Quand l'espoir renaît : la résurrection des tortues des Galápagos

Elles ont fasciné les marins. Captivé Darwin. Mais, au milieu du XIXe siècle, les étonnantes tortues de Floreana ont disparu. C’était sans compter sur des scientifiques qui ont repoussé les limites pour organiser leur retour.

De Hannah Nordhaus
Photographies de Lucas Bustamante
Publication 6 sept. 2025, 10:45 CEST
Les Îles Galápagos tiennent leur nom des tortues géantes qui les peuplent depuis des millions d’années. ...

Les Îles Galápagos tiennent leur nom des tortues géantes qui les peuplent depuis des millions d’années. Des animaux hybrides comme celui-ci vivent dans une aire isolée de l’île Isabela, devenue un véritable laboratoire de la recherche génétique.

PHOTOGRAPHIE DE Lucas Bustamante

Retrouvez cet article dans le numéro 312 du magazine National Geographic. Acheter ce numéro

En octobre 1820, un baleinier de Nantucket, l’Essex, jeta l’ancre dans les eaux turquoise de l’île Floreana, aux Galápagos. Leurs baleinières accostées au rivage, les marins se frayèrent un chemin dans les roches basaltiques, les épais buissons et les cactus. Empruntant des voies piétinées par des reptiles d’un autre âge, ils étaient « sur le qui-vive quant à l’objet de leur recherche », écrivait le mousse Thomas Nickerson.

Leur cible ? Les tortues géantes des Galápagos. Elles étaient différentes d’une île à l’autre, mais toutes fournissaient leur viande aux nombreux marins. Quand les baleiniers américains découvraient une petite tortue, ils la renversaient, lui liaient les pattes avec des sangles en toile et la portaient comme un sac à dos. Les plus grosses, certaines pesant plus de 225 kg, étaient suspendues à de longues perches et transportées par quatre à six hommes jusqu’au bateau en traversant les chaos de roche volcanique.

Une fois à bord, les marins entassaient les captives à l’envers les unes sur les autres et les laissaient parfois un an sans nourriture. « Elles ne mangent ni ne boivent, et on ne prend pas le moindre souci d’elles, écrivait le premier lieutenant de l’Essex Owen Chase. Elles sont éparpillées sur le pont, on leur marche dessus ou on les range dans la cale selon les besoins. » Sur l’île Floreana, l’équipage captura soixante tortues à carapace en forme de selle. Leur viande, racontait Thomas Nickerson, était « la plus riche et la plus goûteuse qui m’ait jamais contenté ». Puis le navire mit le cap sur une zone de pêche à la baleine où, un mois plus tard, il fut percuté par un cétacé – catastrophe qui inspira à Herman Melville son Moby Dick. Au cours du naufrage, les marins récupérèrent autant de tortues que pouvaient en contenir leurs petites baleinières ; ils les mangèrent durant leur funeste périple vers les côtes sud-américaines, avant de s’entre-dévorer. Quant aux autres tortues, elles sombrèrent, et quelques-unes dérivèrent sans doute plus loin.

L’Essex n’était pas le seul, loin de là, à décimer les populations de ces reptiles des Galápagos. Quand Darwin débarqua à Floreana en 1835, lors du voyage qui allait voir naître sa théorie de l’évolution, il entendit parler de baleiniers qui s’étaient emparés de 700 tortues d’un coup. « Leur nombre s’est bien entendu grandement réduit sur cette île », a-t-il noté. Les historiens estiment que, entre 1774 et 1860, quelque 100 000 de ces animaux sur les 300 000 qui peuplaient l’archipel à l’arrivée des Espagnols, en 1535, furent capturés par les navires de passage, entraînant un fort déclin de chacune des quinze espèces des Galápagos et menant trois d’entre elles à l’extinction. La tortue de Floreana, vue pour la dernière fois dans les années 1850, fut la première à disparaître.

Le nord de l’île Isabela, que l’on voit ici, est couvert de roches magmatiques provenant du ...

Le nord de l’île Isabela, que l’on voit ici, est couvert de roches magmatiques provenant du volcan Wolf. C’est là que, près de cent cinquante ans après la disparition de la tortue de Floreana, une population inhabituelle de tortues a été découverte.

