Comment mieux protéger les oiseaux des éoliennes ?

Les rapaces sont régulièrement victimes des éoliennes. Diverses études sont en cours pour mieux comprendre et limiter cette mortalité.

De Marie-Amélie Carpio
Publication 2 déc. 2020, 10:23 CET, Mise à jour 20 mai 2021, 17:40 CEST
Vautours fauves Gyps fulvus volant à proximité des éoliennes.

Vautours fauves Gyps fulvus volant à proximité des éoliennes.

PHOTOGRAPHIE DE Olivier Duriez

La protection de l’environnement porte parfois en elle à des injonctions contradictoires. Ainsi la production d’énergie verte par les éoliennes se révèle-t-elle dans une large mesure incompatible avec la préservation de la biodiversité. Les oiseaux apparaissent en effet comme les dommages collatéraux des parcs éoliens à un double titre. D’une part la création de ces derniers résulte en une perte d’habitat pour certaines espèces de volatiles. D’autre part, leur fonctionnement au quotidien donne lieu à des collisions mortelles avec eux.

D’après une étude récente publiée dans le journal Ecology and Evolution, peindre des pales d’éolienne en noir permettrait de diminuer drastiquement les chocs avec les oiseaux. Des chercheurs norvégiens ont suivi pendant 10 ans plusieurs machines dans la centrale éolienne de l’archipel de Smøla, et conclut que cet expédient réduisait de 71,9 % le taux de mortalité des oiseaux par rapport aux turbines restées d’un blanc immaculé, l’alternance des couleurs semblant rendre les hélices plus visibles.

« Depuis la construction du parc éolien de Smøla, des pygargues à queue blanche percutent les turbines, explique Roel May, co-auteur de l’étude. Nous avons cherché quelles mesures pouvaient permettre de faire baisser les collisions et parmi les options présentées dans la littérature scientifique, nous avons pensé que peindre en noir une pale d’hélice sur trois représentait une piste prometteuse. Ce procédé est relativement simple à mettre en œuvre et ne chasse pas les oiseaux d’une zone mais les prévient. » Un autre volet de leurs expériences a consisté à peindre en noir le mât de certaines éoliennes, une autre espèce, le lagopède des saules, tendant à les heurter plus que les hélices. L’opération s’est soldée par une baisse des collisions de 53 %.

Centrale éolienne de Smøla. D’après une étude récente publiée dans le journal Ecology and Evolution peindre des pales d’éolienne en noir permettrait de diminuer drastiquement les chocs avec les oiseaux.

PHOTOGRAPHIE DE Roel May

Ces travaux norvégiens reflètent les observations réalisées au niveau mondial, qui indiquent que les rapaces sont les premières victimes des éoliennes, à côté de quelques autres groupes comme les martinets, les outardes et les lagopèdes. Les vautours fauves en Europe, et les aigles royaux aux États-Unis, payent un tribu particulièrement lourd. Déterminer l’ampleur du phénomène reste cependant une gageure. Selon une étude publiée en 2015 sur la mortalité aviaire en Amérique du Nord, les collisions avec les éoliennes, qui concernent quelques centaines de milliers d’oiseaux par an, arrivent loin derrière d’autres menaces, à commencer par les chats, qui en tuent des milliards chaque année, les collisions avec les immeubles (des centaines de millions), les voitures (des dizaines de millions) et les lignes électriques (des millions).

« Ces estimations sont entachées de très grosses incertitudes, avec des biais de détection énormes, tempère cependant le biologiste Olivier Duriez, maître de conférences à l’université de Montpellier, rattaché au CEFE (Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive). Les chats ramènent aux hommes les cadavres d’oiseaux, qui sont aussi faciles à compter près des buildings. Mais ceux qui finissent aux pieds des éoliennes ou des lignes électriques sont sans doute bien plus nombreux que ce qu’on arrive à compter car ils sont rapidement éliminés par les charognards dans la nature. Sans compter que les chats tuent surtout des passereaux, dont les grandes populations tolèrent davantage un prélèvement que les espèces rares comme les grands rapaces. »

La vulnérabilité des oiseaux face aux turbines, très variable d’une espèce à l’autre, reste aussi en partie une énigme. Pour l’heure, les scientifiques en sont encore réduits aux conjectures. « Concernant les rapaces, on suppose que leur mode de déplacement en vol plané, qui leur fait rechercher les secteurs ventés générant des courants ascendants, crée un conflit d’usage de l’espace avec les éoliennes. Étant un peu « prisonniers » des vents, ils se retrouvent dans les mêmes endroits, avance Olivier Duriez. Une partie de la réponse tient aussi sans doute au fait que ces prédateurs sont en haut de la chaîne alimentaire et qu’ils ne sont pas programmés pour se méfier du danger.

Il y aurait peut-être également une raison plus physiologique : même si l’acuité visuelle des rapaces est meilleure que celle des hommes, il semblerait que chez certaines espèces la vision des contrastes soit nettement moins bonne que la nôtre. D’où l’intérêt de l’article norvégien, qui va dans le sens de cette hypothèse. Mais il ne repose que sur un très petit nombre d’observations. Il faudra répéter l’expérience sur d’autres sites pour conforter ces résultats. »

Le Vautour fauve Gyps fulvus est l'une des principales victimes de collisions avec des éoliennes en Espagne.

PHOTOGRAPHIE DE Olivier Duriez

En France, mieux comprendre l’impact des éoliennes sur les oiseaux est tout l’enjeu du projet MAPE, lancé en 2020 pour 3 ans. Ce programme collaboratif réunit scientifiques, institutions publiques, opérateurs privés et associations environnementales comme la Ligue pour la Protection des Oiseaux. Il vise à étudier la façon dont les volatiles perçoivent les éoliennes, leur comportement dans les parcs de turbines et l’impact démographique de ce type de mortalité sur les espèces affectées. Il prévoit aussi d’évaluer l’efficacité des systèmes existants pour limiter les collisions.

Dans l’Hexagone, ils reposent actuellement sur des caméras de détection qui peuvent déclencher l’arrêt des hélices ou des instruments d’effarouchement sonore. Mais ces expédients, qui ne sont pas obligatoires, ne sont employés que sur quelques parcs éoliens et ne sont pas toujours probants. À ce jour, seul un système de détection radar mis en place au Portugal, avec un opérateur qui repère les oiseaux à 6 km et arrête les pâles sur leur trajectoire de vol en moins de 10 secondes, semble de révéler efficace. Un des axes de recherche de MAPE consistera à tester les avantages de procédés d’effarouchement visuel, qui pourraient être plus utiles que la dissuasion sonore. 

Reste cependant des zones d’ombres persistantes. « On ne sait absolument rien de la mortalité aviaire dans les parcs éoliens off-shore, les cadavres disparaissant en mer, souligne Olivier Duriez. L’État devrait prochainement lancer une étude sur les trajectoires des oiseaux au-dessus de la Méditerranée, pour repérer les éventuels couloirs aériens qu’ils fréquentent, mais les parcs en projet fonctionneront avant les résultats – les premières fermes pilotes sont prévues pour 2023-2024. » À terre, un nouvel enjeu se profile aussi, celui de l’impact cumulé des parcs, qui sont désormais de plus en plus nombreux à se concentrer sur les même sites. « C’est une problématique délicate à gérer. Nous avons besoin de produire de l’énergie verte mais il faut bien réfléchir à l’emplacement des parcs éoliens pour minimiser l’impact sur la biodiversité et les milieux naturels », conclut le chercheur.

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