Luxe : des milliers d'articles en cuir exotique auraient été saisis

Un rapport révèle que les autorités américaines auraient saisi des milliers d'articles en cuir exotique destinés à des enseignes comme Chanel, Ralph Lauren, Gucci, Michael Kors et bien d'autres entre 2003 et 2013.

De Rachel Nuwer
Publication 27 mai 2020, 16:58 CEST
Ces bottes en cuir de reptile illégalement importées ont été saisies par les agents du Fish ...

Ces bottes en cuir de reptile illégalement importées ont été saisies par les agents du Fish and Wildlife Service des États-Unis. D'après une étude récente, les agents de ce service ont saisi 5 607 articles de prêt-à-porter de luxe jugés illégaux entre 2003 et 2013. Parmi ces articles, 70 % étaient des produits en cuir, notamment en peau de reptile.

PHOTOGRAPHIE DE Kate Brooks, Redux

Entre 2003 et 2013, plus de 5 600 articles de prêt-à-porter de luxe ont été saisis par le Fish and Wildlife Service des États-Unis aux différents ports d'entrée sur le territoire américain. Griffés de marques aussi célèbres que Ralph Lauren, Gucci, Michael Kors et bien d'autres, ces articles avaient tous été fabriqués à partir de produits animaux illégaux, c'est ce que National Geographic a pu apprendre des chercheurs qui ont récemment publié leurs travaux dans la revue EcoHealth.

L'analyse n'accuse pas ces entreprises de prêt-à-porter de luxe de s'être intentionnellement adonnées au trafic de produits illégaux ; elle ne révèle pas non plus le nom des entreprises dont les importations illégales sont les plus récentes. Depuis 2013, le gouvernement des États-Unis ne divulgue plus au grand public les noms des entreprises ayant importé des produits animaux, une décision contestée devant les tribunaux.

Cependant, pour l'auteure principale de l'étude, Monique Sosnowski, doctorante en justice pénale à l'université de la ville de New York (CUNY), ces saisies mettent en évidence le manque de contrôles adéquats tout au long de la chaîne d'approvisionnement. « On ne veut pas simplement pointer Gucci du doigt en disant "Vous êtes horribles d'utiliser ces produits," mais plutôt montrer l'échec du système dans son ensemble, » explique-t-elle. « Il y a tout un tas de protections en vigueur et pourtant ces entreprises ont réussi d'une façon ou d'une autre à importer des marchandises illégales. »

Pour leur analyse, Sosnowski et Gohar Petrossian, criminologue rattaché à la CUNY, ont invoqué le Freedom of Information Act (FOIA) afin d'obtenir les registres des saisies du Fish and Wildlife Service des États-Unis de 2003 à 2013. Ils ont ainsi identifié 474 saisies associées au prêt-à-porter de luxe portant sur 5 607 articles individuels, dont près de 70 % étaient des produits en cuir exotique. Les produits issus de reptiles représentaient 84 % de l'ensemble des articles, pour la plupart des ceintures, bracelets de montres, portefeuilles, chaussures et sacs à main.

Il est presque certain que ces chiffres sous-estiment la gravité du problème. Les études portant sur l'application de la loi montrent régulièrement que les autorités américaines ne parviendraient à intercepter qu'une cargaison de produits animaux sur dix, indique Bruce Weissgold, ex-analyste des renseignements liés au trafic de reptile et spécialiste du commerce international au sein du Fish and Wildlife Service des États-Unis.

L'étude publiée au mois de janvier par la CUNY révèle que malgré les multiples couches de contrôles mises en place à l'entrée des pays ou des entreprises, les produits animaux illégaux parviennent tout de même à polluer les chaînes d'approvisionnement de certaines marques de prêt-à-porter parmi les plus réputées au monde, que celles-ci soient ou non conscientes du problème. Bien que l'étude se concentre principalement sur les registres des services de répression allant de 2003 à 2013, les chiffres globaux de 2008 à 2019 analysés par Sosnowski suggèrent que le trafic d'espèces sauvages reste un problème sérieux aux États-Unis. L'année dernière, plus de 4 000 cargaisons de produits animaux illégaux ont été saisies.

