Comment ce petit poisson cuirassé peut-il survivre aux morsures de piranhas ?

Le corydoras à trois bandes peut résister à plusieurs morsures de piranhas grâce à ses écailles extrêmement résistantes.

De Elizabeth Anne Brown
Publication 22 févr. 2021, 13:15 CET, Mise à jour 24 mars 2021, 14:56 CET
Grâce à ses écailles extrêmement résistantes, le corydoras à trois bandes (Corydoras trilineatus), un poisson-chat cuirassé, peut ...

Grâce à ses écailles extrêmement résistantes, le corydoras à trois bandes (Corydoras trilineatus), un poisson-chat cuirassé, peut survivre aux attaques de prédateurs aux dents acérées.

PHOTOGRAPHIE DE National Geographic

C’est dans un laboratoire californien de biomécanique que des chercheurs ont récemment organisé le plus inégal des combats dans un aquarium d’eau douce. Il opposait la terreur aux dents acérées de l’Amazone, un piranha rouge, à un corydoras à trois bandes, poisson-chat d’environ 2,5 cm à l’air endormi.

Après avoir coincé le corydoras dans un coin, le piranha a ouvert grand la bouche et mordu une, deux, puis finalement dix fois sa proie, avant que celle-ci ne s’éloigne en se tortillant pour aller nager plus loin, imperturbable, quoique légèrement contrariée.

« Le corydoras n’a même pas eu de réaction, il ne s’est pas rapidement enfui en nageant », rapporte avec admiration Misty Paig-Tran, professeure agrégée de sciences biologiques à l’université d’État de Californie à Fullerton. « C’est comme s’il pensait : “Qu’est-ce que tu fais ? Arrête donc de m'embêter” ».

Quel est le secret de ce petit poisson pour résister à une telle attaque ? Selon une étude récente publiée dans la revue scientifique Acta Biomaterialia, il tirerait son épingle du jeu grâce à son armure d’écailles composées de collagène et de minéraux. Les chercheurs espèrent que nous pourrons reproduire ces écailles afin de fabriquer des matériaux plus solides et légers, comme les gilets pare-balles.

 

UNE ARMURE RÉSISTANTE

Appartenant au groupe taxonomique du poisson-chat cuirassé, le corydoras à trois bandes passe ses journées à renifler les berges sableuses et le fond vaseux du fleuve Amazone et de ses affluents en quête de nourriture à l’aide de ses moustaches charnues et recouvertes de papilles gustatives.

Mesurant entre 2,5 et 5 cm, ce poisson peut être gobé tout entier par certains grands prédateurs, à l’instar des loutres géantes et des botos (ou dauphins roses de l’Amazone). Les piranhas, et en particulier des plus petits, en feraient bien aussi leur repas. Mais c’est sans compter sur les robustes écailles du corydoras.

Dans le cadre de l’étude, des corydoras à trois bandes ont été présentés à des piranhas rouges nés en captivité. Andrew Lowe, désormais assistant de recherche à l’université Chapman, ne donnait pas cher de la peau du petit poisson après avoir vu des vidéos filmées par des aquaristes nourrissant leurs piranhas de compagnie. Sur celles-ci, on pouvait voir qu’une seule morsure à l’abdomen suffit à déchirer les intestins d’un poisson appartenant à une espèce non cuirassée de taille similaire.

Les piranhas rouges ont des dents acérées comme des rasoirs qui leur permettent de manger de nombreux animaux plus petits, notamment des poissons, des crustacés et des insectes.

PHOTOGRAPHIE DE National Geographic

Mais les corydoras ont tenu bon. En déployant les épines tranchantes situées sur leurs nageoires pectorales, ils ont écarté les piranhas de leur talon d’Achille, la zone autour de leurs branchies, où une morsure bien placée peut résulter en une décapitation.

D’ordinaire, les piranhas s’attaquent à la queue, mais ils avaient des difficultés à percer l’armure des corydoras. Ils durent s’y reprendre à huit reprises en moyenne pour parvenir à transpercer les écailles du poisson d’un coup de dents. Les écailles abdominales des corydoras leur donnèrent encore plus de fil à retordre : seulement 20 % de réussite des attaques dans cette zone, avec en moyenne dix morsures jusqu’à la ponction.

