En France, le trafic d’espèces sauvages prospère

Ce commerce illégal, pourvoyeur d'animaux de compagnie ou de produits dérivés issus d'espèces protégées, serait le quatrième plus lucratif au monde après ceux des stupéfiants, des contrefaçons et des êtres humains.

De Marie-Amélie Carpio, National Geographic
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Techniciens de l'environnement lors d'une saisie de jeunes tortues d'Hermann (Testudo hermanni) dans les Vosges, dans le cadre d'une procédure judiciaire. Ces tortues terrestres, rares et emblématiques du sud de la France, étaient détenues illégalement par un particulier et mises en vente en ligne.

PHOTOGRAPHIE DE Philippe Massit, Office Français de la Biodiversité

Selon Interpol, le trafic d'espèces sauvages croîtrait de 5 à 7 % par an. Ce commerce illégal, pourvoyeur d'animaux de compagnie ou de produits dérivés issus d'espèces protégées, serait le quatrième plus lucratif au monde après ceux des stupéfiants, des contrefaçons et des êtres humains.

En France, un réseau régional de 200 inspecteurs de l'environnement est spécialisé dans sa répression, sous l'égide du Service de Police Judiciaire et Renseignement (SPJR) de l'Office français de la biodiversité. Face à l'essor de ces crimes contre nature, qui touche aussi l'Hexagone, leurs pouvoirs ont été étendus et les sanctions ont gagné en sévérité. Mais le nerf de la guerre réside aussi dans l'éducation de la population, estime Ismaël-Alexandre Costa, chef technicien au SPJR. Entretien.

 

Pourquoi le commerce illégal des espèces sauvages gagne-t-il de l'ampleur en France ?

Les réseaux sociaux facilitent énormément les prises de contact entre acheteurs et vendeurs. Avant il fallait se procurer des livres et aller sur des salons pour savoir comment acquérir tel ou tel animal. Maintenant il suffit d'aller sur des forums pour avoir des conseils. Cette plus grande facilité d'accès augmente les risques d'être impliqué à son corps défendant dans un trafic. Les gens qu'on auditionne ne se voient pas comme des trafiquants. Ils ont une approche de la nature complètement faussée. Ils disent aimer les animaux ; ils ont l'impression que lorsqu'ils en extraient un de la nature et le mettent en cage en le nourrissant bien et en le cajolant, ils sont des protecteurs de la nature. Or, protéger, c'est profiter de la nature sans la toucher. Il y a un vrai problème d'éducation. On est des policiers, mais on doit aussi jouer les pédagogues.

Objets en ivoire saisis, avant destruction.

PHOTOGRAPHIE DE Luc Barbier, Office Français de la Biodiversité

Quels sont les animaux les plus recherchés ?

Aujourd'hui, les félins sont à la mode, ainsi que les petits primates comme les ouistitis. L'attrait pour les reptiles reste constant. Les perroquets sont aussi très recherchés. Et depuis environ un an, le trafic des écureuils du Japon se développe. On craint de voir l'espèce finir dans la nature et porter atteinte à nos écureuils roux.

Les acquéreurs s'inscrivent dans une logique de recherche de l'attention. Les chiens et chats sont communs, mais si vous vous promenez avec un tamarin empereur, vous êtes sûr d'attirer tous les regards. Mais si ces animaux ne sont pas issus d'élevages légaux, c'est qu'ils ont été capturés dans la nature, ou volés à des zoos ou des éleveurs. En France, certains mammifères doivent être identifiés avec une puce électronique, mais elle peut être enlevée ou désactivée et remplacée par une nouvelle puce avec une fausse origine, que seule une radio de l'animal permet de détecter. Multiplier les systèmes de traçage permettra de mieux sécuriser les filières d'élevage, notamment avec le développement de cartes d'identité génétiques.

Certains animaux valent aussi plus cher morts que vivants. C'est le cas des éléphants, dont on exploite l'ivoire, la peau et les poils, tressés pour être intégrés dans des bijoux. Les produits de la pharmacopée asiatique, comme la bile d'ours, et la viande de brousse, importés en France à destination respectivement des communautés asiatiques et africaines participent aussi de ces trafics.

 

Outre les espèces exotiques, la faune locale est aussi victime des trafiquants. Quelles sont les espèces les plus ciblées ?

Les petits passereaux en général, et le chardonneret en particulier. L'attrait pour ce petit oiseau est ancien, mais on se focalise beaucoup sur lui car de plus en plus d'informations remontent à nous via les associations de protection de la nature comme la LPO (la Ligue pour la Protection des Oiseaux) et la Fondation Brigitte Bardot, qui font de la veille. On les capture pour en faire l'élevage, soit en conservant leur apparence, soit en les croisant avec d'autres oiseaux pour changer les couleurs de leur plumage. Ils sont aussi recherchés pour leur chant, et parfois croisés avec des canaris pour augmenter leurs capacités vocales. Il existe des concours de chant au bord des routes en Belgique et en Hollande. Certains sont peut-être aussi consommés. Leurs populations chutent déjà en raison de la destruction des milieux naturels et du changement climatique. Le trafic les fragilise encore davantage.