Parmi les entreprises figurant sur la liste, un certain nombre appartiennent à LVMH, notamment Louis Vuitton, Loro Piana, Marc Jacobs, Christian Dior, Givenchy et Fendi. La porte-parole du groupe, Molly Morse, a déclaré par e-mail que les saisies connectées à LVMH « remontaient à plusieurs années et étaient généralement liées à des processus administratifs ou d'étiquetage. »

« Nous suivons des formations et des processus internes rigoureux afin d'entrer en conformité avec la législation… et nous sommes en contact permanent avec les régulateurs du monde entier en ce qui concerne les lois émergentes, » a-t-elle indiqué.

D'après Neha Wadhwa, porte-parole de Ralph Lauren, l'inclusion de l'entreprise à la liste des saisies est « incorrecte et trompeuse, » avant d'ajouter par e-mail, « Nous sommes forts d'une longue histoire d'engagement envers le bien-être animal. Nous étions parmi les premières marques de luxe à renoncer à la fourrure il y a 15 ans et nous continuons de veiller à ce que toutes les espèces soient sourcées de manière durable. »

Les représentants de Michael Kors, Jil Sander et Coach n'ont pas souhaité répondre à nos questions relatives aux saisies. Le groupe Kering, propriétaire de Gucci et d'autres entreprises citées dans la liste notamment Alexander McQueen, Bottega Veneta et Yves Saint Laurent, a accusé réception de la demande de National Geographic sans toutefois apporter de réponse.

Bien que la plupart des entreprises n'aient fait part d'aucun commentaire à propos des produits saisis, bon nombre d'entre elles ont mis en place des politiques de responsabilité sociale de l'entreprise censées promouvoir la traçabilité, le bien-être animal, l'exploitation durable des espèces sauvages et parfois même l'interdiction de certains produits animaux.

 

ANONYMAT

L'équipe de l'université de la ville de New York a omis les noms des entreprises connectées aux saisies dans leur article de la revue EcoHealth car, comme l'affirme Sosnowski, l'objectif d'une publication dans une revue scientifique n'est pas de nommer ou de mettre dans l'embarras les parties (pays, entreprises ou individus) qui auraient pu être associées à des activités illégales mais plutôt d'identifier les tendances au sens large. Sosnowski indique avoir partagé la liste avec National Geographic exclusivement afin de « sensibiliser [les consommateurs] au problème. »

D'après le registre officiel, Ralph Lauren représentait 29 % des articles saisis, suivi par Gucci (16 %), Michael Kors (10 %), Jil Sander (6 %) et Coach (5 %). Gucci est l'entreprise qui a connu le plus grand nombre de saisies individuelles (50), suivie par Yves Saint Laurent à 41.

Les données relatives au commerce international montrent que 11,7 millions de produits animaux dérivés des reptiles ont été importés aux États-Unis entre 2003 et 2013, ce qui signifie que les 5 607 saisies de prêt-à-porter de luxe citées dans l'étude ne représentent que 48 pour 100 000 articles importés dérivés des reptiles, explique Daniel Natusch, biologiste de la conservation rattaché à l'université Macquarie, en Australie, membre de divers groupes spécialistes des reptiles et du Sustainable Use and Livelihoods Specialist Group de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l'organisme responsable du statut de conservation des espèces sauvages.

Cette veste en peau de léopard saisie par les autorités est suspendue à une étagère truffée d'autres produits animaux dans les locaux du National Wildlife Property Repository de l'U.S. Fish and Wildlife Service dans le Colorado.

PHOTOGRAPHIE DE Brennan Linsley, Ap

Les produits animaux, notamment les cuirs et fourrures exotiques, sont fréquemment utilisés en haute couture, même si de plus en plus d'entreprises renoncent à les utiliser en raison de la pression exercée par les consommateurs soucieux du bien être et de la conservation des animaux. Diane von Furstenberg, Chanel et Jil Sander, entre autres, n'utilisent plus de cuirs exotiques. Stella McCartney, Versace, Michael Kors et Gucci font partie de ces marques qui ont renoncé à l'utilisation des fourrures. L'industrie de la mode défend son utilisation des produits animaux légaux en invoquant les activités de subsistance qu'elle contribue à soutenir. Ces entreprises affirment également que leurs efforts sont essentiels à la conservation car ils procurent une incitation économique à gérer et protéger les espèces et leurs habitats dans le cadre d'une exploitation durable.