PHOTOGRAPHIE DE Lucas Bustamante

Mais, presque deux siècles tard, elle devrait être la première espèce éteinte des Galápagos à revenir sur ses terres ancestrales. Son retour survient après que la « résurrection » du « loup terrible » (Canis dirus) [ndlr : disparu depuis plus de 10 000 ans] a fait la une de la presse, et que les scientifiques recherchent les gènes de créatures éteintes de longue date, comme les mammouths laineux. Mais, quand ceux-ci reviendraient dans un monde qui a vécu des millénaires sans eux, les descendants des tortues de Floreana réinvestiront des lieux où celles-ci évoluaient il y a peu et joueront à nouveau un rôle crucial dans un écosystème qui a désespérément besoin d’eux.

Pour accomplir cette prouesse, et réparer l’un des préjudices majeurs de l’histoire des Galápagos, des chercheurs dédiés à cette cause n’ont pas seulement travaillé aux limites du séquençage génétique pour identifier une espèce aujourd’hui disparue ; ils ont aussi exploré les coins les plus reculés de l’archipel et classé quantité d’os et de carapaces dans les archives poussiéreuses des musées.

Cette improbable aventure scientifique a commencé en 2000, quand des experts en conservation arpentant la végétation touffue des ravins au pied du volcan Wolf, au nord-ouest de l’île Isabela, ont confirmé des observations passées signalant la présence de tortues à l’allure différente. Leur carapace était en forme de selle, ce qui les distinguait de leurs consoeurs à carapace bombée, plus fréquentes sur les pentes plus en hauteur et plus humides du volcan. « Il y avait des groupes de tortues qui n’avaient pas l’air d’être à leur place », se souvient le biologiste en conservation James Gibbs, Explorateur pour National Geographic et directeur du Galápagos Conservancy, un organisme de protection et de restauration des écosystèmes sauvages de l’archipel. Pour en savoir plus, il décida avec son équipe de prélever des échantillons sanguins « sur chaque tortue d’apparence inhabituelle ». Ils ont donc posé des marqueurs d’identification sur autant d’animaux que possible et ont expédié les prélèvements à leur partenaire de recherche Adalgisa Caccone, biologiste de l’évolution à l’université Yale, aux États-Unis, et également Exploratrice pour National Geographic.

Mais, en analysant l’ADN des échantillons, elle n’a pas réussi à identifier les séquences envoyées : aucune ne correspondait avec celles des espèces de tortues vivantes enregistrées dans sa base de données génétiques. Elle les surnomma alors « aliens ».

les plus populaires

    voir plus
    Les tortues comme celle-ci, élevées au centre de reproduction de Santa Cruz, seront réintroduites sur l’île ...

    Les tortues comme celle-ci, élevées au centre de reproduction de Santa Cruz, seront réintroduites sur l’île Floreana, d’où elles ont disparu. Environ 300 de ces hybrides sont aujourd’hui prêts à être relâchés, après l’éradication des rats et des chats férals, prédateurs potentiels.

    PHOTOGRAPHIE DE Lucas Bustamante

    Les chercheurs ont alors envisagé la possibilité que des tortues d’autres îles aient rejoint le rivage depuis des baleiniers comme l’Essex. La baie de Banks, devant le versant occidental du volcan, était en effet le dernier mouillage pour de nombreux navires en route vers les zones de chasse à la baleine, et les marins jetaient parfois par-dessus bord leur surplus de tortues avant de hisser les voiles. Quelques-unes auraient pu nager jusqu’au rivage, gravir les pentes du volcan, s’installer parmi les tortues indigènes et, finalement, se reproduire avec. Les baleiniers étaient responsables de la perte de nombre de ces bêtes – ils en mangeaient la plupart et en ramenaient certaines comme trophée ou animal de compagnie. Mais, si cette hypothèse se vérifiait, ils auraient peut-être aussi assuré sans le savoir leur survie génétique. Ce n’est qu’après des années d’avancées dans le séquençage que les chercheurs auraient le moyen de comprendre que les marins avaient bien fourni des indices pour « ressusciter » une espèce.

    Les scientifiques oeuvrent à la sauvegarde des tortues géantes des Galápagos depuis le milieu du XXe siècle, alors qu’il n’en restait plus que quelques milliers dans l’archipel. Si les baleiniers avaient disparu, les tortues continuaient d’être les proies des animaux qu’ils avaient ramenés : les rats, les cochons, les chiens, les fourmis (qui s’attaquent aux oeufs et aux petits), les chèvres et les ânes qui piétinent et dévorent leurs réserves de nourriture. Les responsables du parc national des Galápagos savaient qu’ils devaient agir vite s’ils ne voulaient pas risquer de perdre encore des espèces. Or, au début des années 1960, les équipes de conservation disposaient d’un arsenal assez limité pour parvenir à les sauver.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2025 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.