Venezuela : À Caracas, ces aras ont adopté un mode de vie urbain

Des centaines d’aras, de célèbres perroquets hauts en couleur, ont élu domicile à Caracas, la capitale du Venezuela, au grand bonheur des habitants qui en ont fait leurs mascottes.

De Paula Ramón
Publication 15 sept. 2022, 15:27 CEST
Un ara bleu et jaune (Ara ararauna) déploie ses ailes en se posant sur un toit ...

Un ara bleu et jaune (Ara ararauna) déploie ses ailes en se posant sur un toit dans le quartier de Macaracuay, à Caracas (Venezuela).

PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Cegarra, National Geographic Collection

En plein confinement, lors de la pandémie de COVID-19, Elinor Zamora s’est octroyée un bref moment de répit sur le toit de son immeuble pour respirer un peu d’air frais. Là-haut, en cette soirée de 2020, un spectacle surprenant l’attendait : des dizaines d’aras immenses et chamarrés étaient en train de se rassembler juste avant le coucher du Soleil, attirés par un voisin qui leur donnait à manger. Fascinée par la majesté de ces oiseaux, Elinor Zamora se souvient encore de l’émotion que lui a procuré la scène. À l’image de ces aras, elle entreprend désormais un pèlerinage quotidien et ne manque jamais de se rendre sur ce toit pour se délecter de leur splendeur.

« Qu’importe ce qui est en train de se passer, tout le monde sait qu’à 16 heures je rentre chez moi pour voir mes guacamayas sur le toit », raconte-t-elle.

Ces oiseaux qui peuvent mesurer près d’un mètre de longueur sont un des emblèmes de Caracas, capitale érigée dans une vallée séparée de la mer des Antilles par les montagnes de la cordillère de la Costa. Ils fréquentent les toits et les balcons d’innombrables immeubles à la recherche de nourriture. Les gens leur donnent à manger et inondent les réseaux sociaux de photos exhibant leur plumage bleu clair, vert, jaune et rouge. (Les spécialistes déconseillent généralement de nourrir les animaux sauvages, car cela peut être nocif pour eux et peut les rendre dépendants des humains. Mais il semble que ce conseil ait été ignoré dans le cas présent, délibérément ou non).

On s’échange également les détails d’histoires que l’on invente à leur sujet comme s’il s’agissait de petits feuilletons. « Celle qui est jaune est en couple avec celui qui est orange mais elle se fait maltraiter », voici le type de commentaire que l’on peut lire.

« La jaune est toujours sale ; elle doit passer ses journées dans un atelier de réparation de voitures », propose une autre internaute. « La blanquita est gâtée », tente un troisième.

Avec le temps, ces aras ont fini par devenir les mascottes collectives de la capitale.

 

DÉBAUCHE DE COULEURS

D’après Malú González, biologiste et professeure à l’Université Simón Bolívar, c’est leur diversité qui rend les aras de Caracas uniques. « Entre les aras, les perroquets et les perruches, dix-sept espèces volent dans les environs », explique-t-elle.

Parmi celles-ci se trouvent quatre espèces d’aras, toutes autochtones. L’ara vert (Ara severus), qui doit son nom à sa couleur dominante, est le plus petit d’entre eux et est le seul à venir de la région. L’ara rouge (Ara macao), dont le plumage jaune, bleu et rouge rappelle le drapeau vénézuélien, est originaire des plaines et de la région amazonienne. L’ara à ailes vertes (Ara chloropterus) survit principalement en petits groupes dans l’est et dans l’ouest du pays. Il est intéressant de remarquer que ces deux dernières espèces ont été repoussées vers Caracas par l’ara bleu et jaune (Ara ararauna).

Gauche: Supérieur:

Elinor Zamora nourrit des aras sur le toit de son immeuble de Caracas, une habitude qu’elle a prise dès le début du confinement instauré pendant la pandémie.

Droite: Fond:

Lawrence Ginnari s’est assis sur un réservoir d’eau sur le toit de son immeuble pour nourrir des aras. « Ils viennent chaque matin et […] me réveillent », dit-il. Il est devenu créateur de contenu sur TikTok (S8Law) et se sert de l’argent généré sur la plateforme pour acheter des graines pour les aras.

Photographies de Alejandro Cegarra, National Geographic Collection

Gabriel Zamora, neuf ans, observe deux aras qui viennent de se percher sur son balcon pour demander à manger.

PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Cegarra, National Geographic Collection

Historiquement, la capitale ne comptait aucune espèce d’aras autochtone. On ne sait pas vraiment pourquoi ils se sont mis à faire leur nid dans les palmiers de la ville mais, selon Malú González, leur arrivée serait due au commerce des espèces.

« Des générations entières ont grandi avec un perroquet, une perruche ou un ara à la maison, explique-t-elle. Certains se sont échappés, d’autres ont été remis en liberté. »

Lorsque l’on aborde le sujet des aras de Caracas, il n’est pas rare d’entendre parler de Vittorio Poggi. Cet immigré italien a un jour secouru un ara bleu et jaune qui a continué à suivre son sauveur lors de ses balades à moto dans la capitale alors qu’il n’était pas en captivité. Cela a valu à Vittorio Poggi le surnom de « garçon à l’ara ».

Pendant des années, sa célébrité a poussé de nombreuses personnes à lui amener des oiseaux blessés ou malades ainsi que des aras domestiques dont elles ne voulaient plus afin qu’il s’en occupe.