À l'instar de nombreux secteurs impliqués dans le commerce d'espèces sauvages et de produits animaux, des animaux aux bois exotiques en passant par les suppléments alimentaires et la médecine traditionnelle, le légal et l'illégal coexistent souvent l'un à côté de l'autre. Les pratiques et produits illicites peuvent s'introduire dans la chaîne d'approvisionnement de l'industrie de la mode de différentes façons.

Dans certains pays exportateurs d'où proviennent les animaux utilisés dans l'industrie de la mode, notamment l'Indonésie et la Malaisie, de multiples preuves attestent de l'existence d'autorités corrompues qui n'hésitent pas à couvrir les espèces sauvages acquises de façon illégale en délivrant des permis légaux aux exportateurs. Cela rend « presque impossible de savoir si telle ou telle chaussure contenue dans une caisse d'expédition est d'origine légale ou non, » témoigne Weissgold, l'ex-analyste des renseignements liés au trafic de reptile pour l'U.S. Fish and Wildlife Service.

Une autre violation fréquente consiste à étiqueter de façon trompeuse les animaux capturés dans la nature comme ayant été « élevés en captivité. »

Bien que certaines entreprises aient fait des efforts pour améliorer leurs pratiques liées aux espèces sauvages, Weissgold affirme qu'il est nécessaire d'aller plus loin. « Compte tenu de leurs ressources, de leur portée et de leur expertise, je pense qu'il incombe aux entreprises du secteur de la mode de se comporter en bon citoyen, » indique-t-il. « Elles jouissent d'une position privilégiée pour influencer leurs fournisseurs. »

 

ESPÈCES MENACÉES

Près de 58 % des saisies référencées dans le rapport publié par EcoHealth concernent les animaux capturés à l'état sauvage plutôt que ceux élevés en captivité dans des fermes.

La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) interdit strictement le commerce de 13 des 60 espèces identifiées dans les saisies. Parmi ces espèces figurent les crocodiles du Nil et les caïmans à museau large, sauf s'ils ont été élevés en captivité et disposent des permis adéquats. Deux espèces, l'antilope saïga et le crocodile du Siam, sont en danger critique d'extinction. Les chercheurs estiment qu'il ne resterait que 500 à 1 000 crocodiles du Siam dans les milieux humides du Sud-est asiatique.

La CITES définit différents niveaux de protection des espèces selon la gravité du risque d'extinction qu'elles encourent. Pour celles dont le commerce est autorisé, il est attendu des pays qu'ils délivrent des permis à l'exportation seulement si les preuves scientifiques montrent que ce commerce ne nuira pas à la survie des animaux à l'état sauvage.

Parmi les espèces concernées, 36 sont classées « Préoccupation mineure », ce qui signifie qu'elles ne sont pas menacées d'extinction, c'est le cas du python réticulé. Cependant, la plupart des autres espèces, notamment le python de Seba, les serpents Xenopeltis et plusieurs espèces de cobras n'ont pas été évalués par l'UICN et ne bénéficient à ce titre d'aucune protection de la CITES. Personne ne sait combien il reste de ces animaux à l'état sauvage, ni si leurs populations sont à la hausse ou en déclin ni si leur commerce est durable.

« Le simple fait que plus de 50 % des saisies concernent des animaux capturés dans la nature devrait tirer le signal d'alarme, » déclare Chris Shepherd, directeur exécutif de Monitor, une organisation à but non lucratif qui œuvre à la restriction du commerce d'espèces sauvages illégal et non durable. « Nous savons peu de choses du statut de bon nombre de ces espèces à l'état sauvage et par conséquent, l'impact du commerce illégal — ou légal — est largement inconnu. »

Les données ont également permis de révéler la nature internationale du commerce d'espèces sauvages, reprend Sosnowski, et le fait que ces produits illégaux traversent bien souvent de multiples frontières avant d'être interceptés. Plus de la moitié des saisies aux États-Unis ont été importées d'Italie, de France et de Suisse, bien que la plupart des produits animaux provenaient initialement de l'Asie du Sud-Est.

