Un New-Yorkais condamné à 9 mois de prison pour trafic illégal d'espèces sauvages

Arogkron Malasukum a été condamné à neuf mois de prison pour avoir exporté illégalement des crânes, griffes et dents de félins menacés à un bijoutier en Thaïlande.

De Rene Ebersole
Publication 10 août 2018, 16:00 CEST
En moins de deux ans, Arogkron Malasukum a exporté 68 colis illégaux vers la Thaïlande. Ces ...
En moins de deux ans, Arogkron Malasukum a exporté 68 colis illégaux vers la Thaïlande. Ces derniers contenaient des dents de tigres et de lions qu'il retirait des crânes des animaux, avant de les placer dans des paquets individuels et de les étiqueter comme « jouets pour chien » ou « décorations pour la maison ».
PHOTOGRAPHIE DE Brian Gourgues, U.S. Fish and Wildlife Service

En avril 2016, des agents gouvernementaux en charge de la surveillance des trafics illégaux d'espèces sauvages ont appris qu'Arogkron Malasukum, citoyen américain d'origine thaïlandaise, était à la recherche d'un crâne de tigre. Âgé de 42 ans, l'homme qui se fait appeler Paul confie qu'il est prêt à payer 700 $ (610 €) pour l'objet.

Deux semaines plus tard, Arogkron Malasukum frappe à la porte d'une chambre d'hôtel de Lewisville, dans la banlieue de Dallas, au Texas. À l'intérieur se trouvent son acheteur et l'associé de ce dernier, qui l'attendent avec la marchandise. Les deux hommes sont en réalité des agents sous couverture du U.S. Fish and Wildlife Service. Malasukum les paye en liquide, avant d'autoriser l'un des deux hommes à l'accompagner tandis qu'il prépare le colis pour envoyer le crâne blanchi à son domicile, situé dans le Queens à New York. Malasukum confie qu'il recherche quelques faux acheteurs pour acquérir lors d'une vente aux enchères à Forth Worth, au Texas, des parties du corps de tigres et de lions. Vivant à New York, il explique qu'il ne peut pas acheter les objets et que s'il les transporte vers un autre État, il commettrait un délit, comme le stipule la loi américaine sur la contrebande. Comme les acheteurs venaient eux du Texas, ils pouvaient se rendre à la vente pour acheter le crâne en toute légalité.

Le jour suivant, les deux agents se rendent à la vente aux enchères. Malasukum orchestre tout, envoyant des SMS, passant des appels à mi-voix et rencontrant brièvement les deux agents à l'extérieur de la salle des enchères. Il demande à l'un des agents de miser sur plusieurs objets issus d'animaux sauvages, comme quelques parties d'un lion d'Afrique, une espèce menacée. Au total, il dépensera près de 1 500 €.

De retour à New York, il retire du crâne d'un coup sec les dents tranchantes. Il empaquette ensuite les dents, les griffes (les répartissant dans plusieurs colis) et les autres objets achetés aux enchères dans des colis séparés. Ainsi, si les autorités saisissent un crâne intact, il ne perdra pas tout. Pour en dissimuler le contenu, il étiquette les colis comme « jouets pour chien » et « décorations pour la maison ». Puis il envoie les paquets à un acheteur en gros vivant en Thaïlande, qui fabrique toutes sortes de bijoux à partir de ces petits fragments issus de ces créatures féroces qui étaient il y a quelques temps encore les rois et les reines des savanes d'Afrique.

Pendant un an et demi, les agents ont continué d'agir comme faux acheteurs, accumulant les preuves contre Malasukum. Ce dernier sera finalement accusé, en octobre 2017, d'avoir exporté illégalement 68 colis contenant des parties de lions et de tigres, pour la somme de 130 000 €. En novembre, il plaide coupable face aux accusations qui le concernent. Le 1er août dernier, il a été condamné par un juge fédéral à Sherman, au Texas, à neuf mois de prison suivis d'une année de libération conditionnelle pour avoir fait du trafic de produits issus d'animaux sauvages menacés.

« Il nous aura fallu des centaines d'heures de travail sous couverture pour prouver cette affaire, passant en revue emails et SMS et réalisant des perquisitions », a déclaré Phillip Land, agent spécial du Fish and Wildlife qui a supervisé l'opération. « Les trafiquants comme Paul créent le marché de ces parties d'animaux, et les braconniers s'y intéressent pour gagner de l'argent », confie Gary Donner, représentant du Département de la Justice.

Denise Benson, l'avocate d'Arogkron Malasukum, a conseillé à son client de ne pas commenter la décision des juges, en raison de sa compréhension de l'anglais, qui est limitée, a-t-elle expliqué. Elle a toutefois confirmé que le tribunal lui avait demandé de se présenter à la prison le 10 septembre prochain.

Le Département de la Justice a confié que la condamnation de Malasukum était le résultat d'une vaste enquête menée par le Fish and Wildlife Service et qui est toujours en cours. Celle-ci concerne le commerce illégal de cornes de rhinocéros et d'ivoire d'éléphants et cible les organisations criminelles internationales de braconnage et de contrebande. Baptisée « Opération Crash », le terme anglais pour désigner un clan de rhinocéros, l'opération secrète multinationale a débuté il y a sept ans, lorsque les autorités responsables de l'application de la loi relative aux espèces sauvages ont constaté une hausse du nombre de rhinocéros victimes du braconnage.

