Ce poisson-chat Goliath a fait une migration historique

Il s’agit de la plus longue migration de tous les poissons d’eau douce du monde. Dans son périple, cet animal peu conventionnel rencontre une kyrielle de dangers.

De Stefan Lovgren
Publication 26 mars 2024, 18:38 CET

Le jeune Brachyplatystoma rousseauxii apparaissant sur cette photographie vient du Brésil. Dans le monde anglophone, il est également connu sous le nom de gilded catfish, en raison de sa couleur dorée.

PHOTOGRAPHIE DE Pr Diego Zacardi et MSc. Fabíola Silva

Voici plusieurs décennies, lorsque Ronaldo Barthem a commencé à étudier le Brachyplatystoma rousseauxii, un type de poisson-chat Goliath, dans un estuaire de l’Amazone, au Brésil, il a été intrigué par l’absence de poissons adultes. Il s’est demandé où cet animal de couleur dorée, qui peut atteindre jusqu’à deux mètres de long, allait frayer.

Des années d’enquête ont mené à une réponse étonnante : le Brachyplatystoma rousseauxii traverse plusieurs pays, jusqu’aux contreforts de la Cordillère des Andes, de l’autre côté du continent, pour achever son cycle de vie. Selon des recherches récemment publiées dans la revue Fish and Fisheries, ce voyage aller-retour de plus de 11 000 kilomètres est de loin la plus longue migration effectuée par un poisson d’eau douce dans le monde.

Cette épopée est probablement bénéfique à la croissance et à la survie du Brachyplatystoma rousseauxii car ces jeunes animaux peuvent jouir, au cours de leur déplacement, d’une alimentation très diversifiée, allant des algues aux insectes. Toutefois, cette longue traversée de frontières en frontières a également rendu l’espèce, pouvant peser plus de quatre-vingt-onze kilogrammes, plus vulnérable aux menaces humaines, de la surpêche aux barrages hydrauliques.  

C’est pour ces mêmes raisons que la population des poissons migrateurs d’eau douce a diminué de 76 % depuis 1970, ce qui les classe parmi les groupes d’animaux les plus menacés au monde. 

Malgré leur situation désastreuse, ceux-ci n’ont jamais bénéficié d’une grande protection. Sur les 1 200 animaux répertoriés dans la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, un traité environnemental du Programme des Nations Unies pour l’environnement, seuls deux sont des poissons migrateurs : le poisson-chat géant du Mékong (Pangasianodon gigas), en danger critique d’extinction, et l’esturgeon jaune (Acipenser fulvescens), quant à lui en danger d’extinction.

Ce nombre a toutefois doublé en février, lorsque le Brachyplatystoma rousseauxii et un autre poisson-chat Goliath de l’Amazone, le Brachyplatystoma vaillantiisont devenus les deux premières espèces de poissons de l’hémisphère sud à être couvertes par le traité.

La nouvelle a été accueillie avec enthousiasme par de nombreux ichtyologues, dont Ronaldo Barthem, écologue au Musée Goeldi de Belém, au Brésil : « c’est peut-être l’initiative la plus prometteuse pour encourager la préservation des écosystèmes aquatiques de l’Amazone », déclare-t-il.

Le Brachyplatystoma rousseauxii, comme cet adulte photographié ici au niveau cours inférieur de l’Amazone, au Brésil, constitue un produit de la mer très apprécié. Plusieurs tonnes sont pêchées chaque année dans le bassin amazonien.

PHOTOGRAPHIE DE Pr Diego Zacardi et MSc. Fabíola Silva

Selon Susan Lieberman, vice-présidente chargée de la politique internationale à la Wildlife Conservation Society, organisation non gouvernementale américaine qui a pour but de protéger des espaces naturels, l’inscription sur la liste pourrait par exemple favoriser la collaboration entre les gouvernements situés le long de la voie de migration de l’espèce, permettant ainsi d’améliorer les programmes de préservation.

 

DES POISSONS MIGRATEURS EN ABONDANCE

En tant que prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire, les sept espèces de poissons-chats Goliath de l’Amazone jouent un rôle fondamental dans l’équilibre de son écosystème. De plus, les poissons migrateurs représentent 80 % de la production de poissons de l’Amazone destinée au commerce ; les pêcheries artisanales et industrielles suivent de près les mouvements saisonniers du Brachyplatystoma rousseauxii et du Brachyplatystoma vaillantii.

