Plongée dans l’incroyable intelligence des animaux

Empathie, logique, culture : les animaux font preuve au quotidien d’étonnantes capacités. De quoi reconsidérer la place de l’Homme au sein du vivant.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 31 janv. 2024, 09:54 CET
Dans le désert, certaines fourmis sont capables de s'orienter grâce au soleil et d'évaluer les distances ...

Dans le désert, certaines fourmis sont capables de s'orienter grâce au soleil et d'évaluer les distances en comptant le nombre de leurs pas. 

PHOTOGRAPHIE DE Cyril/Pixabay

Au cœur des immenses étendues orangées du désert du Kalahari, en Afrique australe, se joue régulièrement une scène étonnante. Pendant que des troupes de suricates fouillent le sol à la recherche d’insectes et de larves, d’autres, debout sur leurs pattes arrières, surveillent l’arrivée d’éventuels prédateurs. Ce sont les vigies, dont la lourde tâche consiste à assurer la survie de tous en criant pour sonner l’alerte, avec des sons spécifiques à chaque prédateur : aigle, serpent… À quelques mètres de là, perché sur un arbre, un drongo (un passereau de taille moyenne) prépare sa manœuvre. Le voilà qui pousse un cri en tout point semblable à un cri d’alarme de suricates. Bingo ! Les petits mammifères détalent. Et l’oiseau se rue sur les insectes laissés en plan, profitant d’un repas obtenu sans effort. Pour ne pas trop dévoiler ses tactiques face aux suricates, le drongo varie les signaux d’alarme : il est capable de reproduire un éventail de quarante-cinq cris différents.

N’est-ce pas là le signe indéniable d’une intelligence animale ? Loïc Bollache, chercheur et auteur de Comment pensent les animaux, paru aux éditions HumenSciences, assure que oui. « Aujourd’hui, dans le monde scientifique, il n’y a plus de débat » explique-t-il. Mais pendant des siècles, les intellectuels étaient divisés sur le sujet. Depuis les récits étonnés sur le monde animal de Pline l’Ancien publié vers l’an 7, jusqu’à Descartes affirmant que l’animal n’était qu’une machine dépourvue de raison, en passant par Darwin qui, en 1871, écrivit « J’ai l’intention de démontrer (…) qu’il n’existe aucune différence fondamentale entre l’homme et les mammifères les plus élevés, au point de vue des facultés intellectuelles », l’intelligence animale a fait couler beaucoup d’encre.

« Pendant longtemps, l’objectif était surtout de prouver que l’humain était l’animal le plus intelligent – en prenant, pour référentiel, l’intelligence humaine. Mais cette approche est nécessairement limitée » poursuit le professeur d’écologie à l’université Bourgogne-Franche-Comté, rattaché au laboratoire CNRS Chrono-environnement de Besançon. « J’ai toujours été étonné de nos efforts pour apprendre le langage des signes à des primates, à des dauphins ou perroquets, et de conclure que les animaux, vu leurs faibles progrès, seraient moins intelligents que les humains, voire dénués de langage. Si l’on retourne le test, serions-nous, malgré notre immense supériorité supposée, capables de comprendre le langage des dauphins ? » s’interroge-t-il. Pour évaluer l’intelligence animale, il faut, assure le chercheur, d’abord se défaire du « référentiel humain », et observer toute l’ampleur de la mémoire, du langage, de l’empathie, de la créativité et de la culture des animaux.

Faire le guet chez les suricates : un véritable métier

 

LES MÉSANGES ET LES CHIMPANZÉS, DES ÊTRES CULTIVÉS

Car l'antagonisme Nature/Culture qui a opposé pendant des décennies les humains aux animaux n’a plus lieu d’être : « la barrière est tombée au cours du 20e siècle grâce aux travaux des scientifiques » assure le chercheur. Les sociétés animales aussi ont leurs innovations qui se transmettent à certains groupes d’individus - et pas d’autres. Un exemple, celui les mésanges britanniques du début du 20e siècle. À cette époque, les particuliers commencent à se faire livrer des bouteilles de lait à domicile. Les oiseaux, voyant l’opportunité d’un repas facile, apprennent à percer l’opercule pour se nourrir. Une habitude qui devient virale chez les mésanges, anecdotique chez les rouges-gorges. Pourquoi ? Parce que les mésanges sont plus sociables ! En hiver, elles forment de grands groupes non-territoriaux. L’occasion de regarder leurs voisines et de copier les techniques apprises. Au contraire des rouges-gorges. De nature plutôt solitaire, ils ont tendance à rester dans leur coin. « L’invention d’une nouvelle technique chez les mésanges se propage comme un trait culturel dans la population » explique Loïc Bollache.

