Chez les éléphants, la raison du plus fort n'est pas la meilleure

Selon une étude parue dans PNAS, les pachydermes se seraient domestiqués tout seuls, privilégiant toujours les partenaires les plus civilisés et sociables pour se reproduire. La gentillesse serait-elle une clé méconnue de l’évolution ?

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 22 mai 2023, 14:11 CEST
Un éléphant mâle est accueilli par une matriarche et sa petite.

Un éléphant mâle est accueilli par une matriarche et sa petite.

 

PHOTOGRAPHIE DE MICHAEL NICHOLS/ National Geographic Image Collection

Seuls les plus forts, les plus violents ont leur place dans le règne animal ? Cette idée pourrait bien être balayée d’un coup d’oreille de pachyderme. Une nouvelle étude parue dans la revue PNAS en avril 2023 suggère qu’au cours de l’évolution, les éléphants auraient toujours choisi les partenaires les plus civilisés, les plus gentils pour se reproduire, favorisant ainsi l’émergence d’une espèce sociable. Ils se seraient ainsi « auto-domestiqués », comme les bonobos... et les humains.

D’où vient cette idée ? D’abord d’une observation méticuleuse des espèces qui ont été domestiquées par une main extérieure. Comme les moutons, les vaches, les cochons ou encore les loups. Au fil des siècles, les Hommes ont sélectionné chez ces espèces les individus les plus dociles. Les loups sauvages sont ainsi devenus des labradors, des caniches ou des teckels, qui se blottissent sur nos jambes et rapportent sagement la balle.

Cette domestication des loups a eu des effets physiques visibles : un visage plus enfantin, moins de poils, un pelage tacheté... Mais aussi des conséquences génétiques et comportementales : les individus sont moins agressifs, plus joueurs, leur enfance dure plus longtemps et ils ont développé des manières de communiquer plus complexes. 

Cette enfance qui s’éternise, ce langage complexe, cette pilosité moins présente... Ces caractéristiques ne vous rappellent rien ? Voilà des traits qui se retrouvent chez l’humain. En 2017, l’anthropologue Brian Hare émettait ainsi l’hypothèse que les êtres humains se seraient domestiqués… mais sans l’aide de personne ! Au cours de l’évolution au milieu et à la fin du Paléolithique, l’humain aurait naturellement sélectionné les individus les moins agressifs, les plus doux, les plus prompts à coopérer, que ce soit dans les relations sexuelles ou dans d'autres relations sociales.

Difficile à croire, au vu de l’actualité ? « Les nouvelles vont en fait plutôt dans le sens de cette hypothèse. Plus on "s'auto-domestique", moins on réagit violemment aux agressions extérieures. Dit simplement, on ne frappe pas à tout va en réponse à la moindre contrariété. Tout ce que nous produisons, tout ce que nous voyons autour de nous, nécessite en fait une formidable capacité à coopérer » explique Limor Raviv, spécialiste de l’évolution des langages au sein de l’Institut Max Planck, et autrice principale de l’étude sur l’auto-domestication des éléphants, basée sur la théorie de l’anthropologue Brian Hare.

Cette capacité à se domestiquer seuls se retrouverait chez les humains mais aussi les bonobos et les pachydermes, selon cette nouvelle étude, même si « nous n’en sommes qu’au stade d’une première hypothèse » explique la scientifique. L’animal coche toutes les cases. Comportementales d’abord. « Les éléphants sont très peu agressifs (sauf dans des cas rares, souvent liés à des traumatismes). Ils utilisent un langage complexe, et restent joueurs y compris à l’âge adulte (avec les éclaboussures, les jeux dans la boue ou dans l’eau..). Les infanticides sont extrêmement rares. De plus, les pachydermes partagent les responsabilités parentales, protègent et réconfortent leurs congénères en détresse, et aident des individus qui n'appartiennent pas à leur groupe. Cette capacité à coopérer avec des éléphants d’un autre troupeau est un signe d’auto-domestication important. »

Un éléphanteau se promène avec sa famille sur l'un des nombreux chemins que des générations d'éléphants de forêt ont tracé à travers la forêt vierge.

PHOTOGRAPHIE DE JASPER DOEST/ National Geographic Image Collection

Les éléphants posséderaient aussi les traces morphologiques de cette évolution. « Il n’ont plus les poils du mammouth et ont une mâchoire plus petite » explique Limor Raviv. Autres signaux de leur « auto-domestication » ; leur niveau de stress (cortisol) varie en fonction de caractéristiques naturelles (la quantité de nourriture disponible) mais aussi sociales. Les éléphants font ainsi preuve d’une sensibilité extrême. Face au braconnage, à la disparition de leurs proches, ils peuvent présenter des symptômes typiquement associés au stress post-traumatique chez l'humain. Dépression, reproduction réduite, réactions imprévisibles...

Des caractéristiques qui se retrouveraient jusque dans leurs gènes, fruits de sept millions d’années d’évolution, débutant avec le mammouth laineux et se poursuivant avec les trois espèces qui existent aujourd’hui : l’éléphant de savane d’Afrique, l’éléphant de forêt d’Afrique et l’éléphant d’Asie. Pour arriver à cette hypothèse, les scientifiques de l’étude ont comparé des listes de gènes d’animaux domestiqués à ceux d’éléphants sauvages d’Afrique. Ils ont trouvé des similitudes. Mais, insiste Limor Raviv, « de plus amples recherches sur le sujet sont nécessaires ».

Une question demeure : comment expliquer cette possible évolution ?  Deux options.

« Soit l’environnement, hostile, impose la coopération comme un moyen de survie. C’est ce que l’on suppose pour l’auto-domestication de l’humain, notamment avec les conditions difficiles résultant de la dernière période de glaciation » explique la scientifique.

Autre option, l’abondance de nourriture rendrait l’agressivité inutile. C’est l’hypothèse retenue pour les bonobos et pour les éléphants. De plus, avec leur taille immense et leur force, les pachydermes ont très peu de prédateurs naturels en dehors des humains, ce qui les rend sans doute moins préoccupés par la lutte pour leur survie. De quoi libérer des ressources cognitives et du temps pour la communication et le jeu : des facteurs au cœur de l’auto-domestication.

Ce phénomène pourrait être à l’oeuvre chez d’autres animaux. « C’est une théorie relativement nouvelle, donc elle n’a pas encore été testée sur beaucoup d’autres espèces. Collecter les données est long et fastidieux : cela nous a pris un an pour les éléphants, cela pourrait durer bien plus longtemps pour les dauphins, les phoques ou les baleines, qui sont moins accessibles. Nous pensons néanmoins que ces espèces sont susceptibles de s’être elles aussi "auto-domestiquées" au fil des ans ». La gentillesse, une clé méconnue de l’évolution ? Une question qui devrait occuper ces scientifiques pour les années à venir.

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