 

UNE INFIME PROPORTION

Les autorités policières des États-Unis estiment que seuls 10 % des produits animaux illégalement importés finissent par être saisis, d'après Weissgold, l'agent du Fish and Wildlife Service à la retraite. Par conséquent, « le mot d'ordre pour les acheteurs est la prudence, » poursuit-il. « On ne peut jamais être sûr à 100 % que le produit acheté est tout à fait légal. »

Daniel Natusch ne le rejoint pas sur ce point. « Ces entreprises comptent parmi les plus grandes et les plus responsables au monde, avec une importante image de marque à protéger, » déclare-t-il.

Natusch est convaincu que la majorité des 5 607 saisies évoquées dans l'étude étaient probablement des erreurs commises par les entreprises d'importation ou d'exportation : problème de document, erreur administrative ou simple malentendu, » comme une entreprise qui oublierait de déclarer des boutons en coquillage sur une veste.

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    Ce sac à main en peau de cobra a été saisi par les autorités avant d'être stocké dans les locaux du National Wildlife Property Repository. Les produits dérivés de reptiles représentent 84 % des 5 607 saisies d'articles de prêt-à-porter issus d'espèces sauvages réalisées aux États-Unis entre 2003 et 2013.

    PHOTOGRAPHIE DE David Zalubowski, Ap

    De son côté, en se basant sur près de 25 années d'expérience en tant qu'analyste du renseignement au sein d'une agence fédérale, Weissgold indique que les manquements administratifs sont « plutôt représentatifs d'une fraude à grande échelle dans le secteur. »

    Si l'on associe à cela le système judiciaire américain et son haut niveau de preuve, « les inspecteurs du service de protection de la faune se retrouvent souvent à contempler le contenu d'une caisse sans savoir quoi faire, » témoigne Weissgold.

     

    BIEN-ÊTRE ANIMAL

    Même lorsque le commerce de produits animaux pour le secteur de la mode est légal, il soulève tout de même certaines préoccupations liées au bien-être animal, affirme Weissgold. En 2016, le groupe de défense des animaux People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), connu pour ses stratégies parfois controversées, a réalisé une enquête sur les fermes vietnamiennes d'élevage de crocodiles. Selon leur rapport, les élevages fournisseurs d'une tannerie détenue par le groupe LVMH séquestraient les animaux dans de petites cages en béton pendant 15 mois avant de les abattre pour leur peau. Les enquêteurs dépêchés par PETA avaient filmé les ouvriers de la tannerie en train de sectionner la colonne vertébrale des crocodiles, entraînant la paralysie mais pas la mort, avant de les écorcher vivants.

    Interrogé pour cet article à propos de l'enquête menée par PETA, LVMH n'a pas nié les faits, mais nous a informés que depuis 2016, la tannerie en question basée à Singapore, Heng Long, ne se fournissait plus en crocodiles dans les fermes vietnamiennes filmées par PETA.

    D'après Shepherd, du groupe Monitor, les traitements inhumains et la souffrance sont la norme pour les animaux capturés dans les pays d'Asie du Sud-Est. Une autre enquête, également conduite par PETA, a montré que les serpents étaient couramment écorchés vivants. Le réalisateur de documentaires d'investigation Karl Ammann s'est intéressé au « blanchiment » de reptiles capturés dans la nature, un processus par lequel des fournisseurs font passer des animaux sauvages pour des reptiles élevés en captivité au Laos, en Malaisie et au Vietnam. Ammann a également filmé des pythons et des varans malais assommés d'un coup de marteau sur la tête avant d'être écorchés vifs en Indonésie. Dans un rapport paru en 2013 traitant du commerce des reptiles, l'Office fédéral suisse de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires concluait au caractère inhumain de nombreuses méthodes d'abattage des animaux à savoir par décapitation, congélation, chaleur, suffocation, noyade et section des veines jugulaires.

    En 2019, LVMH a lancé un système de certification pour les fermes à crocodiles dans le but de renforcer sa capacité à tracer les peaux et veiller au bien-être animal. D'autres entreprises sont allées encore plus loin.

