Comment protéger les insectes pollinisateurs ?

Les insectes pollinisateurs sont garants de l’équilibre de la biodiversité. Leur disparition pourrait entraîner l’effondrement de la plupart des écosystèmes naturels.

De Nadège Lucas, National Geographic
Photographies de Delphine Simonneau
Publication 24 mai 2023, 15:05 CEST
Il existe près de 20 000 espèces d'abeilles dans le monde. En France, on en dénombre ...

Il existe près de 20 000 espèces d'abeilles dans le monde. En France, on en dénombre un millier.

PHOTOGRAPHIE DE Delphine Simonneau

Nous connaissons les insectes les plus répandus issus de l'ordre des hyménoptères, parmi lesquels figurent l'abeille domestique, productrice de miel, les bourdons, les guêpes, ainsi que les fourmis - bien que ces dernières ne soient pas impliquées dans le processus de pollinisation.

Mais il en existe de nombreux autres dont le rôle écologique est tout aussi essentiel : les papillons, qui appartiennent à l'ordre des lépidoptères, les mouches, les diptères, et enfin le plus grand groupe d'insectes, les coléoptères, détenant le record du nombre d'espèces présentes sur la planète (350 000, soit près d'un tiers de la diversité animale). Les charançons, les lucanes, les scarabées, les coccinelles, les hannetons… font partie de cette immense famille d'insectes. 

Étape importante dans le processus de reproduction des végétaux, le transport de pollen depuis les étamines (organes mâles) jusqu'aux stigmates (organes femelles) des fleurs est essentiel. Cela permet aux plantes de produire des graines et de se reproduire. Ce transport peut être assuré par le vent ou par les insectes pollinisateurs et les animaux qui visitent les fleurs pour se nourrir de leur nectar et de leur pollen.

Essentiels pour le maintien de la diversité des cultures dans le monde entier, les pollinisateurs garantissent l'équilibre de l'écosystème. Cet équilibre est crucial pour la chaîne alimentaire mondiale dans laquelle se trouvent les producteurs et les consommateurs. En effet, les plantes produisent de la matière organique, les herbivores mangent les plantes, les carnivores mangent des animaux, et les organismes en décomposition se nourrissent de matières organiques mortes.

Si les insectes pollinisateurs venaient à disparaître, une grande majorité des plantes à fleurs disparaîtraient également, ce qui aurait des conséquences sur la nourriture des animaux élevés en agriculture qui perdrait en qualité. En effet, les qualités organoleptiques de la viande et du lait sont corrélées à la qualité de l’alimentation, c’est-à-dire à la diversité de plantes à fleurs. Si nous ne prenons pas les mesures nécessaires pour lutter contre la disparition des insectes pollinisateurs, nos rendements agricoles seraient très impactés, mettant ainsi en péril notre propre subsistance.

Ce syrphe du genre Eristalis fait partie de la famille des diptères, comme les mouches. Les diptères, sous-estimés, jouent en fait un rôle important dans la pollinisation des petites fleurs, moins attractives pour les gros pollinisateurs.

PHOTOGRAPHIE DE Delphine Simonneau

Il apparaît donc urgent de freiner autant que faire se peut l’effondrement dramatique des populations d’insectes pollinisateurs et de les protéger. Mais comment ? Un nouveau Plan national a été mis en place par le gouvernement. Entretien avec Serge Gadoum, spécialiste des pollinisateurs au sein de l’Office pour les insectes et leur environnement (OPIE) et rédacteur du premier Plan national d’action en faveur des insectes pollinisateurs.

 

Environ 80 % d'insectes auraient disparu dans le monde au cours des trente dernières années...

Plusieurs études ont été menées pour évaluer la diminution des populations d'insectes dans le monde au cours des trente dernières années. Bien que les chiffres varient en fonction des protocoles et de l'analyse des données, il est certain que cette diminution est importante, et a commencé à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec l'utilisation massive d'engrais chimiques et la très forte régression des zones cultivées en légumineuses. Le dérèglement climatique causé par l'activité humaine a également contribué à cette diminution. Les chiffres sont cependant difficiles à quantifier à court ou moyen terme, car il est nécessaire d’analyser pendant au moins dix ans pour observer une tendance déclinante.

 

Toutes les espèces d'insectes pollinisateurs sont-elles concernées ou certaines sont-elles plus résistantes ? 