À ce jour, des dizaines de personnes ont été condamnées pour avoir participé au trafic illégal de cornes de rhinocéros provenant d'Afrique, écopant au total d'1,8 millions d'euros d'amende, de 4,8 millions d'euros en dédommagement et de 438 mois de prison selon le Fish and Wildlife Service. Chaque condamnation a fourni des renseignements supplémentaires sur d'autres trafiquants qui tirent profit des espèces menacées, à l'instar des rhinocéros, des éléphants, des tigres, des lions et des pangolins.

Les dents de lions et de tigres sont très recherchées en Asie, où elles sont utilisées pour fabriquer des colliers, censés protéger la personne qui le porte. Elles entrent aussi dans la composition de médicaments traditionnels qui soignent affections et maladies en tout genre, de l'insomnie au paludisme.
PHOTOGRAPHIE DE Brian Gourgues, U.S. Fish and Wildlife Service

Shennie Patel, avocat plaidant spécialisée dans les affaires liées au trafic d'espèces sauvages au sein du service des crimes environnementaux du Département de la Justice, a indiqué que cette affaire lui en rappelait une autre. En 2013, l'Opération Crash avait permi de condamner un père et son fils, Vinh Chuong Kha dit « Jimmy » et Felix Kha. Les deux hommes achetaient des cornes de rhinocéros qu'ils exportaient en Asie. Là-bas, elles étaient sculptées, décorées de vignes, paysages, animaux et autres éléments et transformées en coupes à libation. Si en Asie, les anciens utilisent ces coupes pour la médecine traditionnelle, la jeune génération nouvellement riche recherche ces objets, qui peuvent valoir plus de 400 000 €, pour afficher leur statut social. Jimmy et Felix Kha ont ainsi gagné des millions en ciblant ce marché haut de gamme.

Les deux hommes ont été arrêtés en février 2012. En plus des cornes de rhinocéros, les agents ont également saisi près de 900 000 € en espèces, environ la même somme en lingots d'or, bijoux, montres et pierres précieuses, ainsi qu'une BMW de 2009.

Malasukum, tout comme la famille Khas, achetait et vendait des parties du corps d'animaux sauvages, principalement lors de ventes aux enchères. Selon l'avocate plaidant, ces ventes attirent souvent les acheteurs malfaisants. « La loi précise qu'il est possible de vendre des parties issues du corps d'espèces protégées lors de ventes aux enchères et qu'il est possible de les acheter. Ce qui est interdit, c'est de vendre ces objets à un citoyen d'un autre État ou d'un autre pays », a-t-elle expliqué. « C'est une violation de la loi fédérale. Dans la plupart des ventes aux enchères, la loi est indiquée, mais les organisateurs ne peuvent pas savoir ce que les acheteurs font des objets qu'ils ont acheté une fois qu'ils partent. »

La demande en parties issues du corps d'animaux est telle que des espèces, comme les rhinocéros, les éléphants, les tigres et les lions, sont braconnés à un rythme sans précédent. « Plus l'animal est rare, plus grand est l'intérêt pour des objets qui en sont issus », ajoute Shennie Patel.

Il y a un siècle, une centaine de milliers de tigres sauvages vivaient en Asie, sur un territoire s'étalant de la Turquie à la Russie. Selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), qui a créé une « liste rouge » spécifiant le statut de conservation des espèces, il reste aujourd'hui moins de 4 000 individus à l'état sauvage dans le monde et leur aire de répartition a chuté de 96 %. En raison de la réduction constante de leur habitat et du braconnage qui alimente le commerce d'espèces sauvages, cette tendance à la baisse du nombre de tigres devrait se poursuivre.

Les lions ne sont pas non plus épargnés. Selon l'IUCN, leur nombre est passé de 200 000 à 20 000 en seulement 100 ans. Si la menace la plus importante qui pèse sur ces félins est leur massacre en représailles des humains ou du bétail qu'ils ont pu tuer, le commerce de leurs os et d'autres parties issues de leur corps n'est pas en reste. De plus, les tigres devenant de plus en plus rares, les braconniers se tournent de plus en plus vers les lions d'Afrique, n'hésitant pas à faire passer des dents de lion pour celles d'un tigre. 

« Il faut que cela cesse », confie Shennie Patel. « Si nous continuons ainsi, les tigres auront disparu d'ici quelques années, et les lions seront les suivants. »

Si la condamnation de Malasukum est une nouvelle victoire pour les défenseurs des animaux sauvages, elle reste maigre face à l'énorme marché illégal d'espèces sauvages, qui représente plus de 17 milliards d'euros. L'avenir des espèces les plus fascinantes au monde dépend fortement de la demande en parties issues de leur corps.

 

Rene Ebersole écrit, entre autres pour Audubon, Popular Science, Outside et The Nation, des articles scientifiques et environnementaux. Suivez-la sur Twitter et LinkedIn.

Wildlife Watch est un projet d'articles d'investigation entre la National Geographic Society et les partenaires de National Geographic. Ce projet s'intéresse à l'exploitation et à la criminalité liées aux espèces sauvages. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles et à faire part de vos impressions sur ngwildlife@natgeo.com.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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