Découverte : les fourmis coupe-feuille sont dotées d’une « armure » minérale

Des chercheurs ont découvert qu’un nouveau type de minéral, semblable à la dolomite, recouvrait l’exosquelette des fourmis coupe-feuille.

De Douglas Main
Publication 26 nov. 2020, 17:46 CET, Mise à jour 27 nov. 2020, 11:32 CET

Le corps de la fourmi champignonniste Acromyrmex echinatior est recouvert d’une couche biominérale qui lui sert d’armure.

PHOTOGRAPHIE DE Eduard Florin Niga, Eddimage Photography

Les fourmis coupe-feuille tirent leur nom de leurs exploits herculéens. Elles découpent le feuillage des arbres et arbustes et en transportent d’encombrants morceaux, semblables à des drapeaux verts beaucoup plus grands qu’elles-mêmes, sur de longues distances jusqu’à leurs colonies. Une fois arrivées à destination, les fourmis mâchent les morceaux de feuilles pour alimenter des cultures de champignons souterraines. Mais le chemin jusqu’au nid compte toutes sortes de prédateurs et il n’est pas rare que ces insectes se battent avec d’autres fourmis.

Les fourmis Acromyrmex echinatior sont cependant plus encore coriaces que ce que l'on croyait.

Une nouvelle étude vient de révéler qu’une espèce de fourmi coupe-feuille d’Amérique Centrale est dotée d’une armure naturelle qui recouvre son exosquelette. Ce bouclier est composé de calcite et enrichi en magnésium, un cocktail présent dans une seule autre structure biologique : les dents des oursins, qui broient la roche calcaire.

Les os et les dents de nombreux animaux contiennent des minéraux calcifères. La coquille et d’autres parties du corps des crustacés, à l’image des crabes et des homards, sont minéralisées. Mais aucun type de calcite n’avait été découvert chez un insecte adulte avant cette étude.

L’armure de la fourmi Acromyrmex echinatior l’aide à survivre aux combats engagés avec d’autres espèces de fourmis.

PHOTOGRAPHIE DE Eugenia Okonski, Smithsonian Institution

Chez les fourmis coupe-feuille, cette couche minérale est composée de milliers de minuscules cristaux semblables à des plaques, qui renforcent leur exosquelette. Selon l’étude publiée le 24 novembre dans la revue Nature Communications, l’« armure » en question éviterait aux insectes de perdre des membres au cours de leur combat avec d’autres fourmis et les protégerait des infections fongiques.

La découverte est particulièrement surprenante lorsque l’on sait que les fourmis sont très étudiées. « Les recherches sur les fourmis coupe-feuille se comptent en milliers », confie Cameron Currie, biologiste évolutionniste à l’université du Wisconsin-Madison et co-auteur de l’étude.

« Nous étions vraiment ravis de découvrir [cela chez] l’un des insectes les mieux étudiés à l'état sauvage », ajoute-t-il.

Cette étude ne s’intéresse qu’à une espèce de fourmis, Acromyrmex echinatior, mais le biologiste et ses collègues émettent l'hypothèse que d’autres fourmis apparentées puissent également posséder une armure biominérale.

 

DES FOURMIS COUVERTES DE ROCHE

Il y a 60 millions d’années, bien avant que les humains ou leurs ancêtres immédiats n’entreprennent leur périple évolutionnaire, les fourmis coupe-feuille ont inventé leur propre forme d’agriculture : la culture souterraine de champignons. Celle-ci est le résultat d’une relation symbiotique qui offre nourriture aux larves de fourmis et protection aux champignons. Chaque espèce de fourmis cultive des champignons différents.

Certaines des presque 50 espèces de fourmis coupe-feuille, y compris la fourmi étudiée récemment, sont porteuses d’une bactérie symbiotique qui leur permet de protéger leurs cultures contre d’autres champignons nocifs. Ce microbe, qui recouvre les jeunes ouvrières, sécrète des substances chimiques qui tuent les champignons invasifs lorsque les fourmis serpentent à travers leurs cultures.