    En 2018, Diane von Furstenberg a renoncé à l'utilisation des peaux d'animaux exotiques dans ses produits et Chanel lui a emboîté le pas deux mois plus tard en évoquant la difficulté d'obtenir des produits respectueux des principes éthiques. Jil Sander a également suivi le mouvement.

    Cependant, à travers plusieurs articles d'opinion, Natusch et bien d'autres ont préféré condamner cette interdiction des peaux exotiques en les qualifiant de bien intentionnées mais « trop simplistes » et « infondées ». Avec d'autres chercheurs, il collabore avec des entreprises comme le groupe Kering, propriétaire de Gucci et d'autres enseignes de prêt-à-porter de luxe, dans le but de mieux contrôler la chaîne d'approvisionnement.

    En 2017, le groupe Kering a ouvert une ferme à pythons en Thaïlande afin de disposer d'un fournisseur de peaux durable et plus humain, avait annoncé un représentant de l'entreprise au Guardian à l'époque. Le groupe poursuit également son approvisionnement en animaux sauvages.

    Quatre ans plus tôt, le groupe Kering s'était associé au groupe d'experts Boas et Pythons de l'UICN et au Centre du commerce international, une agence multilatérale bénéficiant d'un mandat conjoint confié par l'Organisation mondiale du commerce et les Nations unies, afin de lancer un groupe baptisé Partenariat pour la préservation des pythons. L'objectif de ce partenariat est d'améliorer la durabilité du commerce de python et de promouvoir la transparence, le bien-être animal et les moyens de subsistance locaux.

    Le premier d'une série de rapports commandés par le Partenariat pour la préservation de pythons entre 2014 et 2016 recommandait de remplacer par des pratiques moins cruelles toutes les méthodes utilisées pour tuer les pythons en Chine, en Thaïlande et au Vietnam, notamment la décapitation, la noyade et celle qui consiste à scotcher la bouche et l'anus des pythons avant de gonfler leur corps à l'aide d'un compresseur. Dans un autre rapport sur l'Indonésie et la Malaisie paru en 2016, le même groupe concluait que les assertions à propos des pratiques inhumaines d'abattage des pythons dans ces pays « n'étaient pas fondées » car les éleveurs détruisaient le cerveau des serpents avant de leur retirer la peau.

    L'ensemble de ces rapports concluaient que la capture à l'état sauvage et l'élevage des pythons pouvaient être durables, soutenir les moyens d'existence locaux et bénéficier aux efforts de conservation en incitant les personnes qui capturent les pythons dans la nature à protéger ces reptiles et leurs habitats.

    « Sans l'industrie du luxe, bon nombre des espèces exploitées seraient dans une situation encore plus dramatique, » déclare Natusch, coauteur des rapports du Partenariat pour la préservation des pythons. « Les avantages que procure ce commerce l'emportent largement sur ses inconvénients. »

    Cela dit, le rapport sur l'Indonésie et la Malaisie ont bien confirmé que les peaux de python faisaient l'objet d'un commerce illégal d'une ampleur considérable entre les pays d'Asie du Sud-Est ; et cette utilisation frauduleuse des permis internationaux permet un blanchiment des animaux capturés dans la nature en les étiquetant « élevé en captivité ». L'étude a montré que ce trafic de grande ampleur était alimenté par la pauvreté et les opportunités induites par l'abondance des populations de pythons. Les auteurs ont également indiqué que les quotas commerciaux étaient excessivement restrictifs et ont suggéré soit de les augmenter, soit de les supprimer.

    Pour Jon Paul Rodriguez, président de la Commission de la sauvegarde des espèces de l'UICN, le financement des rapports par des groupes industriels est une pratique courante en science. L'exploitation durable des espèces sauvages est l'un des piliers de son organisation, poursuit-il, et les chercheurs de l'UICN sont tenus de suivre une approche basée sur des preuves concrètes, quel que soit l'organisme assumant le financement de l'étude. « Personne ne peut acheter la science, » dit-il. « En tant que président, je donne toujours la priorité aux preuves. »

    L'intégralité des publications de l'UICN, y compris celles financées par le groupe Kering, fait l'objet d'une évaluation par des pairs en interne, ajoute-t-il. « Comme pour tout article scientifique, il est possible de contredire ces études en apportant simplement de meilleures preuves. »

