Le castor fait son grand retour sur le sol français

Après avoir frôlé l'extinction en raison de la surchasse, le castor d'Europe (Castor fiber) a progressivement recolonisé nos cours d'eau à partir des années 1970. Cet ingénieur de la nature remplit un rôle essentiel au sein de nos écosystèmes.

De Lou Chabani
Publication 23 déc. 2022, 17:00 CET
Cliché aquatique d'une femelle castor transportant une branche de peuplier sous l'eau. Les peupliers sont les ...

Cliché aquatique d'une femelle castor transportant une branche de peuplier sous l'eau. Les peupliers sont les arbres les plus couramment utilisés par les castors - Projet Loire Nature (2021).

PHOTOGRAPHIE DE Louis-Marie Préau

Lorsque l’on observe un castor d’Europe (Castor fiber), il peut parfois être difficile de réaliser qu’un si petit animal puisse être le concepteur de structures aussi complexes que des barrages.

Composées d’une à plusieurs retenues d’eau, ces constructions sont également dotées d’une hutte à deux entrées – l’une sous l’eau, et l’autre sur terre. Les structures de son cousin du Canada (Castor canadensis) peuvent même atteindre les plusieurs centaines de mètres de long et être visibles depuis l’espace.

« Le castor est une espèce ingénieur », explique Guillaume Delaunay, responsable du service Biodiversité et Paysages au parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine. « Cela signifie qu’il s’agit d’une espèce qui modèle son environnement à ses besoins propres. »

Plus modéré dans ses ambitions d’aménagement, le castor d’Europe reste cependant un acteur essentiel des environnements fluviaux. Du fait de sa capacité à créer de grandes étendues humides, de nombreuses espèces aussi bien terrestres qu’aquatiques dépendent de sa présence.

Durant de longues décennies, le castor a pourtant été absent de notre territoire ; une disparition intégralement due à une chasse excessive qui a décimé sa population jusqu’à sa quasi-extinction au début du 20e siècle.

Néanmoins, grâce à des mesures de protection et de réintroduction, la population de castor français a pu reprendre le dessus. Aujourd’hui très présent dans le bassin de la Loire, du Rhône et des Cévennes, l’architecte de nos rivières continue son petit bout de chemin, un barrage après l’autre.

 

POISSONS ET PARFUMS

Si le castor a disparu des rivières françaises, c’est avant tout en raison de sa fourrure, pour laquelle il est chassé depuis des temps immémoriaux. Chaude et épaisse, elle était très appréciée pour la fabrication de manteaux, écharpes et chapeaux.

C’est pour cette même raison que son cousin canadien a lui aussi frôlé l’extinction. Constatant avec inquiétude le déclin de l’animal sur les territoires européens, le Cardinal de Richelieu avait en effet favorisé la trappe du castor du Canada.

Ce commerce a été l’un des arguments à l’origine de la Guerre de Sept Ans (1756-1763), plus tard considérée comme l’une des premières guerres mondiales de l’Histoire. Parmi la liste des conflits, on trouve en effet une lutte entre Français et Anglais pour assurer le contrôle des meilleures zones de piégeage du rongeur constructeur.

Au plus fort de la traite, on estime ainsi que 200 000 fourrures étaient envoyées chaque année vers l’Europe.

Cependant, la liste des attraits du castor ne s’arrête pas là : en plus de sa fourrure, le petit architecte était également chassé pour le castoréum.

« Le castoréum est une substance huileuse produite par deux glandes périanales que l’on utilise toujours de nos jours dans des parfums, en cosmétique et en pharmacopée », explique M. Delaunay. « C’est une substance qui sent très fort. Elle sert au castor pour imperméabiliser son pelage et délimiter son territoire. »

Le castoréum, que le spécialiste décrit comme ayant une odeur de saule, est également l’un des composants principaux de l’arôme artificiel de vanille.

Le castor est également chassé pour sa chair, qui est très appréciée, notamment en période de Carême.

« Au Moyen Âge, et jusqu’au 18e siècle, on consommait du castor les jours maigres, car les religieux considéraient cette viande comme de la chair de poisson », précise M. Delaunay. « L’animal vivait dans l’eau et avait des écailles. Nous n’avions pas les mêmes modes de perception de la zoologie, à l’époque. »

Gauche: Supérieur:

Barrage de castor dans le parc naturel régional de Loire-Anjou-Touraine. Moins imposants que les constructions de leurs cousins canadiens, les barrages des castors européens représentent néanmoins une aubaine pour de nombreuses espèces.

