Les pumas ont été réintroduits en Patagonie... et ont rencontré les manchots

Une expérience menée dans un parc national de Patagonie montre comment le retour d’un grand prédateur peut remodeler un écosystème.

De Meghie Rodrigues
Publication 23 déc. 2025, 14:09 CET
Longtemps absents de la Patagonie argentine en raison d’une chasse excessive, les pumas sont revenus et ...

Longtemps absents de la Patagonie argentine en raison d’une chasse excessive, les pumas sont revenus et ont commencé à chasser les manchots de Magellan locaux, qui ne font normalement pas partie du régime alimentaire de ces grands félins. Une nouvelle étude montre comment ce phénomène façonne le comportement des pumas.

PHOTOGRAPHIE DE Mitchell Serota

Pendant des décennies, les pumas se sont attaqués aux moutons des ranchs le long de la côte argentine, et les éleveurs les ont chassés jusqu'à l'extinction - ou presque. Les pumas ont simplement disparu du paysage. Puis, en 2004, des conservationnistes ont créé le parc national de Monte León dans la région. Comme on pouvait s'y attendre, une fois les fusils remisés, les grands félins sont revenus. Et lorsqu’ils sont revenus, ils ont trouvé un nouvel acteur sur leur ancien territoire : les manchots de Magellan.

Ce que les scientifiques n’avaient pas anticipé, c’est que non seulement les pumas s’attaqueraient aux manchots, mais que l’arrivée saisonnière de ces oiseaux réorganiserait la manière dont ces félins réputés solitaires se déplaceraient, interagiraient et chasseraient. Une nouvelle étude publiée dans la revue Proceedings of the Royal Society B documente pour la première fois ce changement de comportement chez les pumas et remet en question nos hypothèses sur ce qui se produit lorsque de grands prédateurs réintègrent un écosystème.

« Lorsque nous commençons à réensauvager les terres, les espèces qui reviennent peuvent se retrouver dans un système légèrement différent de celui qu’elles habitaient il y a 100 ans, et elles s’y adaptent », explique Emiliano Donadio, directeur scientifique de la Fundación Rewilding Argentina et coauteur de l’étude.

Puma (ou cougar)
  • Nom Commun: Puma (ou cougar)
  • Nom Scientifique: Puma concolor
  • Genre: Mammifères
  • Durée de vie moyenne à l'état sauvage: 8 à 13 ans
  • Poids: De 53 à 72 kg pour les mâles, de 34 à 48 kg pour les femelles
  • Taille comparée à un humain de 1,80 m: Taille comparée à un humain de 1,80 m

 

LA PRÉDATION DES PUMAS

Les chercheurs n’avaient pas initialement l’intention d’étudier cette relation prédateur-proie si singulière. L’auteur principal et écologue Mitchell Serota, alors à l’Université de Californie, travaillait avec la Fundación Rewilding Argentina pour étudier la manière dont la faune réagit lorsque les pressions humaines sont levées. « Je suis allé en Patagonie pour comprendre de manière générale les résultats de la restauration. Les manchots n’étaient absolument pas l’objet initial de l’étude », explique-t-il.

En 2023, Serota et ses collègues ont rapporté que les grands félins se nourrissaient en réalité de ces oiseaux maladroits. « Cette interaction était connue, mais nous pensions qu’elle était marginale », dit-il. « Peut-être seulement le fait de quelques individus. »

L’équipe avait installé trente-deux pièges photographiques dans l’ensemble du parc et suivi quatorze pumas adultes (Puma concolor) équipés de colliers GPS entre septembre 2019 et janvier 2023. En combinant ces données avec des observations de terrain, les chercheurs ont rapidement compris que les pumas consommaient des manchots bien plus fréquemment que prévu.

« Nous obtenions des détections répétées de pumas juste autour de la colonie de manchots », se souvient Serota. « C’est à ce moment-là qu’il est devenu clair que ce n’était pas un détail anecdotique. C’était quelque chose qui façonnait la manière dont ces animaux utilisaient le paysage. »

 

DE NOUVELLES PROIES

Les manchots de Magellan (Spheniscus magellanicus) passant une grande partie de leur vie en mer, ils constituent une proie inhabituelle pour un grand carnivore terrestre dont l’alimentation est principalement composée de mammifères terrestres, comme les cerfs, les guanacos (parents des lamas) et les lièvres. Mais pendant leur saison de reproduction, approximativement de septembre à avril, ces oiseaux marins se rassemblent en grand nombre à terre. À Monte León, plus de 40 000 couples reproducteurs nichent le long d’un littoral d’environ deux kilomètres.

