Découverte : les loups chassent aussi les loutres de mer et les phoques

Si la plupart d’entre nous se figurent les loups comme des prédateurs qui s’en prennent au bétail ou aux cerfs, ces animaux polyvalents peuvent, selon une nouvelle étude, se nourrir de proies très diverses, en particulier en Alaska.

De Elizabeth Anne Brown
Publication 15 nov. 2023, 14:17 CET
Un loup du Parc national et réserve de Katmai, en Alaska, tient fermement une loutre de ...

Un loup du Parc national et réserve de Katmai, en Alaska, tient fermement une loutre de mer avec la mâchoire. Selon une nouvelle étude, on a réussi à filmer pour la première fois plusieurs de ces prédateurs côtiers en train de chasser et de mettre à mort des phoques et des loutres de mer.

PHOTOGRAPHIE DE Landon Bazeley

En patrouille sur une plage reculée du littoral de Katmai, en Alaska, le loup blanc s’est approché de l’embouchure d’un ruisseau qui se jette dans l’eau salée de la baie d’Hallo.

Une minute plus tard environ, le prédateur s’est précipité dans l’eau en refermant ses puissantes mâchoires sur la queue d’un phoque commun (Phoca vitulina), un mammifère marin de grande taille pouvant peser plus de deux fois le poids d’un loup adulte.

D’un coup de mâchoire franc, le loup a tiré le phoque sur un banc de sable et, pendant la demi-heure qui a suivi, ce dernier a vainement chercher à mordre son ravisseur qui continuait de déchiqueter sa queue. Une fois le phoque mort, le loup s’est éloigné en trottinant, puis est revenu avec un compagnon de meute. Ensemble, ils ont dévoré leur prise.

Cette scène, filmée par un groupe de biologistes du Parc national et de la réserve de Katmai en 2016, est la première à montrer la chasse et la mise à mort d’un mammifère marin par un loup. En 2021, les chercheurs ont assisté à leur première chasse de loutre de mer : une femelle allaitante et deux mâles ont tué une loutre de mer adulte qui se reposait sur un affleurement rocheux.

Leurs résultats, publiés en octobre dans la revue Ecology, sont importants, car ils sont en rupture avec ce pour quoi les loups sont connus : la chasse d’animaux ongulés tels que les cerfs et les élans, l’épuisement de leur proie grâce leur endurance implacable et la coopération tactique en meute. Cette étude réalisée à Katmai s’inscrit dans un ensemble toujours plus important de recherches qui suggèrent que les loups sont plus flexibles que ce que l’on pensait et qu’ils se repaissent aussi bien de castors que de saumons. 

« Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il faut envisager les loups comme des prédateurs qui ne sont pas strictement terrestres et qui peuvent influencer différents écosystèmes, et dans ce cas, des écosystèmes côtiers, et d’ailleurs ils constituent potentiellement un maillon important entre les systèmes terrestres et marins », indique Kelsey Griffin, biologiste au Service des parcs nationaux et autrice principale de l’article.

 

UNE EMBUSCADE ET UN REPAS

Le littoral de Katmai, avec ses fjords longés de glaciers, ses vastes prairies et ses larges plages sablonneuses, est splendide… et extraordinairement isolé. Kelsey Griffin et son équipe ont d’ailleurs dû y être déposés par hélicoptère.

Bien que le crachin froid et constant ainsi que les innombrables tempêtes puissent être inhospitaliers pour les humains, la faune, elle, s’épanouit à Katmai. La Fat Bear Week, compétition annuelle organisée par le Parc national de Katmai, a lieu chaque été dans des ruisseaux regorgeant de saumons rouges (Oncorhynchus nerka). Ces dernières décennies, les populations renaissantes de loutres de mer et de phoques communs ont réinvestis leur aire historique par milliers.

Des études précédentes avaient mis en évidence des traces laissant penser qu’en Alaska et en Colombie-Britannique, des loups se nourrissaient d’animaux marins : des échantillons de matière fécales contenaient du matériel génétique de phoques, de loutres de mer et même d’otaries. Les loups sont des charognards opportunistes et ne dédaignent pas une carcasse, mais la régularité avec laquelle des animaux marins apparaissaient dans les échantillons de matière fécale suggérait qu’il s’agissait « d’une stratégie qu’ils ont adoptée », explique Ellen Dymit, co-autrice de l’étude et doctorante en sciences de la faune à l’Université d’État de l’Oregon. Selon elle, plusieurs meutes ont installé leur tanière près d’une plage.