Droite: Fond:

Avec leurs incisives tranchantes, les castors peuvent abattre des arbres parfois très imposants pour construire leurs barrages. La forme de taille dit « en crayon » est caractéristique du rongeur, et compte parmi les indices qui trahissent sa présence sur un territoire.

Photographies de Parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine

 

UN RETOUR EN DOUCEUR

S’il est devenu le premier mammifère protégé de France en 1909, mesure soutenue par la loi de protection de la nature de 1976, c’est en 1974 que le castor a été réintroduit dans le bassin de la Loire par la Société nationale de protection de la nature (SNPN).

« À l’époque, l’espèce avait totalement disparu du bassin de la Loire et de ses affluents. Il subsistait quelques individus […] vers l’estuaire du Rhône, les derniers de France. La réintroduction sur le bassin de la Loire s’est faite à partir de ces derniers. »

Selon M. Delaunay, treize individus ont été réintroduits entre 1974 et 1976. N’étant plus menacés par la chasse et n’ayant que peu de prédateurs, ils se sont répandus le long de la Loire au cours des cinquante années qui ont suivi.

« Il a d’abord colonisé le fleuve et ses annexes fluviales. Désormais, il colonise [...] les affluents du fleuve, et progressivement les zones les plus reculées des têtes de bassins », ajoute le spécialiste. « Il continue sa progression tout seul. »

Considérés comme une « espèce ingénieur », à l’instar des termites ou des coraux, les castors peuvent engendrer des changements durables sur leur environnement. La réalisation d’un barrage peut ainsi profondément modifier la dynamique hydrique d’un lieu, même si celui-ci est modifié par l’Homme.

« On a vu une famille s’installer [...], il y a deux ans, sur un tout petit ruisseau. Le secteur ne semblait pas très humide ni très accueillant », décrit M. Delaunay. « En faisant un barrage, ils ont rendu le secteur accueillant […] en recréant une zone humide qui n’existait plus dans ce secteur fortement aménagé depuis plusieurs siècles. »

Une femelle castor avec son petit. Réintroduite dans la région entre 1974 et 1976, la population de castors a progressivement augmenté et recolonisé tout le bassin de la Loire - Projet Loire Nature (2021).

PHOTOGRAPHIE DE Louis-Marie Préau

 

UN VOISIN GÊNANT ?

Armé de ses quatre incisives tranchantes, le castor est à la fois bâtisseur et paysagiste. Capable d’abattre de très gros troncs pour sa petite taille, il préfère cependant s’attaquer aux petits arbres et aux branches pour construire ses barrages.

Les traces de taille « en crayon » qu’ils laissent derrière eux sont d’ailleurs bien souvent le meilleur indicateur de leur présence.

Très craintifs par nature, les castors sont en effet majoritairement nocturnes et vivent en petites cellules familiales. Au moindre intrus sur leur territoire, ils plongent, avertissent leurs congénères d’un battement de queue sur la surface, et ne réapparaissent que lorsque tout danger potentiel est écarté.

Herbivores et non agressifs, ils peuvent néanmoins être considérés comme un problème par les personnes qui partagent leur habitat, et ce depuis le Moyen Âge. Selon M. Delaunay, il arrive que les jeunes mâles coupent de gros arbres pour signaler leur arrivée sur un nouveau territoire. Les castors peuvent aussi se retrouver à abattre plusieurs arbres de suite en bord de rivières pour permettre la création de leurs retenues d’eau. Bien souvent, ces actions sont peu appréciées des riverains, car non dédommagées.

« Le castor modèle notre écosystème [et] entretient les rivières en taillant arbres et arbustes », tempère-t-il. « Avec ses ouvrages, il participe au ralentissement de l’eau, et a ainsi un rôle sur l’amoindrissement des aléas liés à des épisodes de fortes pluies avec crues violentes. »

Afin d’assurer le suivi des populations et la surveillance de leur développement, les parcs régionaux et nationaux mettent régulièrement en place de nombreux suivis scientifiques. Grâce à ces derniers, nous savons que la population de castors a connu une évolution positive au cours des dernières décennies.

L’autre objectif de ces suivis est de garantir la sensibilisation éclairée des populations et des élus sur l’intérêt de la préservation des castors ; des informations qui sont essentielles lors de la préparation des aménagements, aussi bien terrestres que fluviaux.

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