C’est en étudiant ces bactéries que Hongjie Li, ancien chercheur postdoctoral au sein du laboratoire de Cameron Currie et désormais chercheur à l’université de Ningbo en Chine, a remarqué les étranges et minuscules cristaux qui recouvrent l’exosquelette des fourmis. Il est parvenu à convaincre des géologues de lui venir en aide pour étudier le matériau semblable à un minéral. Plusieurs techniques d’imagerie, dont la microscopie électronique, ont été employées afin d’en déterminer la composition.

Hongjie Li a reçu les résultats à l’automne 2018 : les fourmis étaient recouvertes d’un type de biominéral jamais observé chez un insecte. Le chercheur était aux anges.

« Il y avait de la roche sur les fourmis », déclare-t-il. « J’avais trouvé des fourmis de pierre ! »

Selon Hongjie Li, la composition de l’armure des fourmis ressemble fortement à la dolomite. La couche biominérale est toutefois légèrement plus dure.

Comme tous les insectes, les fourmis disposent d’un exosquelette composé de chitine, un matériau résistant et souple. Il ne restait plus qu’à Hongjie Li et ses collègues à déterminer si cette couche supplémentaire de biominéral offrait une protection accrue aux insectes. Pour ce faire, ils ont élevé en laboratoire des fourmis munies de ladite armure et d’autres qui en étaient dépourvues. (En cas de séparation des nymphes de fourmis de leur colonie et d’élevage dans certaines conditions, les insectes ne développent pas la couche protectrice). Ils ont ensuite conduit plusieurs tests.

 

GUERRE DES FOURMIS

L’une de ces expériences, la « guerre des fourmis », consistait à placer ces insectes dans une « arène » face à une espèce apparentée légèrement plus grande, explique Hongjie Li. Au cours d’un combat d’une heure, les « fourmis de pierre » avaient perdu trois fois moins de confrontations que celles dont l’exosquelette n’était pas recouvert de la couche minérale.

Les chercheurs ont ensuite exposé les insectes à un champignon pathogène pouvant infecter les fourmis et apparenté à une espèce fongique responsable d’un comportement « semblable à celui d’un zombie ». Six jours plus tard, toutes les fourmis ne présentant pas la couche minérale avaient succombé, contre seulement la moitié de celles dotées de leur armure.

Une autre expérience a révélé que les exosquelettes de ces fourmis étaient deux fois plus résistants lorsqu’ils étaient composés de biominéraux.

À mesure que les fourmis vieillissent, la couche minérale s’étend. Comme les jeunes fourmis s’occupent des cultures de champignons, le risque qu’elles se fassent attaquer par d’autres fourmis ou des prédateurs est faible et cette protection leur est donc peu utile. Selon Hongjie Li, leur armure devient plus épaisse lorsqu’elles commencent à aller chercher de la nourriture hors des cultures de champignons.

Pour Andrew Suarez, entomologiste à l’université de l’Illinois, il est particulièrement intéressant d’observer la présence de ce type de minéral dans un exosquelette, alors que des minéraux similaires ont été découverts dans des structures plus isolées et spécialisées, comme les dents.

« C’est comme si votre corps était recouvert [de minuscules cristaux] d’émail », explique l’entomologiste qui n’a pas pris part à l’étude.

« J’ai beaucoup aimé cette étude, car elle décrit quelque chose de nouveau, à savoir les squelettes biominéralisés chez les insectes », déclare Andrew Knoll, spécialiste des biominéraux à l’université d’Harvard.

« De nombreux arthropodes sont dotés d’exosquelettes en carbonate de calcium, notamment les crabes, les homards et les trilobites désormais disparus. Il est donc vraiment intéressant de voir que cela s’applique aussi à des insectes terrestres ».

 

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    UNE ARMURE PEU RÉPANDUE 

    Selon les scientifiques, ces types de cristaux biominéraux pourraient à l’avenir avoir des applications industrielles, en entrant dans la composition de revêtements ou en se présentant sous la forme de nanocristaux pour accroître la résistance de divers matériaux ou prévenir la corrosion.

    Mais pour le moment, l’heure est à la compréhension du rôle joué par ces minéraux chez les fourmis et à la découverte d’autres armures et biominéraux encore inconnus.

    Pour Cameron Currie, leur existence est indubitable. « Si vous ignorez la présence de biominéraux chez cette espèce, qu’en est-il des 99,9 % d’insectes qui sont peu, voire pas du tout étudiés ? »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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