La nouvelle vie des mygales victimes du braconnage

La mission des services de protection de la faune ne s'arrête pas aux saisies d'animaux. Ils doivent aussi organiser la nouvelle vie de ces animaux capturés le plus souvent lorsqu'ils sont bébés.

De Jason Bittel
Publication 18 sept. 2020, 10:15 CEST
Parmi les 250 mygales interceptées par les forces de l'ordre lors d'une descente à Seattle en décembre ...

Parmi les 250 mygales interceptées par les forces de l'ordre lors d'une descente à Seattle en décembre 2018 figuraient des mygales saumonées, comme celle-ci dessus. Après avoir été saisis, les animaux devront retrouver un foyer permanent, mais ce placement peut prendre plusieurs mois voire quelques années.

PHOTOGRAPHIE DE Radosław Ziemniewicz, Getty Images

Un nouveau jour se lève pour Lil' Kim, ravissante araignée aux poils hérissés et à la taille colossale.

L'histoire n'avait pourtant pas bien commencé pour elle et les 249 autres bébés mygales saisis par les inspecteurs du Fish and Wildlife Service américain dans le cadre d'une enquête sur le trafic d'espèces sauvages à l'aéroport de Seattle-Tacoma, dans l'État de Washington, en décembre 2018. À l'époque, les bébés étaient si petits qu'ils avaient été conditionnés dans des gobelets et des boîtes de pellicule 35 mm.

Ce sont les documents qui ont attiré notre attention, se souvient Danielle Aberneth, inspectrice en chef du Fish and Wildlife Service dont la compétence s'étend aux états de Washington, de l'Oregon et de l'Idaho. « Parfois, la contrebande s'appuie sur de faux documents où les trafiquants renseignent une cargaison similaire mais différente de ce qu'ils transportent réellement, » explique-t-elle.

Après enquête, les inspecteurs ont déterminé que la cargaison contenait des mygales à genoux blancs et des mygales saumonées. C'est ce qui leur a mis la puce à l'oreille, indique Abernethy, car le Brésil n'autorise pas l'exportation de ses espèces endémiques de mygales.

Qu'il concerne les mygales à destination du marché des animaux domestiques, les cornes de rhinocéros utilisées dans la médecine traditionnelle ou toute sorte d'animaux et produits animaux imaginables, le trafic international d'espèces sauvages génère chaque année des milliards de dollars. Ainsi, entre juin 2018 et juin 2019, le Fish and Wildlife Service a saisi plus de 9 000 arachnides, insectes et autres arthropodes d'après les données recueillies par National Geographic dans le cadre de l'enquête Le trafic d'insectes, un business florissant.

L'agence américaine n'a pas souhaité faire de commentaires sur l'origine ou la destination des bébés mygales et n'a divulgué aucun détail sur les auteurs présumés ou la progression de l'enquête. Cependant, de nombreuses cargaisons illégales d'invertébrés à destination des États-Unis optent pour un passage par les pays européens où les restrictions à l'importation et au transit selon le pays d'origine sont parfois plus laxistes.

Lorsque les autorités entrent en possession d'animaux qu'ils soupçonnent d'avoir fait l'objet d'un trafic, les animaux en question deviennent une preuve dans une affaire pénale. Une fois les poursuites menées à terme, il convient de trouver à ces animaux un nouveau foyer où ils pourront vivre paisiblement le restant de leurs jours. Dans certaines circonstances, ils peuvent être renvoyés dans leur pays d'origine, relâchés dans la nature ou même euthanasiés.

Cette attente peut prendre des lustres (20 mois pour Lil' Kim) et s'avérer stressante pour les animaux.

 

UNE AILE DÉDIÉE AUX INSECTES

Le Fish and Wildlife Service peut accueillir et entretenir des animaux saisis de façon temporaire, mais n'est en aucun cas équipé pour héberger 250 mygales au long terme, sans même parler des milliers d'autres animaux saisis chaque année. « Par chance, nous avons de très bons partenaires, » déclare Abernethy.

« Ce n'est pas un appel qu'on attend forcément avec impatience, car il est synonyme de trafic d'animaux, » témoigne l'une de ces partenaires, Erin Sullivan, responsable des soins animaliers au Woodland Park Zoo de Seattle, dans l'état de Washington. « Mais ce n'en est pas moins palpitant. On se dit "Oh, qu'est-ce ça peut bien être ?" »

Cela fait aujourd'hui 20 ans que le zoo, situé à 20 minutes de l'aéroport de Seattle-Tacoma, entretient ce que Sullivan appelle une « aile dédiée aux insectes, » avec l'espace et le personnel nécessaires pour accueillir les invertébrés.