Un phénomène que l’on retrouve chez d’autres espèces. Les chimpanzés ont différentes manières de capturer les termites en fonction du groupe dans lequel ils sont nés. C’est une forme de culture animale. « D'abord, un comportement innovant est observé puis se propage, par imitation, à d’autres individus. Ensuite, ce comportement se diffuse à l’ensemble du groupe. Et enfin, l’innovation et la diffusion sont spécifiques à un groupe et vont créer des différences locales entre des populations géographiquement séparées » souligne le chercheur.

 

L’INCROYABLE MÉMOIRE DES FOURMIS

La mémoire est une composante clé de l’intelligence animale – y compris chez les fourmis. Celles qui vivent dans le désert, du genre Cataglyphis, offrent un exemple parlant. Pour s’orienter, elles ne peuvent, comme leurs congénères, laisser des traces chimiques. Quand il fait plus de 50°C, ces traces s’évaporent. Alors les fourmis du désert ont trouvé une autre tactique. Elles se dirigent grâce au soleil – leur système d’orientation est similaire à une boussole - et comptent leurs pas pour évaluer la distance. Trois chercheurs ont ainsi entraîné des fourmis à retrouver un nid à une distance de 10 mètres d’elles. Puis ils ont changé la taille de leur foulée en modifiant la longueur de leurs pattes. 

« Dans un premier groupe, les pattes des fourmis sont allongées à l’aide de soie de porc, comme pour simuler des échasses. Dans un second lot, elles sont raccourcies en sectionnant les pattes au niveau des extrémités » explique Loïc Bollache. Celles qui ont des pattes plus longues font plus de distance (15,30 m) et dépassent le nid. Les autres, avec leurs pattes raccourcies, s’arrêtent avant (10,20 m). « En changeant la longueur des foulées, les chercheurs ont pu berner les fourmis, les forçant à surestimer ou à sous-estimer la distance à parcourir pour retrouver la fourmilière. Ils ont aussi démontré que ces insectes doivent posséder un calculateur pour enregistrer le nombre de pas qu’ils font lors de leurs nombreux déplacements. 

La chose la plus extraordinaire est que les fourmis réalisent ces performances avec un cerveau de 0,1 milligramme, soit un cerveau 14 millions de fois plus petit que celui de l’Homme » écrit le professeur d’écologie.

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    Au début du XXe siècle, chez les mésanges britanniques, percer l'opercule des bouteilles de lait pour se nourrir de la crème est devenu une sorte d'habitude culturelle. 

    PHOTOGRAPHIE DE Kurt Bouda / Pixabay

     

    LES RATS À LA RESCOUSSE DE LEURS CONGÉNÈRES

    Passons maintenant à l’intelligence émotionnelle des animaux. Ils sont nombreux à savoir faire preuve d’empathie. La preuve avec les rats ! Des scientifiques ont mis en place une expérience où deux rats, qui avaient séjourné ensemble durant deux semaines (le fait de connaître l’individu est important) étaient placés dans une même pièce. L’un, prisonnier d’une sorte de tube en plastique transparent, fermé par une trappe. L’autre, libre et capable de voir son nouvel ami se débattre pour sa liberté. 

    Les résultats sont limpides : « dès qu’ils voyaient leur compagnon enfermé, les rats libres le libéraient dans 77 % des cas, alors qu’en présence d’une cage vide ou avec une peluche, seuls 12 % des rats ouvraient la porte de la prison » écrit Loïc Bollache. D’autres chercheurs ont poussé l’expérience encore plus loin : ils ont offert un choix cornélien au rat libre. Ouvrir en premier une trappe pleine de chocolat ou libérer d’abord son compagnon emprisonné ? « Dans plus de 50 % des cas, les rats préféraient libérer leur compagnon en premier et partager la nourriture avec lui ! »

    Difficile ainsi de ne pas voir une ressemblance des comportements animaux avec nos propres habitudes. Un flagrant délit d’anthropomorphisme ? Pas si vite. « Comme le dit Frans de Waal, primatologue et éthologue, on tombe parfois dans l’excès inverse : « l’anthropodénisme ». On refuse de voir les traits communs entre humains et animaux » poursuit le chercheur. Alors que la barrière est fine, à plus d’un titre : « les dernières recherches s’attardent maintenant sur les différences entre individus. On s’aperçoit qu’il y a des personnalités différentes chez les animaux d’une même espèce : certains sont conservateurs, d’autres opportunistes… Exactement comme chez les humains ! » De quoi reconsidérer la place de l’Homme au sein du vivant.

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