailler dans le secteur informel, comme employées de maison ou vendeuses ambulantes par exemple. Ces emplois ont subi de plein fouet la pandémie et, parallèlement, les tâches ménagères non rémunérées souvent attribuées aux femmes, comme la garde d'enfants ou de personnes malades, ont quant à elles augmenté. Il est fort probable que la pandémie affecte également les générations futures : les études menées sur l'épidémie Ebola de 2014 en Afrique de l'Ouest suggèrent que les filles des pays à faible revenu ont moins de chances que les garçons de regagner leur école lors de sa réouverture après une épidémie.

    Les systèmes de santé ont eux aussi été perturbés et il est aujourd'hui plus difficile pour les femmes d'accéder aux soins d'urgence en cas de problème pendant leur grossesse ou leur accouchement. Les données les plus récentes montrent que près de 95 % des décès maternels de la planète surviennent dans les milieux à faibles ressources. La plupart d'entre eux pourraient être évités par la présence adéquate de services de santé et d'une expertise médicale.

    Les vaccinations pour d'autres maladies, telles que la rougeole, la diphtérie, le tétanos et la coqueluche étaient à la hausse depuis plusieurs décennies, mais depuis le début de la pandémie la proportion de personnes vaccinées pour ces maladies a brutalement chuté pour retrouver les niveaux des années 1990.

     

    RETOUR À LA NORMALE

    Au-delà des six derniers mois de régression tragique décrits par le rapport, celui-ci prévoit également que la pandémie continuera d'impacter des secteurs clés dans les années à venir. Cependant, les chercheurs admettent que la collecte des données a elle-même été limitée par la pandémie et les difficultés logistiques qui l'accompagnent. Afin de compenser ce phénomène, le rapport propose deux scénarios potentiels pour l'avenir.

    Le plus optimiste d'entre eux suppose que la maladie à coronavirus sera éradiquée rapidement. Dans ce cas, les modèles prévoient que le monde pourrait retrouver le chemin de ses objectifs de développement durable d'ici deux ans. Pour ce qui est de l'autre scénario, si le monde ne parvient pas à vaincre promptement la COVID-19, alors le retour à la marche mondiale vers ces objectifs pourrait prendre plus de 10 ans. Comme le soutient Bill Gates, l'avenir auquel nous pourrons prétendre sera essentiellement déterminé par les décisions prises ces prochains mois par les pays et leurs entreprises.

    La production du vaccin est l'un des domaines propices à la collaboration. Bill Gates anticipe avec optimisme la mise au point d'un vaccin pour début 2021, mais il s'interroge sur la capacité des infrastructures à produire les doses nécessaires pour combattre la pandémie à l'échelle mondiale. Le fondateur de Microsoft suggère que ce dilemme pourrait être résolu si les sociétés développant les vaccins contre la COVID-19, la plupart installées dans une poignée de pays riches, entraient en collaboration avec les fabricants d'autres régions du monde disposant d'une capacité de production supérieure.

    Se pose également la question de la collaboration pour distribuer le vaccin de façon à sauver des vies sans aggraver les inégalités. Par exemple, même si Bill Gates reconnaît l'exemplarité des États-Unis dans le financement des recherches et du développement de six des candidats vaccins, il constate également l'absence du pays dans les débats sur l'aide humanitaire apportée aux autres nations pour acheter ces vaccins. Début septembre, l'administration Trump a annoncé qu'elle ne se joindrait pas à une initiative co-dirigée par l'Organisation mondiale de la santé visant à mondialiser l'accès aux potentiels vaccins.

    Lors de son interview, Bill Gates a également évoqué le fait que la distribution pencherait en faveur des pays travaillant à la mise au point du vaccin. Il a également insisté sur l'importance pour les pays riches de s'investir pleinement dans une distribution équitable du vaccin, car l'existence de la COVID-19 à un endroit quelconque sur la planète prolongera les effets de la pandémie partout ailleurs.

    « Non seulement il existe des raisons humanitaire et stratégique pour venir en aide aux pays en développement, mais il en existe également une plus égoïste : c'est le choix qui nous permettra de revenir à la normale. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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