Quelques heures après leur saisie à l'aéroport, les jeunes araignées brésiliennes étaient confortablement installées au zoo, chacune dans son propre petit enclos avec de l'eau et de la nourriture appropriée : bébés criquets, cafards et petits vers de farine au menu.

S'occuper d'animaux saisis s'apparente au triage médical. Il faut d'abord leur trouver une place, les nourrir puis tenter par tous les moyens de les ramener à une vie normale. Pour 250 araignées en bas âge plus petites qu'un pouce, la tâche n'est pas tellement difficile, reconnaît Sullivan, mais les mygales ne restent pas bébés très longtemps.

À l'âge adulte, les mygales à genoux blancs et les mygales saumonées peuvent atteindre la taille d'un 33 tours. Même si leurs poils et leurs crocs donnent aux mygales adultes un air patibulaire, Sullivan insiste sur leur nature fragile. « L'abdomen des mygales est comme un ballon rempli d'eau, » affirme-t-elle. Si elle tombe ou est mal manipulée, elle peut exploser.

Les mygales sont des créatures solitaires pouvant vivre 15 à 20 ans. À l'âge adulte, elles ont besoin d'un enclos individuel de la taille d'un aquarium pour vivre. Le Woodland Park Zoo a accepté d'adopter 37 bébés-araignées, mais il lui aurait été impossible d'accueillir les 250.

Lil' Kim était l'une des deux mygales à genoux blancs saisies dans une cargaison illégale à destination du marché des animaux domestiques. Elle a passé 20 mois au Woodland Park Zoo de Seattle avant de rejoindre son « foyer définitif » au Bug Zoo de l'université Purdue.

PHOTOGRAPHIE DE Gwen Pearson

UN RÉSEAU EN OR

Étant donné la taille similaire des minuscules bébés, il est peu probable qu'ils aient été attrapés dans la nature, indique Sullivan. Elles ont probablement vu le jour dans la cave ou le laboratoire d'un inconnu. À lui seul, ce point n'exclut pas une remise en liberté dans la nature, mais les mygales sont adaptées à des « microcosmes bioclimatiques très spécifiques, » nous explique Sullivan, ce qui rendrait extrêmement difficile de les relâcher dans un habitat qui leur correspond précisément.

En plus de ses responsabilités au Woodland Park Zoo, Sullivan préside le Terrestrial Invertebrate Taxon Advisory Group, constitué de membres de l'Association américaine des zoos et aquariums. Grâce à ce réseau, elle a identifié 10 organismes aux États-Unis disposant de la capacité et de l'expertise nécessaires pour offrir une nouvelle vie aux mygales.

Au printemps 2019, avec l'approbation du Fish and Wildlife Service, Sullivan a commencé à placer les araignées en pleine croissance dans des réceptacles en plastique suffisamment grands pour leur permettre d'étendre leurs pattes mais pas trop grands au point qu'une secousse puisse blesser les araignées. Elle a ensuite expédié les petites boules de poils dans leurs nouvelles demeures : le musée d'histoire naturelle du comté de Los Angeles ; le Brevard Zoo de Melbourne, en Floride ; le BioPark d'Albuquerque, au Nouveau-Mexique ; et le Zoo et Jardin botanique de Cincinnati, en Ohio.

« Nous faisons tout pour rendre le voyage le moins stressant possible, » indique Sullivan, et la livraison le jour suivant minimise le temps de trajet.

 

UN CORPS À NU

Situé à West Lafayette dans l'Indiana, le Bug Zoo de l'université Purdue a reçu quatre mygales saumonées à l'automne 2019 et une paire de mygales à genoux blancs en août 2020.

Même en prenant le plus grand soin pendant le transport, le processus peut s'avérer traumatique et l'une des mygales à genoux blancs, celle qui allait plus tard être baptisée Lil' Kim, en a particulièrement fait les frais. À son arrivée en Indiana, elle avait éjecté la quasi-totalité des poils de son abdomen, révélant aux yeux du monde un « postérieur nu de mygale », comme l'avait divulgué sur Twitter Gwen Pearson, coordinateur des initiatives de sensibilisation au département d'entomologie de l'université Purdue.