Mais Malú González met en garde, ces oiseaux n’ont pas vocation à vivre en captivité. « La vérité est que ces oiseaux font de piètres animaux domestiques, prévient-elle. Ils sont bruyants, ils cassent tout et mettent le bazar. Beaucoup de personnes en prennent parce qu’ils sont magnifiques. Le premier mois, c’est l’idylle, mais ensuite elles ne les supportent plus et cherchent un moyen de s’en débarrasser. »

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    Souvenirs et reliques remplissent un tableau au domicile de Vittorio Poggi, au Venezuela. Vittorio, immigré originaire de Gênes, a un jour commencé à s’occuper d’aras quand un de ces perroquets s’est engouffré maladroitement par sa fenêtre.

    PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Cegarra, National Geographic Collection

    Vittorio Poggi, pris en photo chez lui en compagnie de Pancho l’ara. Il s’est fait connaître dans sa jeunesse pour sa capacité à parler aux aras. Au bout d’un certain temps, des personnes ont commencé à lui confier des perroquets dont elles ne voulaient plus.

    PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Cegarra, National Geographic Collection

    Pendant des décennies, Vittorio Poggi a remis en liberté dans cette aire urbaine des dizaines d’aras que lui avaient confié des personnes fatiguées de les avoir chez elles. Ce n’est pas la seule cause de la prolifération des aras, mais cela « a en partie favorisé la prédominance des aras bleus et jaunes », précise Malú González.

     

    EN VOL

    Le nombre exact d’aras présents à Caracas est inconnu mais, en 2016, Malú González y a dénombré entre 300 et 400 aras bleus et jaunes.

    « Puis, il s’est passé deux choses », commence-t-elle. En 2017, les manifestations à Caracas ont « eu un impact sur les populations [d’aras] ». Les gaz lacrymogènes et le désordre ambiant ont tué des oiseaux. Puis le temps de la pandémie est venu. « Ils sont revenus pour prendre possession des espaces laissés à l’abandon et je pense que leur population s’est accrue », ajoute-t-elle.

    Cette mosaïque représentant des aras en vol a été réalisée avec 200 000 bouchons de bouteille peints par l’artiste Oscar Olivares.

    PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Cegarra, National Geographic Collection

    Malú González désire comprendre en quoi le fait d’interagir avec les humains modifie le comportement de ces oiseaux dont le nombre décline au sein de leur habitat naturel. À cet effet, elle s’entoure notamment de « personnes passionnées, habituées à s’occuper d’eux, qui leur dédient beaucoup de temps et qui deviennent spécialistes à force de les observer », explique-t-elle. Elle est à la recherche de financements pour développer une application de reconnaissance faciale ornithologique qui permettrait aux personnes qui les observent et les nourrissent au quotidien d’alimenter une base de données.

    Les effets de la vie urbaine sur ces oiseaux sont encore mal connus. Mais d’après elle, certains changements sont bel et bien visibles chez les aras. « Ils s’accouplent entre cousins proches et cela augmente la fréquence de certaines mutations qui sont d’ordinaire très rares », révèle-t-elle.

    Des aras bleus et jaunes (Ara ararauna) volent entre des immeubles résidentiels. Les aras s’apparient pour la vie et volent généralement par deux.

    PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Cegarra, National Geographic Collection

    Selon elle, certaines mutations qui sont fréquentes au sein des petites populations vivant en captivité et se reproduisant entre elles mais qui demeurent rares dans la nature (par exemple le plumage blanc), sont de plus en plus courantes à Caracas, car les oiseaux ne sortent pas de la ville.

    Un autre phénomène est de plus en plus visible : l’hybridité des aras, qui résulte d’un mélange entre deux espèces différentes. On reconnaît notamment les hybrides à leur abondance de couleur (d’orange notamment). À l’inverse, les « mutants » perdent un ton (c’est le cas des aras blancs).

     

    OISEAUX DES VILLES

    De manière générale, les experts déconseillent de nourrir les animaux sauvages. Dans les mangroves et les forêts, les aras bénéficient d’ordinaire d’une alimentation variée et parcourent de longues distances. Mais en ville, ils se nourrissent d’aliments transformés, de bananes ou d’assortiments très peu variés de graines qu’on leur donne et ils ont tendance à être relativement sédentaires. À cause de cela, les aras de Caracas sont susceptibles de voir leur espérance de vie se réduire. Pour ne rien arranger, ils sont parfois percutés par des voitures et la pollution peut les rendre malades.

    Selon Malú González, cette alimentation modifiée pourrait avoir un impact sur leurs cycles de reproduction. « L’abondance d’arbres fruitiers à Caracas, [ainsi que] les graines et la nourriture qu’ils reçoivent sur les toits, ont permis à leur population d’augmenter », explique celle qui essaie en ce moment de découvrir si l’augmentation du nombre d’éclosions est bel et bien corrélée à cette abondance.

    Ces animaux existent dans une zone grise entre l’état sauvage, l’errance et la vie domestique. Certaines personnes les considèrent comme des animaux de compagnie, tandis que d’autres pas. Mais pourquoi acheter un oiseau captif alors que des aras volent dans les rues ?

    Elinor Zamora n’a pour sa part jamais possédé d’oiseau. Elle n’en a pas besoin. « Je dis toujours que je vis seule avec mes guacamayas. »

    Le photographe Alejandro Cegarra est né à Caracas et vit aujourd’hui à Mexico. À l’occasion de ce voyage, il est revenu pour la première fois chez lui depuis le début de la pandémie. Suivez-le sur Instagram @alecegarra.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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