Ces minuscules araignées chassent des proies 700 fois plus grandes qu'elles

Ces arachnides d’Amérique du Sud misent sur l'effort de groupe et des mouvements de danse funky pour attraper leurs proies.

De Jason Bittel
Publication 10 mars 2022, 13:50 CET
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Ces minuscules araignées d’Amérique du Sud (photographie réalisée au Brésil) peuvent tisser jusqu’à 9,5 mètres de toile.

PHOTOGRAPHIE DE Claus Meyer, Minden Pictures

Si vous vous baladez dans les forêts tropicales de Guyane, vous rencontrerez des toiles d’araignées géantes, plus longues que des autobus. À l’intérieur se trouvent des milliers de minuscules araignées d’un demi-centimètre de long qui attendent que leurs proies soient prises au piège, permettant aux petits prédateurs de se ruer sur leurs victimes pour les submerger.

« En groupe, elles peuvent capturer des proies qui sont jusqu’à 700 fois [plus lourdes] que chacune d’entre elles » telles que des mites ou des sauterelles, explique Raphaël Jeanson, éthologue qui étudie le comportement des animaux dans leur environnement naturel au Centre de Biologie Intégrative de Toulouse. Anelosimus eximius est qualifiée d’araignée « sociale », c’est-à-dire qu’elle vit dans de grandes colonies coopératives : un mode de vie extrêmement rare pour les arachnides.

Arachnophobes, ne vous inquiétez pas. Chacune de ces araignées ambrées d’Amérique du Sud est plus petite qu’une coccinelle et, même lorsqu’elles chassent en groupe, elles ne représentent aucun danger pour les êtres humains.

En réalité, nous pourrions même apprendre de ces araignées qui travaillent ensemble pour un objectif commun.

Dans une étude publiée cette semaine dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences, l’auteur principal, Jeanson, et ses collègues, ont observé que c’était lorsqu’elles synchronisaient leurs mouvements que ces araignées capturaient le plus de proies. Plus concrètement, elles exécutent une sorte de danse de popping et de locking qui voit chaque individu commencer et s’arrêter rapidement, tous en même temps.

Bien sûr, ce qu’elles font n’est pas vraiment une danse : elles exécutent ces mouvements dans le but de ressentir les vibrations des insectes pris dans leurs toiles, mais aussi de leurs compères participant à la chasse. Si toutes les araignées bougeaient à un rythme différent, cela créerait tellement de bruit qu’elles seraient incapables « d’entendre » les insectes pris au piège. Ainsi, en synchronisant leurs mouvements, les araignées détectent leurs proies plus facilement.

Cette stratégie n’est pas sans risque : attendre trop longtemps pour coordonner les mouvements peut permettre aux autres araignées de la même espèce d’accéder à la nourriture en premier. Les scientifiques ont toutefois observé que les récompenses de cette synchronisation, c’est-à-dire la capacité à localiser la nourriture sur leurs toiles géantes avec précision, compensent ce risque et permettent ainsi à l’espèce de collaborer et de se partager le butin.

Un groupe d’araignées mangeant un animal pris au piège lors d’une chasse collective.

PHOTOGRAPHIE DE of Raphaël Jeanson/CNRS

En outre, Jeanson ajoute que l’étude des modèles de coordination de ces araignées pourraient aider les ingénieurs humains qui développent des robots ou programmes informatiques guidés par l’intelligence distribuée.

 

UNE CHASSE EN HARMONIE

Parmi les 50 000 espèces d’araignées connues aujourd’hui, seulement une vingtaine vivent en continu dans des colonies « sociales » coopératives, et toutes se trouvent dans des régions tropicales ou subtropicales. Elles peuvent avoir toutes sortes de comportements, tels que s’occuper des petits des autres, ou tout simplement vivre ensemble sur la même toile sans s’entretuer. À l’heure actuelle, selon Jeanson, Anelosimus eximius est la première espèce à faire preuve de mouvements synchronisés.

