Dans ce refuge indien, les grands félins prospèrent

Dans la réserve de tigres de Nagarahole, tigres et léopards prospèrent, signe que les efforts de conservation de l’Inde commencent à porter leurs fruits.

De Yudhijit Bhattacharjee
Photographies de Shaaz Jung
Publication 17 mars 2022, 09:51 CET
Une panthère noire se repose sur une branche de teck. Ces félins sont des léopards dont la pigmentation ...

Une panthère noire se repose sur une branche de teck. Ces félins sont des léopards dont la pigmentation sombre du pelage est due à une mutation génétique. Les rosettes (les taches) sont toujours visibles sur leur fourrure.

PHOTOGRAPHIE DE Shaaz Jung

Nimbé de brume, le paysage luxuriant et boisé de la réserve de tigres de Nagarahole, dans l'État du Karnataka, dans le sud-ouest de l'Inde, semble enchanté. 

Un éléphant marche d’un pas pesant à travers la végétation, se nourrissant d’arbustes et de feuilles. Un peu plus loin, le long du chemin de terre, des gaurs semblables à des bisons paissent dans une prairie, sans même jeter un coup d’œil dans notre direction.

Guidés par le photographe Shaaz Jung, qui vit depuis douze ans au cœur de la forêt, nous continuons notre route, nous arrêtant devant un troupeau de cerfs axis. Un martin- pêcheur d’un bleu irisé vole entre les arbres. Alors que le soleil transperce la brume, le silence est rompu par le brame d’un cerf, au loin. C’est un signal d’alarme : un prédateur rôde.

Ce genre d’appels résonne de plus en plus souvent. Nagarahole regorge de tigres du Bengale et de léopards indiens. Les touristes affluent vers la réserve pour apercevoir ces grands félins, notamment la panthère noire – un léopard dont la pigmentation sombre est due à une mutation génétique. Souvent observé, ce félin est devenu une sorte de star.

Moins d’un dixième du parc de 848 km2 est ouvert au public. À l’extrémité sud de cette zone touristique coule la rivière Kabini, bordée de broussailles et de hautes herbes.

Par un brumeux matin d’hiver, perchés sur un arbre corail, deux léopards de la réserve de Nagarahole sont en plein jeu de séduction. Ils s’accoupleront sans doute plusieurs fois tant qu’ils seront ensemble, ce qui peut durer jusqu’à une semaine

PHOTOGRAPHIE DE Shaaz Jung

Au-delà se trouvent des prairies, des cours d’eau et une forêt épaisse. C’est l’environnement idéal pour faire cohabiter tigres et léopards : les tigres rôdent dans les sous-bois ; les léopards, eux, se prélassent dans les arbres, à l’abri des tigres.

Ces dix dernières années, la probabilité de voir ces grands félins à Nagarahole, ainsi que dans de nombreuses autres réserves naturelles de l’Inde, a beaucoup augmenté, grâce aux efforts de conservation. Le dernier décompte des tigres à Nagarahole recensait 135 individus, soit plus du double de la population d’il y a dix ans. Le pays compte désormais près de 3 000 tigres à l’état sauvage, selon le dernier recensement officiel, achevé en 2018. C’est 33 % de plus qu’en 2014. Le nombre de léopards a augmenté de 62 % depuis 2014, pour atteindre près de 13 000.

Signe de l’accroissement de cette population, de plus en plus de grands félins sont aperçus au-delà des limites des réserves, ce qui a aussi accru les risques avec les humains. Belinda Wright, écologiste et fondatrice de la Société indienne de protection de la faune (WPSI), habite à l’orée de la réserve de tigres de Kanha, dans l’État du Madhya Pradesh. Elle confirme : « Des tigres vivent autour de chez moi, au centre de l’Inde. »

Ces chiffres en hausse sont encourageants pour les écologistes : en effet, les décomptes de tigres et de léopards sont désormais plus fiables. Jusqu’en 2006, le recensement des tigres en Inde, organisé tous les quatre ans, était plutôt une estimation obtenue à grand-peine à partir du comptage des empreintes de pas. Aujourd’hui, il est surtout réalisé grâce à des images prises par des pièges photographiques. Il est ainsi possible d’identifier chaque félin par les motifs uniques de leurs rayures ou de leurs taches.

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    Une panthère noire emporte dans un fourré un faon tout juste capturé. Le renforcement de la lutte antibraconnage à Nagarahole a permis aux herbivores, comme les cerfs axis, de proliférer. Les proies étant plus nombreuses, les grands félins ont ainsi pu prospérer.

    PHOTOGRAPHIE DE Shaaz Jung

    Pour Vijay Mohan Raj, conservateur en chef des forêts du Karnataka, le succès des aires protégées, dont Nagarahole, est dû à des unités anti-braconnage plus efficaces, placées à des points stratégiques à l’intérieur des réserves. Selon lui, si ces intervenants de première ligne sont mieux formés et mieux équipés, c’est grâce à une hausse du financement du gouvernement. Celui-ci a fait suite à l’engagement de l’Inde, en 2010, dans un plan international visant à doubler le nombre de tigres dans le monde. « Cela a constitué le principal facteur de dissuasion pour ceux qui cherchent à pénétrer dans la forêt pour y braconner ou même pour y ramasser du bois de chauffage », explique-t-il.

    Résultat : une augmentation de la densité des proies, comme les cerfs et les sangliers, profitant aux tigres et aux léopards, leurs prédateurs. À Nagarahole, les grands félins semblent aussi avoir bénéficié des vingt-six pompes à eau solaires installées près des mares, qui restent ainsi pleines durant les mois de sécheresse.

    Un tigre se désaltère dans l’un des points d’eau de Nagarahole. Les autorités du parc ont installé des pompes à eau solaires, qui sont mises en marche lorsque le niveau d’eau baisse. Ils restent ainsi pleins tout au long de l’année.

    PHOTOGRAPHIE DE Shaaz Jung

    L’avenir des grands félins des réserves comme celle de Nagarahole dépend en partie de la réduction des conflits entre les animaux et les communautés voisines.

    En effet, la compétition pour un territoire à l’intérieur des réserves indiennes s’intensifie, ce qui conduit tigres et léopards à s’aventurer plus souvent dans les villages, s’attaquant au bétail et parfois même aux humains. Rien qu’au Karnataka, au moins neuf personnes ont été tuées par des tigres entre 2019 et 2021.

    Bien que les revenus du tourisme lié aux grands félins aient augmenté, fait remarquer Belinda Wright, cela n’a pas aidé les habitants. « Ils n’ont donc pas l’impression que la présence des tigres est bénéfique pour eux », ajoute-t-elle. Certes, les autorités chargées de la faune indem- nisent les paysans perdant du bétail à cause des tigres et ont éloigné certains villages du terri- toire des félins. Pour autant, selon les défenseurs de l’environnement, elles doivent faire encore plus pour intéresser les communautés environ- nantes au succès des réserves. Sans quoi, les bénéfices de la dernière décennie pourraient bel et bien disparaître.

    Cet article a initialement été publié dans le numéro 270 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

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