Les poils acérés qui recouvrent l'arrière de la mygale ont un effet urticant lorsqu'ils entrent en contact avec la peau ou les yeux, ce qui lui permet de repousser les prédateurs. Mais le stress peut également pousser l'animal à éjecter ses poils, une réaction similaire à celle d'un perroquet qui s'arrache les plumes.

C'est ce qu'a fait Lil' Kim pendant son trajet de Seattle à Purdue. « Honnêtement, je n'avais jamais rien vu d'aussi grave. Elle était vraiment contrariée, » témoigne Pearson.

Quant au sobriquet si singulier de la mygale, Pearson nous explique que le zoo avait déjà une femelle mygale à genoux blancs, baptisée Kim Kardashian. Donc lorsque l'autre mygale nettement plus petite est arrivée, il leur semblait logique de l'appeler simplement Lil' Kim (Petite Kim).

 

ET APRÈS ?

Exposer les mygales interceptées par les autorités et raconter leurs histoires, surtout lorsqu'elles sont personnalisées, peut aider à éveiller les consciences sur le commerce illégal et ainsi éviter à d'autres animaux d'être arrachés à leur habitat naturel.

« Ces mygales sont incroyablement utiles comme outil pédagogique, » indique Pearson. Même si les visiteurs n'ont pas le droit de manipuler les mygales — leurs crochets « pourraient transpercer mon doigt » — les voir de près leur permet d'apprécier la beauté des très grandes araignées.

Dans certains cas, les mygales secourues enrichissent de leur diversité génétique les programmes de reproduction en captivité. Tout comme les zoos contrôlent le patrimoine génétique des tigres et des lions, Pearson nous explique que chaque araignée se voit attribuer un code inscrit dans un registre généalogique afin de déterminer quels accouplements seraient bénéfiques et lesquels ne le seraient pas. « Nous devrons faire attention à ne pas les accoupler avec leurs frères et sœurs adoptés par d'autres zoos, » précise Pearson.

Alors que des espèces comme la mygale à genoux blancs sont relativement communes en captivité, d'autres sont plus rares, comme Poecilotheria metallica,  la mygale ornementale saphire native d'Inde. Tout spécimen saisi est donc d'autant plus important pour assurer la bonne santé des populations captives.

« Il y a tellement de pression sur toutes les espèces sauvages, mais très peu savent que les arachnides, et plus particulièrement les mygales, subissent une énorme pression du fait de leur collecte, » déclare Paige Howorth, directrice des soins et de la conservation des invertébrés du Zoo de San Diego, en Californie. Son zoo n'a accueilli aucune des 250 araignées de Seattle-Tacoma mais s'occupe de mygales saisies lors de précédentes enquêtes.

« C'est une double opportunité : sensibiliser quant à l'importance du rôle des mygales dans les écosystèmes en tant que prédateurs et mettre en lumière la perte d'habitat et la collection excessive, » poursuit Howorth. C'est également l'occasion de montrer aux visiteurs que « nous pouvons faire une différence pour la faune en ayant conscience de tous ces enjeux. »

Tous les experts interrogés pour cet article ont insisté sur l'importance pour les futurs propriétaires d'animaux domestiques de faire leurs devoirs avant d'acheter. Ils doivent non seulement comprendre ce à quoi les engage le fait de s'occuper de l'animal en question, mais également chercher des informations pour savoir si le commerce dont l'espèce fait l'objet est durable et légal.

Si les propriétaires ont des doutes, Erin Sullivan recommande de contacter le zoo le plus proche. « Nous sommes toujours heureux de rendre service, » dit-elle.

Lil' Kim semble avoir oublié ses mésaventures. Quelques semaines après être arrivée en Indiana les fesses à l'air, la mygale s'est débarrassée de son exosquelette pour révéler un tout nouvel arrière-train recouvert de poils, nous informe Pearson.

Et c'est une bonne nouvelle, car cette araignée aussi a de grandes responsabilités.

 

Wildlife Watch est un projet d'articles d'investigation commun à la National Geographic Society et à National Geographic Partners. Ce projet s'intéresse à l'exploitation et à la criminalité liées aux espèces sauvages. Retrouvez d'autres articles de Wildlife Watch à cette adresse et découvrez les missions à but non lucratif de la National Geographic Society ici. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles et à nous faire part de vos impressions à l'adresse NGP.WildlifeWatch@natgeo.com

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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