Découverte : première preuve tangible de cannibalisme chez les dinosaures

De nouveaux fossiles montrent que le féroce allosaure aurait jeté son dévolu sur les carcasses des membres de sa propre espèce.

De John Pickrell
Ce crâne d'Allosaurus de l'ère jurassique a été trouvé au monument national Dinosaur, dans l'Utah. Les fossiles d'Allosaurus portant des marques de ...

Ce crâne d'Allosaurus de l'ère jurassique a été trouvé au monument national Dinosaur, dans l'Utah. Les fossiles d'Allosaurus portant des marques de morsure laissent à penser que ce dinosaure se nourrissait de ses congénères.

PHOTOGRAPHIE DE Breck P. Kent, Earth Scenes/Nat Geo Image Collection

La découverte de fossiles recouverts de traces de morsures suggère qu'au moins un type de grand dinosaure était dans une situation si problématique qu'il s'était résolu à dévorer les membres de sa propre espèce.

Sur les 2 368 os fossilisés mis au jour depuis 1981 dans le Jurassique supérieur de la carrière Mygatt-Moore, un étonnant pourcentage de 29 % présente des marques de morsures ; une proportion six fois supérieure à celle de sites similaires dans d'autres régions, comme l'indique l'étude parue dans la revue PLOS One. Ces os apportent la preuve que les allosaures, les carnivores de loin les plus présents sur ce site, avaient un dangereux appétit pour leurs congénères.

Le cannibalisme chez les dinosaures n'est pas nécessairement surprenant. Bon nombre de grands prédateurs, comme les crocodiles ou les alligators, dévorent les membres de leur propre espèce dans certaines circonstances. « Tout prédateur majeur actuel n'hésitera pas à manger un animal de sa propre espèce, que ce soit un dragon de Komodo, un ours ou un lion, » affirme Mark Loewen, paléontologue au musée d'histoire naturelle de l'Utah à Salt Lake City. « S'il y a un animal mort, les carnivores le mangeront. »

Dans cette illustration, des allosaures se battent pour les restes d'autres dinosaures.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Engh

Ce qui est inhabituel en revanche, c'est de trouver des preuves de cannibalisme dans la chronique fossile, indique l'auteure principale de l'étude, Stephanie Drumheller, paléontologue au sein de l'université du Tennessee à Knoxville. « On ne dispose de preuves solides de cannibalisme que pour une poignée d'autres espèces de théropodes. » Le fait de savoir où et quand ce genre de comportements s'est produit peut exposer des détails essentiels sur l'état des environnements préhistoriques.

« Peut-être que cet écosystème était dans une phase anormale, que ces animaux devaient se battre pour leur nourriture et pousser à l'extrême le comportement de charognard en se nourrissant du moindre reste à leur portée, » suggère Drumheller.

Son équipe pense que les dinosaures auraient trouvé la mort autour d'un point d'eau éphémère qui aurait connu de longues périodes de sécheresse. Leurs carcasses auraient ensuite été recouvertes de sédiments au cours d'un long processus.

« On se dit sans cesse en plaisantant que s'il était possible de remonter le temps pour visiter ce lieu, il y aurait sûrement une odeur nauséabonde, car tout porte à croire que ces carcasses sont restées un très long moment dans les environs, » ajoute-t-elle.

 

UNE HISTOIRE DE DENTS

Le site fossilifère de Mygatt-Moore fait partie de la formation de Morrision, une longue strate rocheuse datée à 150 millions d'années environ. Cette formation s'étend à travers l'ouest des États-Unis et compte parmi les sources de fossiles de dinosaures les plus prolifiques du pays.

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    Cet orifice dans le tibia fossilisé d'un allosaure suggère aux scientifiques que ces dinosaures se nourrissaient de la carcasse de leurs pairs.

    PHOTOGRAPHIE DE Stephanie Drumheller-Horton, fossiles conservés au Museums of Western Colorado

    Sur la plupart des autres sites fossilifères majeurs de la formation de Morrison, les marques de morsures sont nettement moins fréquentes. Par exemple, dans la carrière à dinosaures de Cleveland-Lloyd en Utah, « ce sont bien moins de 5 % des 20 000 os mis au jour qui présentent ce type de stigmates, » indique Loewen, qui a récemment introduit une nouvelle espèce d'allosaure mais n'a pas pris part à cette étude.

