Comment font les grenouilles venimeuses pour ne pas s'empoisonner ?

Le système nerveux de certaines grenouilles est capable de résister à une toxine 200 fois plus puissante que la morphine. Comment est-ce possible ?

De Michael Greshko
Des grenouilles bleues venimeuses de l'espèce Dendrobates tinctorius azureus.
Des grenouilles bleues venimeuses de l'espèce Dendrobates tinctorius azureus.
PHOTOGRAPHIE DE Reinhard Dirscherl, ullstein bild, Getty Images

Dans les forêts d'Amérique du Sud, on trouve des grenouilles de la famille Dendrobatidae. Cette grenouille transporte une toxine 200 fois plus puissante que la morphine. Alors que le poison porte un coup fatal à ses prédateurs, il laisse les grenouilles presque de marbre. Comment est-ce possible ?

Selon une étude récente, leur système nerveux des grenouilles a évolué au fil du temps pour combattre les puissantes substances chimiques : un exemple parfait de l'évolution à l'œuvre.

« Je souhaitais comprendre depuis longtemps comment les organismes pouvaient contracter des neurotoxines, qui obligent un animal à refonder son système nerveux », explique Rebecca Tarvin, co-auteure de l'étude, biologiste à l'université du Texas d'Austin et bénéficiaire d'une subvention de la National Geographic Society.

« Que quelque chose de ce type puisse évoluer est vraisemblable. »

 

TAPER SUR LES NERFS

Les Dendrobatidae ne fabriquent pas leur poison elles-mêmes, mais l'obtiennent grâce aux mites et fourmis qui leur servent d'en-cas. Leurs couleurs vives avertissent tout prédateur suffisamment imprudent pour se risquer à prendre une bouchée.

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    Connue sous le nom de grenouille venimeuse de l'Amazonie et sous celui de grenouille venimeuse de Rio Madeira, la grenouille diurne à flèches empoisonnées (Adelphobates quinquevittatus) se trouve sur des feuilles jonchant le sol de la forêt tropicale.
    PHOTOGRAPHIE DE Wild Horizons, UIG, Getty Images

    Cependant, les prédateurs comme les serpents et les scorpions ont recours au venin, mais celui-ci doit pénétrer le corps d'un autre animal suite à un traumatisme physique pour faire effet. Ces toxines n'ont pas nécessairement pour but de tuer dans la minute qui suit ; les prédateurs se servent généralement de leur venin afin de paralyser leur proie.

    Dans un cas comme dans l'autre, prédateurs et proies souhaitent que les toxines aient une action rapide capable de freiner la progression d'un animal, faisant du système nerveux une cible de choix.

    La plupart des toxines les plus puissantes que l'on trouve dans le règne animal visent les nerfs, quel que soit leur moyen d'y parvenir.

    Certaines grenouilles venimeuses sont porteuses d'un composé semblable à la morphine, appelé épibatidine, qui fonctionne exactement de la même manière que l'acétylcholine, laquelle transmet des messages entre les cellules nerveuses. Ce composé fonctionne si bien qu'il est capable de détourner le rôle de l'acétylcholine, faisant ainsi des ravages. L'épibatidine d'une seule grenouille suffit à anéantir un buffle d'Inde.

    En revanche, certaines espèces de tritons venimeux utilisent la tétrodotoxine, une substance qui obstrue un pore essentiel à la transmission de signaux électriques jusqu'au nerf.

    « C'est comme si vous coupiez un fil à un endroit fatidique, mais avec différents outils », explique Butch Brodie III, biologiste à l'université de Virginie (États-Unis) et spécialiste des poisons ayant analysé l'étude de Tarvin.
     

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        La grenouille venimeuse de l'espèce Atelopus spumarius.
        PHOTOGRAPHIE DE Rodrigo Buendia, AFP, Getty Images

        UN CORPS CONÇU POUR ABRITER DU POISON

        Mais comment les grenouilles venimeuses se sont-elles mises à user de l'épibatidine ?

        En séquençant l'ADN d'espèces de grenouilles venimeuses ayant recours à l'épibatidine, Rebecca Tarvin et ses collègues ont découvert que les récepteurs d'acétylcholine des grenouilles étaient légèrement déformés ; des résultats que l'équipe a publié récemment dans la revue Science.

        D'un point de vue génétique, cette modification devait être subtile. L'acétylcholine et l'épibatidine se lient au même endroit du récepteur nerveux : si les mutations modifiaient la forme du récepteur de façon trop radicale, l'acétylcholine ne serait pas en mesure d'exécuter ses tâches quotidiennes essentielles.

        D'autres ajustements structurels le long du récepteur ont permis de contourner le problème. L'épibatidine est incapable de « reconnaître » le récepteur de l'acétylcholine des grenouilles venimeuses ; or, l'acétylcholine le peut, sauvant ainsi les grenouilles des effets de leur infusion toxique.

        Par ailleurs, il semblerait que les grenouilles se sont heurtées à cette résistance à trois reprises lors de leur évolution, témoignage de l'utilité de cette mutation.

        « C'est magnifique. Il n'existe qu'une poignée d'exemples comme l'étude menée par Rebecca Tarvin », s'enthousiasme Zoltan Takacs, herpétologiste, spécialiste des toxines et explorateur pour National Geographic.

        « Quel que soit ce que vous découvrez, il s'agit d'une percée très rare sur le fonctionnement de l'évolution et de la neurobiologie. »

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          Les taches qui ornent la grenouille à flèches empoisonnées de l'espèce Dendrobates leucomelas diffèrent légèrement d'une grenouille à l'autre. Cette espèce pousse également des cris perçants.
          PHOTOGRAPHIE DE Auscape, UIG, Getty Images

          LES TOXINES POUR CIBLES

          Si cette étude fait un bond important dans l'analyse de l'évolution des poisons, de nombreux mystères demeurent.

          D'une part, les biologistes ignorent toujours où les grenouilles venimeuses se procurent l'épibatidine. Si le fait qu'elle provienne de leur alimentation ne fait aucun doute, les scientifiques ne sont pour l'heure pas remonté à la source.

          En effet, de nombreuses interrogations subsistent au sujet de la majorité des toxines des grenouilles venimeuses. Selon Rebecca Tarvin, plus de 800 substances ont été découvertes chez les grenouilles venimeuses ; or, moins de 70 d'entre elles sont connues.

          D'après Butch Brodie, remonter aux sources de ces toxines et en apprendre davantage sur la manière dont les animaux ont développé cette résistance nous donneraient une connaissance approfondie pouvant nous concerner de près.

          « Nous savons très peu de choses sur la biosynthèse chimique dans la plupart des cas », déplore-t-il. « D'un point de vue plus humain, nous pourrions combattre ces toxines de façon bien plus efficace si nous les comprenions. »

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