Les braconniers n'ont pas de frontières, pourquoi les protecteurs des animaux en auraient-ils ?

Alors que les trois quarts des éléphants de savane d'Afrique traversent les frontières nationales, le traité qui les protège du commerce illégal d'ivoire ne tient pas compte de cette dimension.

De Rachael Bale
Publication 9 nov. 2017, 02:24 CET
PHOTOGRAPHIE DE Michael Nichols, National Geographic Creative

Les éléphants peuvent parcourir jusqu'à 80 kilomètres par jour. Étant donné que la majorité d'entre eux vit à proximité des frontières nationales, un éléphant qui débute sa soirée au Botswana peut tout à fait se retrouver en Angola au petit matin.

Or, les éléphants d'Angola bénéficient davantage de protections, en vertu du droit international, que ceux du Botswana. Plus de la moitié des éléphants d'Afrique vivent au sein de régions frontalières ; dès qu'ils franchissent cette ligne arbitraire, la protection dont ils bénéficient n'est plus la même.

C'est le résultat d'une nouvelle étude publiée dans la revue Biological Conservation, dans le cadre de laquelle des chercheurs ont analysé des données relatives à la population d'éléphants de savane en vue de démontrer l'importance de mesures de protection transfrontalières. Ces mesures se traduisent par une coopération des gouvernements et des organisations en vue de gérer et de protéger les éléphants migrateurs indépendamment des frontières politiques.

D'importantes menaces pèsent sur les éléphants d'Afrique en raison du braconnage lié au commerce illégal d'ivoire. Selon le recensement Great Elephant Census, environ 27 000 éléphants de savane sont abattus chaque année, soit une baisse de 30 % de leurs effectifs entre 2007 et 2014. Si une interdiction du commerce international d'ivoire est entrée en vigueur en 1990, un marché noir prospère afin de répondre à la demande d'ivoire venue de Chine, du Japon, des États-Unis et d'autres pays.

Les éléphants pouvant parcourir jusqu'à 80 kilomètres par jour, nombreux sont ceux qui franchissent les frontières nationales.
PHOTOGRAPHIE DE Andrew Coleman, National Geographic Creative

Selon de nombreux défenseurs de l'environnement et les auteurs de l'étude, le problème de cette interdiction est qu'elle a généré un système à deux vitesses : les éléphants de certains pays d'Afrique sont plus protégés contre le commerce d'ivoire que ceux d'autres pays. Dans 33 pays africains, le commerce d'ivoire est complètement interdit ; les éléphants de ces pays figurent sur l'annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), traité qui encadre le commerce international d'espèces sauvages.

Le CITES est l'un des traités internationaux les plus importants pour la protection des éléphants contre le braconnage. L'annexe I est le niveau de protection le plus élevé d'une espèce contre le commerce d'espèces sauvages. Cependant, les éléphants de quatre autres pays africains — le Botswana, la Namibie, l'Afrique du Sud et le Zimbabwe — figurent sur l'annexe II. Grâce à un moratoire de neuf ans, cette liste a accordé aux éléphants un répit temporaire, mais ces pays peuvent faire la demande et vendre de l'ivoire avec une autorisation spéciale du CITES.

Selon Katarzyna Nowak, l'une des auteures de l'étude, chercheuse à l'université de l'État-Libre en Afrique du Sud et collaboratrice occasionnelle de National Geographic, et ses collègues, l'attribution de deux niveaux de protection aux éléphants d'Afrique suivant le pays dans lequel ils se trouvent ne rime à rien. En effet, la majorité d'entre eux vit au sein de populations se trouvant à cheval entre deux pays.

Pour eux, la meilleure façon de protéger les pachydermes est l'adoption d'une approche transfrontalière. Le partage d'éléphants entre les régions serait pris en compte, plutôt que leur appartenance à un pays donné selon l'endroit où se trouvent les animaux à un instant T.