Trois des piranhas finirent par jeter l’éponge après l’échec de leurs attaques. Les sept autres parvinrent à tuer leur proie. Mais, dans le cadre de l’étude, les piranhas pouvaient s’y reprendre autant de fois qu’ils le souhaitaient et les corydoras n’avaient nulle part où se cacher. Dans la nature, l’eau trouble et les plantes offrent une multitude d’abris où un poisson intelligent peut se dissimuler, souligne Andrew Lowe.

« Ils doivent garder leur armure intacte jusqu’à ce que les piranhas les relâchent », ajoute Misty Paig-Tran. S’ils parviennent à s’échapper sans que leurs organes internes aient été touchés, « cet affrontement avec un piranha ne sera pas le dernier ».

 

DES ÉCAILLES COPIÉES

Contrairement à Arc-en-ciel le plus beau poisson des océans ou au combattant qui nageait dans l’aquarium de votre classe de primaire, les écailles du corydoras ne sont pas arrondies. Longues, fines et disposées en deux rangées verticales courant sur toute la longueur, elles ressemblent davantage à un jeu de cartes disposé en éventail. En outre, alors que les écailles de la plupart des poissons sont formées par des odontoblastes, les cellules à l’origine de nos dents, celles du corydoras sont composées d’ostéoblastes, les cellules responsables de la formation des os.

Même si ces écailles, également appelées scutelles, sont très résistantes, c’est la partie molle de l’armure du poisson qui lui confère un avantage, précise Andrew Lowe. Chaque scutelle est composée de deux couches : une surface minéralisée et dure, et un réseau de tissus intriqués composés de collagène, une protéine qui rend notre peau élastique et forme la structure des os.

Les surfaces dures, notamment celles qui sont minces comme les miroirs et les assiettes, ont tendance à se fragiliser et à fissurer sous la pression. Si la couche minéralisée et résistante de la scutelle protège le corydoras des dents du piranha, la couche molle sous-jacente absorbe la force des morsures pour éviter que les écailles ne craquent.

Marc Meyers, ingénieur des matériaux à l’université de Californie de San Diego qui n’a pas pris part à l’étude, juge les résultats du combat en aquarium d’Andrew Lowe comme intéressants. « L’armure cutanée a évolué à plusieurs reprises dans la nature », explique-t-il, indiquant que chacune de ces protections est spécialement adaptée à la « course à l’armement » opposant les prédateurs et les proies de l’écologie locale. L’ingénieur confie avoir hâte d’examiner la nanostructure de la partie molle des scutelles du corydoras.

Si le corydoras est un poids plume, l’arapaïma est le poids lourd de l’Amazone. Ce poisson, que Marc Meyers et son équipe étudient depuis une décennie, peut peser jusqu’à 90 kg et mesurer 1,80 m. L’armure de l’arapaïma est composée de lamelles de collagène, disposées en torsades complexes pour diffuser la pression. La structure du collagène chez le corydoras pourrait être la même que celle de l’arapaïma, mais en version miniature. Il pourrait aussi s’agir d’une structure inédite, indique Marc Meyers.

On tente de comprendre le fonctionnement de l’armure des poissons depuis des milliers d’années et se sont même inspirés de cette dernière pour concevoir des armures. Parmi les exemples de tentatives d’imitations de la nature (ou biomimétisme), Misty Paig-Tran cite les cuirasses en écailles de poisson de la dynastie Han et des Scythes.

Les chercheurs considèrent aujourd’hui l’interface dure-molle de certaines espèces de poisson, dont le corydora, comme un modèle permettant de créer des armures plus légères et souples. Des chercheurs des quatre coins du monde ont réalisé des tests sur des armures en écailles de poisson fabriquées à partir de polymères imprimés en 3D, de verre et de céramiques perforées. Une équipe de l’Imperial College London a récemment développé un prototype d’écailles ultraminces en polymère, renforcées avec de la fibre de carbone ; intact, celui-ci résiste à une charge 46 % plus élevée que celle exercée sur une couche continue de polymère renforcé avec de la fibre de carbone.

Misty Paig-Tran n’est pas surprise qu’un poisson comme le « petit blindé de l’Amazone » ait une longueur d’avance sur les inventeurs humains. Après tout, l’espèce existe depuis des millions d’années.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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