Brexit : ce que ça change pour l'Irlande 

Le divorce entre le Royaume-Uni et l'Union européenne pourrait bien coûter cher aux Irlandais, en plus de renforcer la division de l'île.

De Julie Lacaze
Publication 9 nov. 2017, 02:02 CET

La question de l'Irlande occupera une place centrale dans les deux années de négociations à propos du Brexit, qu'entament le Royaume-Uni et L'Union européenne (UE). C'est ce qu’a rappelé la représentante de la Commission européenne en France, Gaëtane Ricard-Nihoul, lors de la conférence organisée sur la question. Le 16 juin 2017, par le Centre culturel irlandais de Paris.
Avant de tourner la page de son histoire européenne, le Royaume-Uni devra régler trois points : le statut des citoyens de l’Union vivant sur son territoire et celui de ses ressortissants ; le montant de sa participation au budget européen 2014-2020 ; ainsi que le statut particulier de l’Irlande. Sur ce dernier sujet, la liste des problématiques est longue. Parmi les principales : l’affaiblissement des échanges commerciaux, la fin de la libre circulation des personnes, le rétablissement des frontières sur l’île, la gestion de l’immigration. Mais, surtout, l'Europe assure le maintien de l'accord de paix pour l'Irlande du Nord. Ce dernier a été signé en 1998 pour mettre fin aux trente années de conflit entre loyalistes protestants et républicains catholiques. Le Brexit pourrait le remettre en cause.

 

LE BREXIT RAVIVE LA MÉMOIRE DU CONFLIT 

En quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni rétablit ses frontières. Celles-ci traverseront donc l’Irlande, divisant le pays entre Nord et Sud. La République d’Irlande reste un pays membre de l'UE et l’Irlande du Nord, un territoire britannique. Problème : réinstaurer les frontières est une violation de l’accord de paix du vendredi saint. Signé le 10 avril 1998, il a mis un terme aux « troubles », comme on désigne en Irlande du Nord les années de violences qui ont opposé les indépendantistes de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et les loyalistes fidèles au Royaume-Uni.
Depuis une vingtaine d’années, l’UE a versé 1,3 milliard d’euros pour maintenir la paix en Irlande du Nord. Elle finance des associations et appuie les initiatives qui vont dans ce sens. Que va devenir le processus de paix sans son soutien ?
Depuis le Brexit, les nationalistes mettent la pression pour organiser un référendum sur la réunification du pays. En Irlande du Nord, la population craint une relance du conflit. Depuis la signature des accords de paix, il y a eu encore une centaine de victimes. Le Brexit pourrait donner une raison aux groupes armés de se reformer.

 

PÉRIL ÉCONOMIQUE POUR LA RÉPUBLIQUE D’IRLANDE

Le voisin britannique est le premier partenaire commercial du pays. 14 % des exportations irlandaises sont destinées au Royaume-Uni. La République d’Irlande importe, en retour, 18 % de ses produits. Les échanges entre les deux pays se chiffrent à 1,2 milliard d’euros par semaine, selon le Financial Times !
En quittant l’UE, le Royaume-Uni abandonne le marché unique, qui autorise la libre circulation des biens et des personnes. Le rétablissement des taxes douanières va être un coup dur pour l’économie irlandaise. Selon The Economic and Social Research Institute (Esri), le pays pourrait perdre un point de croissance par an et voir son taux de chômage augmenter de 2 %. De plus les entreprises privées, notamment australiennes, installées en Irlande du Nord, souhaitent garder l’accès au marché européen. Elles risquent donc de délocaliser une partie de leurs activités dans d’autres pays d’Europe. Au Sud, Dublin y voit une aubaine pour attirer ces entreprises.

 

COUP DUR POUR L'AGRICULTURE

Si les habitants des zones urbaines du nord souffriront des délocalisations, le territoire parviendra sans doute à rebondir. Mais les campagnes risquent de se vider. Les agriculteurs d’Irlande du Nord, en premier lieu, souffriront de la coupure des aides européennes.
Pour la République d’Irlande, le problème sera lié à la complexité d’exporter les produits vers le Royaume-Uni. Les pêcheurs craignent, quant à eux, de ne plus pouvoir accéder aux zones de pêche situées dans les eaux territoriales britanniques. En réduisant leur territoire d’activité, ils perdraient un tiers de leurs prises. La barrière douanière pourrait aussi freiner les exportations vers la France ou l’Espagne, grands consommateurs de fruits de mer pêchés en mer d’Irlande.

 

STATUT DES CITOYENS

L’un des enjeux les plus complexes des négociations porte sur les ressortissants des pays européens vivant au Royaume-Uni. Selon l'Office of National Statistique (ONS), 2,1 millions de ressortissants de l’UE étaient employés dans le pays au 1er trimestre 2016. Parmi eux, les Irlandais constituaient la deuxième plus grande communauté, après les Polonais, avec 385 000 personnes. Theresa May, Premier ministre du Royaume-Uni, s’est engagée à garantir les droits de ces citoyens, sans avancer de proposition concrète.

Quelle forme prendront les nouvelles frontières ? Physique ? Electronique ? Se limiteront-elles aux ports et aux aéroports ? Pour les Irlandais, habitués à circuler librement sur leur territoire, la question inquiète. Sur ce sujet, Theresa May s’est voulue rassurante : « Personne ne veut rétablir les frontières du passé. »

Pour l’heure, le Brexit semble avoir l’effet inverse de ce qui a été annoncé. Au lieu de diviser l’Europe, il a resserré les liens entre les pays membres. Selon la représentante de la Commission, Gaëtane Ricard-Nihoul, cette remise en question a ouvert la voie à une Europe plus sociale.
Pour l’Irlande du Sud, ces effets pourraient même être bénéfiques. Sa position dans l’Europe conduirait les entreprises du Royaume-Uni, qui souhaitent continuer à profiter du marché européen, à s’y installer. Mais aussi attirer les cerveaux grâce aux programmes de recherche et au faible coût de scolarité proposés par l’Union. Á l’inverse, le sujet a semé la division au Royaume-Uni. En témoignent les dernières élections et les réactions de l’Irlande du Nord et de l’Écosse, qui souhaitent rouvrir le dialogue sur la possibilité d’organiser un référendum sur leur indépendance. Selon l’économiste irlandais, Dan O’Brien, présent à la conférence, le Royaume-Uni est entré dans un processus « perdant-perdant » en quittant l’Union Européenne.

 

Retrouvez le reportage "Belfast change d’ère" dans le n° 213 du magazine National Geographic, publié en juin 2017.

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