Du fait de leur timidité, ces animaux sont aussi assez difficiles à étudier. L’auteur principal de l’étude affirme que « si nous faisons trop de bruit autour de la toile, elles ont tendance à se cacher. » (Lisez tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les toiles d’araignées).

Les trouver, c’est facile : il est impossible de passer à côté de leurs toiles gigantesques et chatoyantes tissées au bord des routes de Guyane. Cette facilité à les localiser a offert de nombreuses occasions à Jeanson et ses collègues d’observer ces araignées sociales à l’œuvre.

Pour découvrir les secrets de cette colonie d’Anelosimus eximius, les scientifiques ont mis en place une expérience en conditions réelles qui consistait à filmer de petits groupes d’environ vingt-cinq araignées en train de réagir à un appât : dans ce cas, un taon mort rattaché par un câble à un moteur.

L’équipe de l’étude pouvait contrôler les vibrations de l’appât, et ainsi mesurer en temps réel les réactions des araignées à différentes variables, telles la vibration douce et subtile d’une petite proie ou le fort chancellement causé par une proie plus imposante. (Découvrez les araignées qui chassent des serpents).

Les chercheurs ont entré ces données dans un modèle informatique afin de simuler davantage de scénarios d’araignées en chasse qui pourraient être observés dans des conditions réelles. Ces données ont montré que, en synchronisant leurs mouvements, les araignées sauvages attrapaient plus de proies que si elles ne se coordonnaient pas.

Les toiles de ces araignées sociales abondent dans les forêts tropicales de Guyane.

PHOTOGRAPHIE DE of Raphaël Jeanson/CNRS

Une autre découverte fascinante, selon Jeanson, est que les araignées sont capables d’adapter leur comportement en fonction de la situation. Si un petit insecte qui créait de légères vibrations était pris au piège dans leur toile, les arachnides devaient se synchroniser pour pouvoir le ressentir. En revanche, un gros insecte qui émettait des vibrations fortes et virulentes était assez bruyant pour ne pas nécessiter d’harmonisation. (Découvrez comment les personnalités des araignées déterminent leur efficacité).

« C’est comme une pièce dans laquelle des gens discutent », explique Raphaël Jeanson. « S’il y a un bruit léger et vague, tout le monde doit se taire pour l’entendre. Mais s’il y a une grosse explosion, on n’a pas besoin de se taire pour la remarquer. »

 

LES PARENTS ARAIGNÉES NOUS RESSEMBLENT

D’après Lena Grinsted, biologiste évolutionniste et conférencière à l’Université de Portsmouth au Royaume-Uni qui n’a pas participé à l’étude, ces découvertes posent des questions intéressantes.

Grinsted se demande si les araignées sont toutes autant impliquées dans la synchronisation, ou si certaines trichent ou profitent du travail des autres : un aspect du comportement des créatures sociales qui est encore en train d’être étudié. (Jetez un œil à dix magnifiques photos qui vous feront aimer les araignées).

Cette étude est une bonne opportunité de mettre en lumière une espèce peu connue qui « défie tous les stéréotypes que nous avons sur les araignées », affirme Grinsted, qui a étudié les araignées sociales en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie et en Europe.

D’une part, les araignées sociales telles que les Anelosimus eximius se distinguent du fait qu’elles acceptent que d’autres araignées ou insectes viennent traîner sur leurs toiles.

« J’ai tendance à les appeler des araignées hippies, car elles sont plutôt dociles et tolérantes. »

Ces arachnides sociaux sont aussi de bons parents : elles prennent soin non seulement de leurs propres bébés, mais aussi de ceux de toutes les araignées des environs. Après une chasse efficace, les mères ramènent également de la nourriture à leurs petits.

« Elles s’assoient et régurgitent des petites gouttes de nourriture liquide », décrit Grinsted. « Puis les bébés se rapprochent et viennent boire aux parties buccales des femelles. » Pour elle, « c’est juste très mignon. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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