L'homme qui murmurait à l'oreille des hyènes

Fruit d'une tradition familiale, cette incroyable relation entre les Hommes et les bêtes est perpétuée depuis 50 ans.

De Alexandra Genova
Publication 26 oct. 2021, 17:08 CEST
Dans le village d'Harar, en Éthiopie, Abbas nourrit des hyènes devant sa maison.
Dans le village d'Harar, en Éthiopie, Abbas nourrit des hyènes devant sa maison.
PHOTOGRAPHIE DE Brian Lehmann

Le soleil se couche sur la vieille ville fortifiée d'Harar, en Éthiopie. Un hurlement effrayant interrompt par instants le calme qui y règne. Dans la pénombre, cinq hyènes affamées encerclent un jeune homme accroupi au sol. Leurs oreilles battent d'avant en arrière à la manière des chauve-souris, signe d'une attente avide, tandis que leurs mâchoires laissent échapper un grognement. L'heure du repas a sonné.

Alors que les hyènes tachetées sont réputées à travers le monde pour être de féroces charognards, les habitants de ce village éthiopien ne les craignent pas. Le jeune homme tire un morceau de viande de son panier et l'agite en l'air. Plutôt que de bondir pour l'attaquer, une hyène s'approche et se saisit du morceau directement dans les mains d'Abbas, avec le calme d'un chien de compagnie.

Abbas Yusuf, surnommé « l'ami des hyènes », a appris à nourrir ces animaux sauvages avec son père, Yusuf Mume Salleh, qui avait pour habitude de leur donner les restes afin de les éloigner de son bétail. Des années après, cette tradition se perpétue et bien qu'elle soit devenue une attraction touristique populaire, cette incroyable relation entre l'homme et la bête est profondément ancrée.

Cette connexion profonde, presque transcendantale, est ce qui a le plus intéressé le photographe Brian Lehmann, qui a séjourné à Harar un certain temps pour rendre compte de ce phénomène. « J'étais complètement fasciné par leur relation », déclare le photographe à National Geographic. « Partout dans le monde, à l'exception de ce village éthiopien, les gens sont terrifiés par les hyènes. Elles vous croqueraient littéralement et vous réduiraient en bouillie en l'espace de quelques minutes. À quelques kilomètres de là, une fille a été mordue au visage et traînée dans une rivière... Pourtant, les enfants du village n'ont pas peur du tout. »

La ville bénéficie d'une longue tradition de cohabitation paisible avec les hyènes. Selon les locaux, il y a plusieurs siècles, les animaux attaquaient et allaient parfois jusqu'à tuer les habitants du village. En guise de solution, ils ont alors fait des trous dans les murs de la ville par lesquels ils se sont mis à jeter les restes de nourriture, « afin que les hyènes se nourrissent de ces victuailles plutôt que des habitants ». D'après les villageois, aucune attaque perpétrée par des hyènes n'a eu lieu depuis 200 ans.

Outre les généreuses offrandes faites par la famille Yusuf, les hyènes se nourrissent également des déchets trouvés dans la décharge de la ville. Réglés comme du papier à musique, les animaux guettent le bruit de la manivelle et du grincement du camion à ordures : une sirène annonçant à l'aube le déchargement d'amas de déchets. Au crépuscule, un autre bruit signe l'heure du repas. « Abbas se tenait sur cette colline et les appelait afin de les attirer chez lui. Il pouvait alors les nourrir devant les touristes », explique Brian Lehmann. Il donne des noms à chacune des hyènes, bien que certaines soient plus réactives que d'autres. Il a même développé une sorte de dialecte spécial afin de les attirer hors de leur repaire.

Même si le photographe n'est pas un spécialiste des espèces sauvages, il a par le passé réalisé des reportages sur les animaux sauvages et sait qu'il est « nécessaire d'être proche pour que la photographie ait un impact visuel ». Plutôt que d'utiliser un piège photographique, la relation d'Abbas avec les hyènes était son laissez-passer. « Lorsque j'étais accompagné d'Abbas, je pouvais faire tout ce que je voulais. Quand j'étais seul, en revanche, il me fallait énormément de temps pour gagner leur confiance », ajoute-t-il.

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    PHOTOGRAPHIE DE Brian Lehmann

    Une nuit, une hyène (dont Abbas est particulièrement proche) les a menés, lui et le photographe, jusqu'à sa tanière. « À ce moment précis, j'ai hésité et me suis demandé : "le moment de ma mort est-il venu ?" », confesse-t-il. « Mais c'est à cet instant précis que j'ai réalisé l'incroyable relation qu'entretenait Abbas avec les hyènes ». L'une des tanières dans lesquelles s'est glissé Abbas abritait même des petits. « On pouvait entendre les autres hyènes se promener à proximité ; elles auraient pu le dévorer en l'espace de deux secondes, mais elles ne l'ont pas fait », s'émerveille-t-il. « Il peut faire absolument tout ce qu'il veut tant elles lui font confiance. »

    Cette tradition singulière, transmise de génération en génération, dépasse l'ordre naturel des choses et montre combien un animal, généralement craint par l'homme et vilipendé dans le folklore, peut être incompris. C'est ce qu'affirme Brian Lehmann : « Il ne fait aucun doute que ce ne sont pas les plus belles créatures. Mais elles ont une part de beauté indéniable. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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