L’évolution de deux espèces de lézards observée par des robots

Sur l’île Dominique, dans la mer des Caraïbes, deux espèces de lézards dont l’une est endémique et la seconde invasive sont étudiées minutieusement. Le but : de comprendre leurs évolutions et interactions après le passage de l’ouragan Maria.

De Arnaud Sacleux
Publication 29 août 2019, 16:59 CEST
L'Anolis oculatus, lézard endémique de l'île Dominique, cohabite avec une autre espèce d'anoles intrusive, l'Anolis cristatellus. ...
L'Anolis oculatus, lézard endémique de l'île Dominique, cohabite avec une autre espèce d'anoles intrusive, l'Anolis cristatellus. Cette seconde espèce s'adapte mieux aux territoires urbains, au contraire de l'espèce native qui préfère les endroits boisés.
PHOTOGRAPHIE DE Aymeric Mauroy

Avec près de 400 espèces différentes, la famille Anolis est l’amniote le plus riche en espèces et, par conséquent, un véritable cas d’école pour observer en direct leurs formes d’adaptation sur un temps court ; depuis quelques années, certaines sont les sujets de diverses études. Des chercheurs en Floride par exemple analysent l’évolution ultra-rapide de plusieurs espèces d’anoles sur le territoire, quand d’autres étudient l’influence des ouragans Irma et Maria sur l’adaptation des anoles dans les îles Turques-et-Caïques. Claire Dufour, chercheuse à l’Université d’Harvard et au Museum of Comparative Zoology et exploratrice National Geographic, étudie quant à elle depuis 2016 les anoles de la Dominique et les interactions entre l’espèce endémique de l’île appelée Anolis oculatus et une espèce invasive originaire de Porto Rico, importée par le biais du transport de bananes il y a 20 ans, Anolis cristatellus. Une étude parue dans le Journal of Zoology.

 

L’INVASION D’ANOLIS CRISTATELLUS, UN SYSTÈME UNIQUE

L’invasion d’une espèce dans l’aire de répartition d’une autre espèce, en l’occurrence native et proche phylogénétiquement, représente l'opportunité de comprendre et d’observer en direct les mécanismes de coexistence que celles-ci mettent en place. Claire Dufour a commencé son étude par deux premières missions de terrain. L'une en 2016, qui a permis l’établissement d’une énorme base de données documentant les comportements de ces deux espèces ainsi que leur aire de répartition, leur morphologie ainsi que leur physiologie. Au total, près de 800 lézards répartis sur six sites de l’île ont été étudiés.

L'anolis, le lézard des caraïbes

Une seconde mission avait pour but d'étudier l'évolution des comportements agressifs de l'espèce endémique face aux individus de l'espèce invasive, grâce à des robots lézards, une méthode non-intrusive dans ces espaces encore préservés et qui, pour la chercheuse, sera le principal recours pour une grande partie des futures recherches.

« Nous sommes ici pour étudier le comportement d’espèces dans leur milieu naturel, ce qui est impossible si on les met en cage, parce que leur comportement naturel serait perturbé » confirme Claire Dufour. « Nous avons construit un robot pour chaque espèce, imitant les traits comportementaux et morphologiques de celles-ci pour tester le comportement des lézards Anolis. »

Une troisième mission a été lancée en 2018, après l’ouragan Maria survenu dans la région en 2017. En raison du caractère imprévisible de cette tempête, le taux de survie des lézards durant cette période n’a pas pu être estimée. Celle-ci avait pour but de voir si l'ouragan avait induit une sélection naturelle sur les capacités d'accroche et la morphologie des pattes des anoles.

 

DES CHANGEMENTS COMPORTEMENTAUX PLUS QUE DES CHANGEMENTS MORPHOLOGIQUES ?

L’un des premiers et principaux apports de cette partie de l'étude concerne la sélection naturelle des lézards impulsée par l'ouragan. « Cette acclimatation peut être suivie par des aspects physiques et physiologiques évolutifs » affirme la chercheuse. La force d’accrochage des lézards aux arbres était par exemple dix fois plus importante après le passage de l'ouragan Maria, ce qui prouve que ce dernier a favorisé les individus avec une force d'accroche supérieure. La capacité d’adaptation étant le plus souvent inversement proportionnelle à la longévité d’une espèce, cette adaptation rapide est possible car le cycle de vie des anoles est court, en raison de leur petite taille.

Selon la chercheuse, l’intérêt de cette étude a été aussi de montrer que « les changements étaient d’abord comportementaux avant d’être physiologiques puis morphologiques. » 

En ce sens, l’espèce endémique, les Anolis oculatus, diffèrerait de l'espèce invasive ; la première privilégierait les espaces boisés quand la seconde préfèrerait « les environnements perturbés, détruits, chaotiques, les centres urbains. » Si tel était vraiment le cas, cette caractéristique pourrait porter préjudice à l’espèce native, classée sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) , puisqu'elle verrait les Anolis cristatellus « prendre le dessus ». « Rien n’est fait pour empêcher la propagation [de l’espèce intrusive] » car elle ne nuit pas à l’Homme ajoute la chercheuse.

La situation pourrait donc évoluer au détriment de l’espèce endémique. « Il y a de fortes chances que des projets comme celui de construire un grand aéroport en Dominique favorise l’espèce invasive » conclut Claire Dufour.

 

Les propos de Claire Dufour ont été recueillis par Romy Roynard.
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