Mais puisque personne n’avait jamais vu de ses propres yeux un loup tuer un phoque commun ou une loutre de mer, les chercheurs ont commencé à surveiller la plage, en installant des pièges photographiques et en restant tout bonnement assis un appareil à la main. C’est d’ailleurs par pure chance qu’ils ont réussi à filmer le loup en train de s’en prendre au phoque. Comme en témoigne Kelsey Griffin, ils étaient en train de regarder des grizzlis chercher de la nourriture non loin de là quand ils ont aperçu le loup blanc.

COMPRENDRE : Les loups

Pour immortaliser ce comportement, Kelsey Griffin et son équipe ont concentré leurs efforts sur les moments où la marée était au plus bas, c’est-à-dire au moment où les loutres avaient le moins d’eau pour manœuvrer et où les loups étaient le plus à même d’accéder aux chapelets de petites îles intertidales. Les loups sont des nageurs compétents ; une brasse de chien, mais en plus noble, illustre Kelsey Griffin.

En 2021, ils ont finalement vu une loutre de mer être prise en chasse, et cela a été particulièrement brutal : la loutre a été « tirée et écartelée […] comme s’il s’agissait d’une torture médiévale », explique Ellen Dymit. Un mâle s’est installé pour pour dévorer la tête, ne laissant en tout et pour tout que deux fragments de la mâchoire de l’animal, tandis qu’un autre mâle s’est éloigné avec sa fourrure, peut-être pour garnir sa tanière ou pour familiariser les petits de la meute avec l’odeur de leurs futures proies. 

Pour les auteurs, chaque observation suscite de nouvelles questions auxquelles il leur tarde de répondre. La meute qui a attaqué la loutre de mer a étrangement laissé le foie de cette dernière, alors que c’est d’ordinaire une friandise prisée. Une analyse chimique a révélé que l’organe abandonné contenait des taux extraordinaires de toxines paralysantes produites par des crustacés qui se sont accumulées à mesure que la loutre de mer se repaissait des innombrables palourdes et mollusques de la zone.

 

L’UN DES CARNIVORES QUI S’EN SORT LE MIEUX

Selon Tom Gable, biologiste et directeur d’un programme d’étude de l’alimentation des loups du Parc national des Voyageurs à l’Université du Minnesota, l’étude de Kelsey Griffin apporte une preuve supplémentaire que les loups sont des prédateurs polyvalents. « Les loups sont particulièrement doués pour trouver des sources de nourritures uniques », fait observer celui qui n’a pas pris part à la présente étude.

Cette année, l’équipe de Tom Gable a publié une étude qui montre que les loups chassent des des meuniers noirs (Castostomus commersoni), des poissons d’eau douce. Par rapport à la longue besogne et au risque que représente la chasse d’un cerf, la pêche est « super facile » pour les loups, explique-t-il. En saison de frai, les loups « se contentent de s’asseoir sur une berge et d’attraper ces poissons qui nagent à contre-courant. » 

L’équipe de Tom Gable a également découvert que les myrtilles peuvent représenter jusqu’à 83 % de l’alimentation d’un loup durant l’été. Bien que celles-ci ne constituent pas une excellente source de nutriments, elles permettent de remplir le ventre des petits et de leur éviter de perdre du poids en périodes de vache maigre.

« Cela montre tout simplement pourquoi les loups font partie des carnivores qui s’en sortent le mieux dans l’hémisphère nord, affirme Tom Gable. Les loups occupent un nombre d’habitats si variés ; des déserts, des littoraux, des forêts, des plaines. Ils ont trouvé un moyen de vivre dans tous types d’environnements. »

Selon Ellen Dymit, il est dans la logique des choses que le goût des loups ne se restreigne pas aux animaux ongulés. « Pensez aux coyotes et aux renards et à tous les autres canidés, ils mangent toutes sortes de choses, ils sont très flexibles par rapport à leur environnement. Il est un peu bizarre, rétrospectivement, que nous ayons cantonné les loups au rôle de chasseurs de cerfs. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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