Au secours des chauves-souris françaises

Corridor noir, chiroptéroduc… Des chercheurs proposent d’instaurer des aires de passage dédiées au mammifère en déclin, aux abords des autoroutes et des villes françaises. Explications.

De Julie Lacaze
La pipistrelle commune ou Pipistrellus pipistrellus est la chauve-souris la plus fréquemment rencontrée en France.
La pipistrelle commune ou Pipistrellus pipistrellus est la chauve-souris la plus fréquemment rencontrée en France.

En 2013, la ville de Strasbourg a fait abattre, sans le savoir, un platane où gîtait une colonie d'un demi-millier de chauves-souris de l’espèce des noctules communes. Un véritable drame pour Julie Pauwels et Fabien Claireau, deux doctorants qui mettent au point des solutions pour conserver l'animal dans les milieux urbains et ruraux. Si certains chiroptères des villes s'installent dans les arbres, d'autres nichent sous les toitures, comme la pipistrelle commune. Le murin de Daubenton préfère, lui, les joints de dilatation des ponts. En somme, l’animal peuple des espaces obscurs, silencieux et peu fréquentés. Des zones en recul dans les villes d'aujourd'hui.

Julie Pauwels travaille au Muséum national d'histoire naturelle, à Paris. Dans le cadre de sa thèse, elle étudie l'effet de la pollution lumineuse sur la pipistrelle commune, la chauve-souris la plus courante en France. Le mammifère nocturne s'adapte bien à la vie dans les agglomérations. « La pipistrelle se sert de l'éclairage urbain comme d'une aubaine pour attraper les insectes », explique Julie Pauwels. L'une des plus importantes colonies de France gîte d'ailleurs dans le quartier de l'Odéon, à Paris, sous un pont de la ceinture verte, une zone laissée en friche le long d'une ancienne voie de chemin de fer. « Mais, en dehors des périodes de chasse, la colonie déteste que son gîte d'entrée ou ses déplacements soient éclairés. » Les lampadaires déciment de surcroît les populations d'insectes volants, qui, captivés par la lumière, s'épuisent à tourner en rond. La nourriture essentielle des chauves-souris est ainsi menacée.

La solution envisagée pour que les différentes espèces se portent mieux consiste à créer des corridors noirs, c'est-à-dire des espaces laissés dans l’obscurité la nuit pour faciliter le déplacement des animaux. L’équipe de recherche de Julie Pauwels cartographie les corridors écologiques existants. Ces derniers sont des espaces de végétation laissés en friche (trame verte) ou des cours d’eau (trame bleue) à la disposition des animaux. Leur idée : les associer à ces zones d'obscurité. La spécialiste a notamment travaillé sur un projet de ce type dans l'agglomération de Lille. « De nombreux couloirs écologiques ont été définis en France, mais ne sont pas appliqués, déplore la chercheuse. À Paris, par exemple, une trame verte et bleue existe depuis plusieurs années, mais sa localisation n'a jamais été rendue publique. Même nous, spécialistes, ne savons pas où elles se situent !»

Le petit rhinolophe ou Rhinolophus hipposideros est une espèce de chauve-souris très peu fréquente en France. En 2016, la présence d'individus de cette espèce a pourtant été détectée dans le bois de Vincennes, près de Paris, grâce à un dispositif sonore installé par Vigi-Chiro, le groupe de suivi des chiroptères du Muséum national d'histoire naturelle.

Fabien Claireau travaille, quant à lui, sur les chauves-souris fréquentant les abords des réseaux routiers. Pour aller chasser, les mammifères volants utilisent des repères dans le paysage : haies, cours d'eau, etc. Les axes routiers constituent des obstacles aux déplacements de l’animal. Résultat : les chauves-souris, désorientées, entrent en collision avec les voitures ou restent bloquées, ce qui réduit leur territoire de chasse et peut affecter la diversité génétique des espèces. « Pour pallier ce problème, des chiroptéroducs ont été installés, explique le jeune chercheur. Il en existe aujourd'hui cinq en France métropolitaine : un aux abords de l'autoroute A65, en Nouvelle Aquitaine ; deux au niveau de l'A89, en Auvergne-Rhône-Alpes ; un près de l'A83, tout près de Niort ; et un dernier sur la D901, vers Beauvais, au nord de Paris. » Les chiroptéroducs peuvent être des structures complexes, apparaissant comme de larges ponts en métal de forme cubique ou en U. Certains sont plus minimalistes, ressemblant à des panneaux de signalisation ou à un réseau de cordes associées à des boules en polystyrène. Avec leur système d'écholocation, les chauves-souris peuvent s’appuyer sur ces constructions placées en hauteur, ce qui leur permet de voler plus haut qu’avec un point de repère au sol. Elles franchissent ainsi la route en toute sécurité.

 

« Malheureusement, mes recherches montrent que ces chiroptéroducs n'ont pas tous été placés aux bons endroits, affirme le biologiste. Deux d’entre eux se situent dans une zone boisée divisée en deux par une route. Dans ces cas de figure, 50 % des chauves-souris environ n'utilisent pas les structures. Un autre a été placé trop loin des repères habituels des chauves-souris. Résultat : elles ne l'empruntent pas du tout. Seul celui de Niort, installé au niveau d'une haie rompue par l’autoroute, est devenu un lieu de traversée important. »  Comme pour les corridors noirs, la meilleure option reste d'associer les chiroptéroducs aux corridors écologiques existants, qui constituent déjà des repères dans le paysage pour les chauves-souris. « Dans l'idéal, il faudrait construire des passages souterrains, mais cela est trop contraignant dans le cadre de la modernisation des infrastructures », conclut-il.

Trajectoire d'une chauve-souris en caméra thermique au-dessus d'un chiroptéroduc construit sur l'A83, près de Niort.
PHOTOGRAPHIE DE Fabien Claireau

Bref, du côté de la recherche, la solution miracle n'existe pas. Mais certaines initiatives sont à la portée de tous, comme l’installation de chiroptières. Ce sont de petits espaces laissés dans la toiture des bâtiments pour que les chauves-souris puissent y gîter. Autre option : les gîtes artificiels, placés sur les murs ou dans les arbres. « Des Toulousains en ont disposés le long du canal du Midi pour lutter contre les moustiques tigres, assure Julie Pauwels. Pas sûr que ça marche, car ces moustiques sont plutôt diurnes ! » Autre idée : mener des actions de sensibilisation du grand public. Les groupes de protection des chauves-souris sont très présents sur le territoire français. Ils se rendent chez les personnes, parfois hostiles et effrayées par la présence des chauves-souris chez elles. Leur mission : les convaincre de ne pas les chasser et même d’effectuer de petits aménagements pour éviter les désagréments, comme tendre des bâches plastiques au sol dans les greniers afin de recueillir urine et excrément. « Ce dernier est d'ailleurs un fabuleux engrais, ajoute Fabien Claireau. Quant à moi, je vais me rendre ce soir dans un parc pour identifier des noctules communes. » Le réseau de surveillance des chauves-souris nantais, dont il est membre, indique aux services municipaux les arbres où gîtent les chiroptères. Ce qui permet d'éviter des hécatombes comme celle de Strasbourg.

 

Dans le numéro de juillet 2018 du magazine National Geographic, un reportage sur les chauves-souris carnivores, vivant dans des temples maya, au Mexique.

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