En résumé, toutes les espèces d'insectes pollinisateurs ne sont pas affectées de la même manière. Certaines espèces ubiquistes sont plus tolérantes et peuvent mieux se déplacer vers le nord, tandis que les espèces liées aux zones d'altitude souffrent du réchauffement climatique et risquent de perdre définitivement leur habitat. De plus, les espèces inféodées à des espèces végétales sont également menacées si leurs plantes hôtes ne résistent pas au dérèglement climatique. Enfin, la fragmentation et la dispersion des habitats conduisent également au déclin de ces populations.

 

Comment stopper cet effondrement et cela est-il possible ? 

Il est impossible d'arrêter l'effondrement de toutes les populations d'insectes pollinisateurs, en particulier celles qui se trouvent déjà en zone montagneuse. Limiter la hausse des températures est indispensable, mais il faudra plusieurs décennies pour revenir à des températures antérieures, il est donc déjà trop tard pour certaines espèces. Il est primordial de prendre des mesures pour limiter les effets du dérèglement climatique et de favoriser la flore autochtone, la connexion des habitats naturels, ainsi que la restauration de l'habitat naturel ou de substitution. Ces mesures sont des mesures classiques de l'écologie de la restauration.

 

Qui sont les acteurs du plan national de lutte pour leur sauvegarde et celle de la pollinisation et que contient-il ? 

Le premier Plan national d’actions « France Terre de pollinisateurs pour la préservation des abeilles et des insectes pollinisateurs sauvages 2016-2020 » était ambitieux mais lancé dans un contexte défavorable car l'OFB, l’office français de la biodiversité était en cours de création et la structuration des compétences et des budgets n’était pas finalisé. Malgré cela, des mesures ont été mises en place dans la plupart des régions de France, créant une prise de conscience sur la question. Cependant, les financements alloués ne suffisent pas à atteindre les objectifs du plan. Le Plan national en faveur des insectes pollinisateurs et la pollinisation 2021-2026 bénéficie de financements un peu plus conséquents.

Les coléoptères ne sont pas les pollinisateurs les plus efficaces. Cependant, leur rôle a été démontré dans la reproduction de certaines espèces comme le châtaignier et le magnolia.

PHOTOGRAPHIE DE Delphine Simonneau

Le groupement de recherche Pollineco, qui réunit les laboratoires français et belges travaillant sur la pollinisation et les pollinisateurs, va bientôt cesser ses activités. Toutefois, cette initiative a permis aux chercheurs de se rencontrer annuellement pour créer des groupes de travail et travailler en synergie, générant ainsi plus de résultats que s'ils avaient travaillé individuellement. Il est souhaitable que cette coopération se poursuive sous une forme ou une autre. D'autres acteurs importants de la recherche comprennent des régions telles que la Nouvelle-Aquitaine, des départements, des organismes, ainsi que des associations telles que l’Opie et Arthropologia pour la région lyonnaise.

 

Sentez-vous l’intérêt du grand public ? 

En France, il existe un manque de culture scientifique et une déconnexion des citadins avec la nature, malgré un intérêt grandissant du public. Certains sont sensibilisés, mais ne savent pas comment agir. Les apiculteurs souhaitent légitimement que leurs problèmes soient pris en compte, mais les actions qui se concentrent sur la seule abeille domestique ne favorisent pas la majorité des insectes pollinisateurs. En effet, de nombreuses espèces d'abeilles existent en France, plus de 1000, mais cela est peu connu. Il reste donc un gros travail d'information, de sensibilisation et d'éducation à faire. Il y a également moins de naturalistes, et peu de professeurs de sciences de la vie et de la terre sont encore en capacité d’emmener leurs élèves dans la nature pour leur permettre de l’appréhender et connaître les espèces qui l’habitent. Il y a donc une perte des savoirs.

Rares sont les coléoptères munis de poils. Cependant certains, comme l'Oedemère noble, en possèdent et peuvent ainsi se charger de pollen en dégustant une fleur, et le transmettre à la fleur suivante.
 

PHOTOGRAPHIE DE Delphine Simonneau

 

Le nouveau Plan national 2021-2026 contient-il de nouvelles mesures ?

Il n'y a pas vraiment de nouvelles mesures dans le deuxième Plan, mais des ajouts ont été faits pour couvrir des sujets qui émergeaient à l'époque mais qui étaient difficiles à évaluer, comme la pollinisation nocturne par les insectes ainsi que des mesures spécifiques à l’apiculture. Pour éviter que certains agriculteurs renâclent à mettre en place de vraies bonnes pratiques, sous prétexte que celles proposées ne sont pas adaptées à leur contexte, l’Opie se mobilise pour que les financements soient orientés pour réaliser des thèses définissant les bonnes pratiques culturales, notamment l’abandon des phytosanitaires, pour l’ensemble des territoires agricoles.