Pour cette nouvelle étude, les chercheurs se sont également appuyés sur des statistiques de prises, des études sur des larves et des observations de terrain afin de mieux comprendre les mouvements de ces poissons. 

Le cycle de vie du Brachyplatystoma rousseauxii commence près de la Cordillère des Andes, où les individus naissent avant de dériver, au stade larvaire et juvénile, vers l’embouchure du fleuve. Ceux qui peuvent vivre jusqu’à dix-sept ans retournent ensuite en tant que subadultes à l’ouest de l’Amazone pour frayer, traversant plusieurs pays, dont le Brésil, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Pérou. Le Brachyplatystoma vaillantii, plus petit, effectue des migrations similaires, quoique plus courtes, mais la localisation exacte de ses frayères reste inconnue.

« Le homing, un comportement qui pousse ces poissons à revenir à l’endroit où ils sont nés pour frayer, indique qu’il est peut-être question d’une forme de mémoire résistant à la distance parcourue et aux différents environnements le long de leurs voies de migration », explique Guillermo Estupiñán, expert en poisson-chat Goliath auprès de la Wildlife Conservation Society au Brésil.

Les inondations annuelles massives, à l’origine de crues qui transforment l’Amazone et ses plus de mille affluents, submergeant les zones humides couvertes de forêts et créant une mosaïque d’habitats différents, favorisent également le comportement migratoire des poissons à la recherche de zones de reproduction ou d’alimentation.  

La récente étude parue dans Fish and Fisheries a montré qu’il existait au moins 223 espèces de poissons migrateurs dans l’Amazone mais le nombre réel est probablement bien plus élevé.

Pour les poissons-chats Goliath, la surpêche reste une préoccupation majeure : en 2007, les scientifiques ont estimé que la pêche annuelle de Brachyplatystoma rousseauxii s’élevait à au moins 10 500 tonnes dans le bassin amazonien. Le Brésil n’a pas mis à jour ces statistiques depuis, bien qu’il soit prévu de reprendre la surveillance, indique Lisiane Hahn, une ichtyologue qui dirige une entreprise brésilienne appelée Neotropical Environmental Consulting.

Les barrages hydrauliques peuvent, quant à eux, représenter une menace plus importante. Alors qu’il n’en existe aucun sur le bras principal de l’Amazone, des projets de longue date prévoient la construction de centaines d’entre eux sur le reste du réseau hydrographique, des structures qui pourraient couper les voies de migration du poisson-chat Goliath. 

Lisiane Hahn a passé huit ans à marquer et à suivre des centaines de Brachyplatystoma rousseauxii et de Brachyplatystoma vaillantii dans le rio Madeira après la construction de deux barrages hydrauliques en 2012. Elle a constaté qu’aucun d’entre eux ne pouvait contourner ces installations. Ses recherches montrent qu’en conséquence la population de Brachyplatystoma rousseauxii a considérablement diminué dans les cours supérieurs du rio Madeira en Bolivie.

 

CE N’EST QUE LE DÉBUT

La Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage tient deux listes : l’une pour les espèces menacées d’extinction et l’autre pour les espèces qui traversent des frontières et dont la survie dépend de la coopération internationale. Les deux poissons-chats Goliath, qui ne sont pas encore menacés d’extinction, ont été ajoutés à la seconde liste.

Les scientifiques ont appelé à la création de « couloirs de migration » à l’échelle mondiale, à l’instar des corridors de migration des animaux terrestres, qui protégeraient les principaux habitats des poissons migrateurs. Ronaldo Barthem et d’autres scientifiques espèrent également que davantage de ces animaux seront inscrits sur la liste de la convention, près de 900 espèces effectuant des migrations au moins partielles en eau douce.

L’écologue, qui a contribué à la cartographie de l’épopée migratoire des Brachyplatystoma rousseauxii, ajoute que les nouvelles technologies permettront de mieux comprendre les voyages extraordinaires des poissons de l’Amazone.

« Nous commençons à peine à comprendre ces migrations », déclare-t-il.

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    Stefan Lovgren collabore régulièrement avec National Geographic et a co-écrit, avec Zeb Hogan, le livre « Chasing Giants: In Search of the World’s Largest Freshwater Fish », paru en 2023.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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