Pour l'auteure, cela implique de leur accorder le même niveau de protection dans le cadre d'accords internationaux tels que le CITES. « Lorsqu'une espèce est très mobile, notre politique de gestion doit être ajustée en conséquence. »

Par ailleurs, les braconniers se fichent des frontières nationales, ajoute-t-elle. Ils opèrent à travers tout le continent. « Les défenseurs des espèces sauvages doivent se coordonner au-delà des frontières, plus encore que ne le font les braconniers ».

 

COOPÉRER POUR LA SAUVEGARDE

De nombreuses autres espèces sont gérées en coopération avec tous les pays que traversent les animaux.

Prenons l'exemple des oiseaux migrateurs en Amérique du Nord : de nombreuses espèces indigènes étaient au bord de l'extinction à l'aube du 20e siècle. Le commerce d'oiseaux indigènes d'Amérique du Nord était alors en plein essor, les femmes aisées cherchant à porter des chapeaux à plumes ou ornés d'oiseaux empaillés.

En 1916, les États-Unis et le Canada signent la Convention pour la protection des oiseaux migrateurs, qui vient ensuite renforcer le traité sur les oiseaux migrateurs, première loi environnementale majeure des États-Unis. Celle-ci garantit aux oiseaux traversant le continent d'être protégés de la même manière contre la chasse, le commerce de plumes, la collecte des œufs, quel que soit le côté de la frontière où ils se trouvent. Au cours des années qui suivent, le Mexique, le Japon et la Russie signent des traités similaires avec les États-Unis afin d'assurer la protection des oiseaux tout au long de leur route migratoire.

Plusieurs accords visant à protéger les espèces migratrices existent de par le monde, notamment la Convention sur les espèces migratrices qui défend les espèces où qu'elles soient. Or, elle occulte le commerce, l'une des plus grandes menaces qui pèsent sur les éléphants.

En 2012, dans le cadre d'une autre mesure de coopération visant à protéger les éléphants, cinq pays du sud de l'Afrique ont conjugué leurs efforts afin de créer une aire de conservation qui dépasse les frontières nationales. L'idée derrière cette zone appelée Kavango Zambezi Transfrontier Conservation Area (KAZA) était d'établir un espace où les animaux pouvaient récupérer après des décennies de déclin et promouvoir le développement humain durable. Toutefois, cette initiative ne réglait pas non plus la question du commerce.

Selon les auteurs de l'étude, la mesure essentielle en termes de coopération transnationale en faveur des éléphants est l'octroi par tous les pays d'Afrique du plus haut niveau de protection pour tous les éléphants africains, en vertu du CITES. D'après Katarzyna Nowak, la perspective qu'une poignée de pays relance le commerce d'ivoire suffit à faire peser une menace sur les éléphants.

« Les perspectives de l'ouverture d'un commerce peuvent favoriser les activités illégales », explique-t-elle.

Lors du sommet du commerce d'espèces sauvages l'année dernière en Afrique du Sud, un vote s'est tenu afin d'octroyer aux éléphants du Botswana, de Namibie, d'Afrique du Sud et du Zimbabwe les mêmes protections prévues par l'annexe I du CITES que pour ceux de 33 autres pays africains. L'ensemble de ces pays et le Botswana ont voté en faveur, tandis que les trois autres pays d'Afrique australe, les États-Unis et l'Union Européenne s'y sont opposés.

Les États-Unis craignaient que les pays d'Afrique australe ne se constituent des « réserves », voire ignorent formellement l'interdiction d'ivoire si elle venait à être adoptée (ce qui est autorisé en vertu du CITES). Pour l'Union Européenne, les populations d'éléphants de certains pays d'Afrique étaient bien assez robustes pour ne pas justifier davantage de protection. Quant à la Namibie, le Zimbabwe et l'Afrique du Sud, ils souhaitent conserver la possibilité d'un commerce d'ivoire légal.

La chercheuse ne cache pas sa déception. « Les raisons du déclin du nombre d'éléphants ne dépendent pas d'un seul pays ; or, le CITES ne peut transcender les frontières nationales », déplore-t-elle. « Il est autant question de coopération et de diplomatie que de protection des éléphants. »

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