Cette espèce de mante religieuse danse pour éviter la mort après l'accouplement
La mante à queue de serpent montre que ces insectes se révèlent plus que des cannibales.

Cet individu mâle est un représentant de la nouvelle espèce de mantoptères, la mante à queue de serpent, Ameles serpentiscauda. Cette espèce possède trois yeux simples (des ocelles) entre ses antennes. Les mantoptères s’en servent souvent durant leurs vols nocturnes, pour se diriger à la lumière des étoiles. Les petites ailes non fonctionnelles, caractéristiques de cette espèce, ne lui permettent cependant pas de voler.
Les mantes religieuses femelles sont connues pour leur tendance à dévorer leur partenaire durant ou après l’acte de reproduction. Les scientifiques ont récemment découvert une espèce de mante naine chez qui les mâles échappent à leur triste destin grâce à une danse complexe.
Au cours de cette danse nuptiale, le mâle remue son abdomen de plusieurs manières. Il adopte parfois un mouvement sinueux, comme les anneaux d’un serpent, et, d’autres fois, le mouvement est saccadé, comme la queue d’un serpent à sonnettes. Ce comportement unique a donné son nom à cette espèce : la mante à queue de serpent (Ameles serpentiscauda). Il a également participé à son identification par les chercheurs en tant que nouvelle espèce, comme rapporté dans la revue scientifique Ethology Ecology & Evolution.
« Nous savions déjà que certaines mantes naines montraient des pratiques nuptiales », révèle Roberto Battiston, directeur du département d’histoire naturelle du Musée d’archéologie et de sciences naturelles « G. Zannato » de Montecchio Maggiore, en Italie. Il est également le codécouvreur de cette nouvelle espèce. « Mais nous n’avions jamais rien observé de pareil. »
DES MANTOPTÈRES MYSTÉRIEUX
À ce jour, on connaît environ 2 500 espèces de mantes religieuses, selon le biologiste Christopher Oufiero, directeur du laboratoire spécialisé dans l’étude des mantoptères de l’université Towson.
« La plupart des personnes, quand elles imaginent l’un de ces insectes, pensent à une grosse mante verte, représentante typique de l’espèce. Mais c’est un groupe très varié », explique le scientifique, qui n’a pas pris part à la découverte. « Les mantoptères démontrent des stratégies de camouflage parmi les plus diversifiées du royaume animal. Ils imitent des feuilles, des branches, des fleurs et de la mousse, entre autres choses. »
Cette diversité dépasse leur apparence et s’applique à leur comportement, ou du moins, au peu que l’on connaît. Bien que les mantoptères soient plutôt gros et charismatiques, leur comportement, et surtout leur comportement de reproduction, demeure un mystère.
« Les mantoptères sont doués pour se cacher. C’est un peu leur marque de fabrique », explique Lohitashwa Garikipati, doctorant au sein du muséum américain d’histoire naturelle de New York. Elle n’a pas pris part à la découverte. « À cause de cela, les observations sur leur comportement et leur écologie sont difficiles à réaliser. »
L’histoire de la découverte de la mante à queue de serpent a commencé avec une rencontre fortuite en été, en 2024. En vacances, sur une plage reculée de Sardaigne, une île italienne de la Méditerranée, Oscar Maioglio, un collègue de Roberto Battiston, a repéré des mantes naines sur des arbustes, à quelques dizaines de mètres de la côte. Il leur a trouvé une ressemblance avec Ameles andreae, une espèce connue de mante naine, sauf que leurs ailes étaient plus petites. Intrigué, il a collecté quelques individus pour les ramener dans son laboratoire.
Roberto Battiston explique que distinguer une espèce de mante naine d’une autre représente un véritable défi. Les insectes ne mesurent qu’environ 2,5 centimètres de long, et différentes espèces peuvent se ressembler. Mais, lorsqu’Oscar Maioglio et lui ont observé les spécimens se reproduire, ils ont compris que ces mantoptères n’appartenaient à aucune autre espèce connue.
« Dans cette étude, on voit que les espèces de mantes naines présentent différents “langages amoureux”, des démonstrations nuptiales uniques lors desquelles elles remuent des parties de leur corps de plusieurs façons », explique Roberto Battiston. « Au cours de leur évolution, chaque espèce a développé une manière différente de communiquer, ce qui est incroyable pour des insectes à tendance majoritairement solitaire. »
UNE DÉCOUVERTE INTRIGANTE
Les petites ailes et la parade nuptiale serpentine des spécimens étudiés suggéraient fortement leur appartenance à une espèce unique, jamais documentée auparavant. Les analyses génétiques l’ont confirmé.
« C’est bien de voir que les auteurs ont utilisé une approche intégrative, en combinant la phylogénétique, la morphologie [la forme du corps et ses fonctions] et le comportement pour identifier une nouvelle espèce », commente Christopher Oufiero.

Individu mâle appartenant à l’espèce Ameles serpentiscauda : la mante à queue de serpent. Les deux paires d’ailes, extrêmement petites et non superposables, constituent une caractéristique distinctive de cette espèce de mante naine.
La question se pose encore quant à la fonction de ces démonstrations nuptiales. Cela aide-t-il la femelle à reconnaître un mâle qui appartient à son espèce ? Est-ce qu’elles distraient la femelle afin que le mâle puisse l’approcher en toute sécurité ? Quoi qu’il en soit, les scientifiques pensent que la performance de la danse nuptiale réduit les risques que la femelle dévore le mâle après l’acte de reproduction. Et apparemment, cela fonctionne : les chercheurs n’ont observé aucun cas de cannibalisme sexuel parmi les mantes à queue de serpent en laboratoire.
« Nous ignorons encore pourquoi, ou comment, cette sélection de parades nuptiales a pu se produire », explique Lohitashwa Garikipati. « Mais je pense qu’il s’agit d’un indice intéressant, qui nous montre que ces petits animaux sont probablement un peu plus complexes que nous le pensions. Cela montre que les mantoptères sont bien plus que des cannibales. »
Roberto Battiston est d’accord : « Le comportement des mantoptères est un domaine dans lequel il y a tant à étudier. Leur façon de se faire la cour, leur camouflage, leur capacité de chasse, la manière dont ils perçoivent le monde », énumère-t-il. « Les mantoptères sont comme les tigres de nos jardins. Mais nous savons tout sur les tigres, et rien sur les mantoptères. »
Un sentiment d’urgence anime l’impatience de Roberto Battiston à en apprendre plus sur les mantes à queue de serpent. D’après les observations de ses collègues et de lui-même, cette nouvelle espèce ne se trouve que dans une zone restreinte de quelques centaines de mètres autour de la côte de Sardaigne. La majorité de son habitat se trouve à l’intérieur d’une zone protégée. Cependant, la montée du tourisme et l’expansion du territoire sur lequel paissent moutons et chèvres pourraient menacer l’existence de l’espèce tout entière.
En tant que coordinateur de la liste rouge des mantoptères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Roberto Battiston participe à l’évaluation du statut de conservation des espèces de mantoptères à travers le monde. Pour assurer la survie de la mante à queue de serpent, ses collègues et lui ont proposé que l’UICN la catégorise comme espèce en danger critique. Ils recommandent des mesures plus strictes pour protéger son habitat.
« D’expérience, nous perdons plus d’espèces que nous n’en découvrons », déplore Roberto Battiston. « Alors, j’espère que nous pourrons protéger celle-ci. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.