La civelle (l'alevin de l'anguille) fait aussi l'objet de captures illégales sur toute la façade atlantique, du Portugal à la Belgique. Ce trafic a la particularité d'être destiné quasi intégralement à l'Asie, où ces animaux sont mangés en soupe. Durant le seul hiver 2020-2021, la saison où on peut les capturer, 180 opérations de police judiciaire ont été menées sur les anguilles.

Trafic de passereaux (Chardonneret élégant).

PHOTOGRAPHIE DE Jean-Michel Vasseur, Office Français de la Biodiversité

Quels profits génèrent ces trafics ?

Avant le confinement, les dimanches matins sur l'Île de la Cité, à Paris, les chardonnerets se négociaient 150 à 200 euros pièce. Quant aux anguilles, leur prix d'achat est de 300 à 500 euros le kilo en Europe, et 3000 euros le kilo en Asie. Les trafiquants d'animaux sauvages ne sont pas encore perçus comme des gens qui mettent en danger la société, et pas encore punis par de grosses peines de prison : c'est un trafic qui peut rapporter autant voire plus que le trafic de drogue avec des risques moindres.

 

Les filières de commerce illégal de la faune sauvage recoupent-elles d'autres réseaux, comme ceux du trafic de drogue ?

Au niveau français, il n'y a visiblement pas de recoupement avec d'autres filières criminelles. Les gens que nous arrêtons sont des particuliers sans casier ou des individus connus pour des faits de petite délinquance. Au niveau international en revanche, on sait que l'ivoire alimente certains réseaux, notamment terroristes, au Mali par exemple.

Saisie d'un piège à chardonneret, grâce à une collaboration avec la gendarmerie en Vendée.

PHOTOGRAPHIE DE Tanguy Plomion, Office Français de la Biodiversité

Comment a évolué la lutte contre ce commerce en France ces dernières années ?

Dans les années 1990, les trafics avaient plutôt lieu à l'intérieur d'un département, entre villages proches. Ils se sont démultipliés au niveau géographique avec les réseaux sociaux. Nos opérations sont devenues de plus en plus complexes, avec des ramifications nationales et internationales. Elles ont montré la nécessité de doter les inspecteurs de l'environnement de pouvoirs judiciaires importants : ils peuvent aujourd'hui procéder à des perquisitions, avoir accès aux revenus des gens. Ils ne peuvent pas encore mettre des suspects en garde à vue, mais une réforme de la loi a créé des OJE, des officiers judiciaires de l'environnement, qui auront bientôt ce pouvoir.

Les magistrats sont aussi de plus en plus sensibilisés à ces questions et il y a une montée en puissance de la réglementation française et des sanctions. Un particulier coupable de trafic d'espèce sauvage risque jusqu'à 150 000 euros d'amende et 3 ans de prison, et une bande organisée, jusqu'à 750 000 euros et 7 ans de prison. Il y a quelques années, un individu ne pouvait pas écoper de plus de 15 000 euros d'amende et aucune peine n'était prévue pour les réseaux. Avec des perroquets comme l'ara de Lear qui se négocient 98 000 euros et des cornes de rhinocéros qui atteignent les 150 000 euros, soit plus cher que l'or, la sanction était risible.

Opération "ramassage de carapaces de tortues braconnées" organisée par le REMMAT (Réseau d'échouage mahorais de mammifères marins et de tortues marines). En 2014 à Mayotte, 84% des tortues mortes recensées sur le littoral sont des victimes de braconniers (chiffres REMMAT). Les peines encourues s'élèvent à 15000 euros d'amende et 1 an d'emprisonnement.

PHOTOGRAPHIE DE Julie Molinier, Office Français de la Biodiversité

Que deviennent les animaux saisis ?

C'est un énorme problème, non seulement en France mais aussi à l'échelle mondiale. L'État ne dispose pas de structure capable d'accueillir les animaux saisis et les lieux d'accueil existants (éleveurs, parcs zoologiques) sont souvent saturés. Certaines bêtes pourraient éventuellement être relâchées, mais avec un protocole lourd d'accompagnement et de reconditionnement à la vie dans la nature, qui demanderait de très gros moyens. Cela se fait rarement au vu des efforts à consentir. Il nous arrive parfois de laisser les animaux là où ils sont, lorsque les installations des propriétaires sont adéquates, et ces derniers font alors les démarches pour régulariser leur possession. Mais ce n'est pas une solution satisfaisante car elle induit dans l'esprit des gens l'idée qu'ils pourront toujours régulariser s'ils se font attraper. Parfois nous serions contraints d'euthanasier les animaux saisis, mais l'euthanasie n'est pas acceptable socialement. Elle revient à faire subir à l'animal les inconséquences d'une action humaine.

Dans beaucoup de jugements, la sanction est là, mais rien n'est dit sur le devenir des animaux saisis. Ça reste une pierre à mettre en place. Et il faudrait aussi plus d'éducation. On n'acquiert pas un animal sur un coup de tête.

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