    À l'inverse, Mygatt-Moore était « un lieu où les dinosaures venaient se nourrir, » dit-il. « Ce qui est intéressant avec cette étude, c'est le grand nombre de morsures de théropodes identifiées sur les os. Cela signifie que les carcasses restaient en surface, à la portée des charognards. »

    Alors que la plupart des 684 fossiles présentant des marques de morsures appartenaient à des dinosaures herbivores au long cou appelés sauropodes, 83 étaient ceux de dinosaures théropodes, membres d'un groupe qui comprenait toutes les espèces de carnivores.

    La grande majorité des os de dinosaures carnivores de la carrière auraient appartenu à des allosaures, de véritables tueurs dont la longueur approchait les 10 m, et une poignée d'autres à des prédateurs plus primitifs appelés cératosaures. D'autres théropodes ont été mis au jour sur d'autres sites de la formation de Morrison datant de la même période, notamment des Torvosaurus et des Saurophaganax.

    « On a donc cet assemblage largement dominé par les allosaures, avec ces marques de morsures de théropodes sur tous les fossiles, » résume Drumheller. « Cela nous indique qu'au moins certaines de ces marques proviennent d'allosaures, et on les trouve sur d'autres allosaures. » Elle pense que les espèces de dinosaures carnivores de ce site auraient pu s'entre-dévorer de temps à autre.

     

    DERNIER ARRIVÉ, DERNIER SERVI

    Même si des recherches effectuées il y a plusieurs dizaines d'années laissaient déjà entrevoir une pratique du cannibalisme chez les allosaures, la nouvelle étude apporte « la preuve la plus solide à ce jour » que ces dinosaures se nourrissaient parfois de leurs congénères, indique Thomas R. Holtz, paléontologue spécialiste des dinosaures carnivores au sein de l'université du Maryland à College Park.

    Sur l'ensemble des théropodes présents dans les écosystèmes du Jurassique, les allosaures « étaient ceux qui avaient les dents les plus solides, ce qui faisait d'eux les mieux adaptés au contact dent sur os, » explique-t-il. Associez à cela la forme et la taille des éraflures ainsi que les stries correspondant aux dents dentelées des allosaures et vous obtenez un ensemble probant de « preuves indiquant que ces morsures étaient celles d'allosaures, donc du cannibalisme. »

    Drumheller et sa coauteure Julia McHugh du Museums of Western Colorado, l'organisme responsable de la carrière de Mygatt-Moore, précisent que, dans la plupart des cas, ces allosaures se limitaient probablement à manger leurs congénères déjà morts plutôt que de tuer puis dévorer les membres de leur propre espèce. La majorité des traces de morsure se situent sur les parties les moins charnues et les moins nutritives des carcasses, comme les orteils, ce qui soutient l'idée d'un charognard jetant son dévolu sur une carcasse morte depuis longtemps.

    « Quiconque se tournait vers ces parties du corps devait forcément arriver tard dans le processus de consommation des restes, car personne n'opterait pour un orteil s'il restait un morceau de cavité ventrale, » explique-t-elle.

    Ce plan rapproché d'une vertèbre d'allosaure montre des marques striées, probablement infligées par les dents dentelées d'un autre théropode.

    PHOTOGRAPHIE DE Stephanie Drumheller-Horton, fossils held at the Museums of Western Colorado

    D'après Holtz, observateur externe à l'étude, ces résultats sont également intéressants, car « les preuves sans ambiguïté du comportement de charognard chez les dinosaures se font rares puisqu'il est difficile de le documenter directement. »

    Alors que les paléontologues espèrent généralement tomber sur des squelettes fossilisés aussi intacts et complets que possible, pour Drumheller ce sont plutôt les os semblables à ceux de Mygatt-Moore, « légèrement cabossés », qui sont les plus fascinants.

    « Ces os accidentés, griffés et même troués provoquent souvent la déception de ceux qui les trouvent, alors que moi je suis ravie, » raconte-t-elle.

    « Si vous vous intéressez à l'environnement et aux interactions entre ces animaux — qui mangeait qui et les événements post-mortem — alors le moins beau sera le plus utile. »

     

    Retrouvez John Pickrell sur Twitter.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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