 

Dans vos travaux, donnez-vous la priorité à certaines espèces jugées plus utiles et plus efficaces ?

Oui et non. Les insectes pollinisateurs jouent un rôle important dans l'augmentation des rendements et la production de fruits de qualité, en particulier les bourdons dans les vergers et les abeilles dans la nature. Cependant, pour les espèces qui ont un rôle mineur ou pas de rôle en pollinisation des plantes cultivées, la recherche est très limitée. Il y a des espèces comme les guêpes qui, bien qu'étant jugées sur leur aspect négatif, ont été identifiées comme d'importants pollinisateurs pour certaines plantes sauvages, comme le Lierre. 

Outre les abeilles, d'autres espèces telles que les papillons, les mouches et les coléoptères peuvent jouer un rôle important dans la pollinisation d'une ou plusieurs plantes indigènes non cultivées, mais cela n'a pas encore été pleinement étudié. Le Plan national concerne l’ensemble des pollinisateurs, y compris les papillons menacés pour lesquels l'Opie a rédigé un plan d’action spécifique. Des actions ciblées sont également prévues pour d'autres insectes pollinisateurs en fonction des enjeux sur une espèce donnée dans les réserves naturelles ou les parcs nationaux. Il est important de rappeler ou d'accompagner le gestionnaire pour mettre en place des mesures qui vont dans le bon sens. Les porteurs de projets doivent respecter la séquence ERC (Éviter-Réduire-Compenser) afin de limiter l'impact sur la biodiversité. 

Les lépidoptères (ici la Mélitée des digitales) volètent de fleurs en fleurs pour déguster leur nectar. Leur corps poilu transporte le pollen d’une florescence à l’autre, permettant ainsi la pollinisation d’un grand nombre de plantes.

 

PHOTOGRAPHIE DE Delphine Simonneau

Dans le Plan national actuel, il est souligné l'importance de prendre en compte la pollinisation en tant que fonction écosystémique plutôt que d'étudier uniquement des espèces. Des écologues de bureaux d'études bien formés à la problématiques des insectes polinisateurs sauvages peuvent, même sans inventaire d'abeilles et d'insectes pollinisateurs, à partir d'une cartographie des habitats et en travaillant avec un botaniste, proposer des mesures pertinentes dans le cadre de la séquence ERC. Les enjeux en termes d’espèces et de fonctionnalités doivent être pris en compte pour proposer des actions.

 

Quels sont vos succès les plus marquants dans la protection et la réintroduction des insectes pollinisateurs ?

Nous n’avons pas réintroduit d’insectes, ce n’est pas forcément un but. Mais en termes de succès nous espérons avoir contribué à une meilleure compréhension et prise en compte de ces enjeux. Les succès proviennent également des formations que nous dispensons qui attirent de plus en plus de participants et de notre partenariat avec les Parcs naturels régionaux de Nouvelle-Aquitaine dans le programme européen Life Wild Bees (pour la préservation des abeilles sauvages). 

L’activité d’autres organisations, associations et espaces gérés pour la biodiversité en faveur du Plan national d'action pour les pollinisateurs est tout aussi essentielle. 

Gauche: Supérieur:

La majorité des espèces d'abeilles se nourrit du nectar des fleurs et ne produit pas de miel. Seule l'Abeille domestique produit du miel en France ; toutes les abeilles adultes se nourrissent de nectar, c'est leur « carburant ».

Droite: Fond:

C'est en butinant de fleur en fleur, que les abeilles font le travail de pollinisation. Le pollen, retenu par leur poil, passe d'une florescence à l'autre et permet aux plantes de se reproduire.

Photographies de Delphine Simonneau

 

À quel âge avez-vous ressenti le besoin de protéger les insectes ? 

J’étais plutôt intéressé par les oiseaux et les mammifères dans ma jeunesse. Plus tard, j’ai découvert les libellules, les criquets et les sauterelles et, enfin, les bourdons et les autres insectes pollinisateurs. 

À travers mes activités associatives et à l’université, je me suis formé en biologie-écologie. Cela m’a incité à travailler sur les insectes. Par ailleurs, il y avait peu d'experts à les étudier. Néanmoins, je pense que tout commence par l'intérêt et l'émerveillement pour la nature et qu'on peut encore découvrir et apprendre beaucoup de choses, pas seulement sur les insectes.

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