Pour un puma, dont le territoire peut couvrir des centaines de kilomètres carrés, cela crée une situation singulière : une source de nourriture extrêmement abondante, concentrée dans une zone très restreinte, et disponible seulement une partie de l’année. L’équipe a constaté que la densité de population restait similaire, environ 13 félins pour 100 kilomètres carrés, que les manchots soient présents ou non. Ainsi, les manchots n’ont pas entraîné une augmentation du nombre de pumas, mais ont réorganisé la manière dont ces félins se partagent l’espace.

Les pumas mangeurs de manchots, en réalité, se comportent de manière assez différente de ceux qui privilégient d’autres régimes alimentaires en Patagonie. L’étude a révélé que les grands félins consommateurs d’oiseaux partageaient le même espace beaucoup plus fréquemment que ceux qui ne mangent pas d’oiseaux, et qu’ils ne s’attaquaient pas les uns aux autres aussi souvent qu’on aurait pu s’y attendre. « En d’autres termes, les pumas mangeurs de manchots se montraient assez tolérants envers la présence de leurs congénères », explique Donadio, qui est également un explorateur National Geographic.

Une telle tolérance a surpris, compte tenu de la réputation qu'ont les pumas d'être de grands solitaires. En Patagonie, ces grands félins évoluent à découvert, puisqu’ils sont les prédateurs dominants. « Contrairement à l’Afrique, ils n’ont pas besoin de se regrouper pour abattre des proies deux ou trois fois plus grosses qu’eux. Et contrairement à l’Amérique du Nord, il n’y a ni grizzlis, ni ours noirs, ni loups ; ces félins ne se déplacent donc pas furtivement dans les arbres la nuit comme ils le font chez nous », explique Jim Williams, qui a travaillé pendant des décennies comme biologiste au sein de Montana Fish, Wildlife and Parks et qui a écrit sur la relation entre les oiseaux marins et les grands félins dans son livre Path of the Puma.

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    Dans une certaine mesure, il est logique que les pumas se soient rués sur cette nouvelle source de nourriture, car les manchots sont des proies à faible risque. « Les grands félins, lions, panthères, cougars, pumas... s’attaquent toujours aux sources de nourriture les plus abondantes et les plus vulnérables disponibles », explique Williams, qui n’a pas participé à la récente étude. « Ce n’est pas surprenant d’un point de vue écologique ni un comportement contre nature, mais cela l’est pour les personnes qui ne savent pas que les manchots et les pumas partagent les mêmes espaces », ajoute-t-il.

    Mais les changements de comportement sont, eux, surprenants. « Nous avons tendance à considérer les pumas comme extrêmement agressifs et intolérants », explique Donadio. « Mais lorsque la nourriture est abondante et concentrée, il n’y a pas besoin de la défendre. Ils deviennent plus tolérants socialement », ajoute-t-il.

     

    DES QUESTIONS DEMEURENT

    Donadio explique que, jusqu’à présent, les relevés suggèrent que la colonie de manchots est restée stable, voire a augmenté depuis la création du parc. Ce qui demeure incertain, c’est la manière dont les changements de comportement des pumas induits par les manchots se répercutent sur le reste de l’écosystème, en particulier sur les guanacos, principal herbivore de Patagonie, et proie traditionnelle des pumas.

    Malgré les modifications comportementales mises en évidence par l’étude, certaines questions importantes restent sans réponse. Les chercheurs ne savent toujours pas combien de manchots chaque puma tue, ce qui rend difficile l’évaluation des conséquences à long terme de la prédation sur la colonie, même si les effectifs de manchots à Monte León semblent pour l’instant stables ou en augmentation. Ils ne peuvent pas non plus déterminer si la forte densité de pumas constitue une caractéristique temporaire ou durable de l’écosystème.

    Par ailleurs, les chercheurs doivent encore élucider les conséquences écologiques plus larges des changements de comportement des pumas liés aux manchots. « Nous savons que la colonie de manchots a changé la façon dont les pumas se procurent leur nourriture, mais la prochaine étape consiste à comprendre les implications écologiques de ce changement », explique Serota.

    Pour l’instant, ces observations sur le comportement des pumas montrent que, lorsqu’on laisse de l’espace à la nature, elle ne revient pas toujours en arrière, elle s'adapte. « La restauration ne signifie pas revenir à un instantané historique », affirme Serota. « Les espèces reviennent dans des écosystèmes qui ont profondément changé. Cela peut créer des interactions entièrement nouvelles. »

    La National Geographic Society, engagée pour mettre en lumière et protéger les merveilles de notre planète, a financé le projet d’Emiliano Donadio. Pour en savoir plus sur la façon dont la National Geographic Society soutient ses explorateurs, cliquez ici

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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