    Pour ses détracteurs, l'UICN est allée trop loin en mettant sans cesse l'accent sur cette « exploitation durable », allant même jusqu'à « justifier l'exploitation de certaines espèces menacées, » déclare Mark Auliya, herpétologiste au musée d'histoire naturelle Alexander Koenig, à Bonn, en Allemagne. Auliya fait partie de ces détracteurs et, parallèlement, du groupe d'experts Boas et Pythons de l'UICN. Selon lui, les études, notamment celles de l'UICN, ont tendance à sous-estimer la complexité du commerce d'espèces sauvages et ses liens fréquents avec le milieu du crime organisé ; les conclusions relatives au commerce durable ne reflètent souvent pas la réalité sur le terrain pour les espèces.

    Les rapports du groupe d'experts Boas et Pythons financés par l'industrie ont été publiés sans le consentement de l'ensemble du groupe, poursuit-il, ce qu'il n'a pas manqué de critiquer lors des réunions en interne. « Les conclusions de l'étude ne sont pas soutenues par tous les scientifiques disposant d'une expérience de terrain, » affirme-t-il.

     

    LA CENSURE DES MARQUES

    L'étude de l'université de la ville de New York ne traite pas de l'impact des mesures prises par Diane von Furstenberg, Chanel, Jil Sander, le groupe Kering et les autres sur le nombre de saisies à l'entrée des États-Unis. La raison à cela est qu'à compter de 2013, le Fish and Wildlife Service a commencé à censurer les noms des importateurs liés aux saisies dans les demandes de registres officiels.

    Weissgold travaillait pour l'agence au moment de l'entrée en vigueur de ces restrictions ; il nous informe avoir demandé à plusieurs reprises une explication, sans qu'une réponse adéquate lui soit apportée. Il soupçonne que cette décision ait été, au moins en partie, encouragée par les entreprises qui se plaignaient de la possibilité pour leurs concurrents de glaner des secrets commerciaux en feuilletant les registres des saisies.

    Quelle qu'en soit la raison, ce manque de transparence sur l'ensemble des registres officiels à l'importation et à l'exportation « empêche totalement les spécialistes de la conservation et de la criminalité d'évaluer les données commerciales, » déclare Weissgold.

    Le Fish and Wildlife Service et l'organe gouvernemental dont il dépend, le département de l'Intérieur des États-Unis, n'ont pas souhaité apporter leurs commentaires sur la raison qui a poussé l'agence à supprimer le nom des entreprises du registre des saisies.

    Weissgold ajoute n'avoir aucune raison de penser que les importations illégales liées à l'industrie du prêt-à-porter de luxe ont diminué depuis 2013. Chris Shepherd reste également convaincu de la persistance du problème. Pour lui, le message aux consommateurs est clair : « Il est possible que l'achat de produits animaux contribue au déclin d'une espèce à l'état sauvage et au commerce illégal. Au moindre doute, n'achetez pas. »

    Sosnowski espère que cette étude incitera à une plus grande transparence ainsi qu'à des améliorations dans la chaîne d'approvisionnement et dans le respect des lois de la source au produit fini. « Nous voulons que le public comprenne que ces marques sont celles que nous connaissons et apprécions tous afin qu'il réalise qu'il a le pouvoir, en tant que consommateur, de faire avancer l'industrie vers des pratiques plus respectueuses, » explique-t-elle.

    En fin de compte, c'est la demande des consommateurs qui pousse les entreprises à prendre en considération le bien-être des animaux et leur conservation, indique Weissgold.

    « Je pense que si les acheteurs avaient conscience que la peau de python utilisée pour leur sac à main avait été arrachée à un animal vivant, certains fuiraient le revendeur sans plus attendre, » déclare-t-il. « Mais soyons honnêtes, ils sont nombreux à ne voir que le sac à main. »

     

    Wildlife Watch est un projet d'articles d'investigation commun à la National Geographic Society et à National Geographic Partners. Ce projet s'intéresse à l'exploitation et à la criminalité liées aux espèces sauvages. Retrouvez d'autres articles de Wildlife Watch à cette adresse et découvrez les missions à but non lucratif de la National Geographic Society ici. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles et à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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