En Espagne, des sanctuaires recueillent des animaux d'élevage abandonnés

Parce que la loi interdit la présence d’animaux malades dans la chaîne alimentaire, les animaux handicapés ou blessés sont généralement abandonnés ou tués. Les sanctuaires ont pour but de les recueillir et de leur offrir une vie plus douce.

De Natasha Daly
Photographies de Ana Palacios
Publication 6 avr. 2021, 12:39 CEST
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Carla Heras, bénévole au Santuario Gaia à Camprodon en Espagne, enlace Laietana, une cane. Laietana est l’un des mille-cinq-cents animaux qui vivent dans ce sanctuaire. La plupart ont été abandonnés ou viennent de l’industrie agricole. Gaia fait partie de la dizaine de sanctuaires en Espagne qui offre un refuge aux animaux issus de l’élevage pour la consommation.

PHOTOGRAPHIE DE Ana Palacios

Il y a près de quinze ans, alors que Elena Tova venait de sauver un cochon malade sur un coup de tête, elle n’avait jamais entendu parler du concept de sanctuaire pour animaux. « Les sanctuaires, ça n’existait pas en Espagne. Même le mot n'existait pas », explique-t-elle. Elle n’avait entendu le terme « sanctuario » que dans un contexte religieux.

Elena a retrouvé ce cochon, qu’elle a appelé Benito, dans une ferme de la banlieue de Madrid qu’elle visitait dans le but de la transformer en refuge pour chats et chiens abandonnés. Tous les cochons d’élevage avaient été envoyés à l’abattoir la veille à l'exception de Benito, parce qu’il souffrait d’une infection et était donc impropre à la consommation humaine. Les propriétaires du lieu étaient sur le point de le tuer. Elena les a convaincus de lui donner le cochon.

Elle s’est mise à la recherche d'un sanctuaire pour y laisser Benito, en vain. « On a réalisé qu’il n’y avait nulle part où le laisser et c'est comme ça qu'est né le sanctuaire. » Fondée en 2007, la Fundación El Hogar est devenue le premier sanctuaire pour les animaux de ferme en Espagne.

Gary, un bélier Awassi, souffre d’arthrose. Il vit à la Fundación El Hogar à L’Esquirol en Espagne et reçoit des médicaments et des massages de la colonne vertébrale deux fois par jour pour stimuler sa circulation sanguine. Il a été déposé au sanctuaire il y a huit ans alors qu’il souffrait de malnutrition. Il venait d’une ferme laitière où les bébés mâles sont généralement tués puisqu’ils ne produisent pas de lait.

PHOTOGRAPHIE DE Ana Palacios

Elena n’a jamais cessé de sauver des chats et des chiens mais on a commencé à lui apporter des coqs, des poules, des moutons et des cochons. Beaucoup de ses collaborateurs ont quitté le sanctuaire en lui disant que le sauvetage d’animaux d’élevage n’était qu'une perte d’argent. « Ce n’était pas ce qu’ils recherchaient. Ils voulaient sauver des chats et des chiens », déplore-t-elle. « Pour moi, chaque animal a le droit d’être sauvé. »

Quatre ans plus tard, un autre sanctuaire a ouvert ses portes et depuis, de nombreux autres ont vu le jour. Selon Elena Tova, aujourd’hui il existe entre trente et quarante sanctuaires en Espagne. Ils offrent un refuge permanent pour les animaux de la ferme abandonnés ou confiés, comme Benito. L’enthousiasme pour ces établissements sur les réseaux sociaux leur est d’une grande aide.

Selon Valérie Taylor, c’est grâce à des efforts citoyens comme celui d'Elena que le point de vue du grand public évolue sur le traitement réservé aux animaux élevés pour l’Homme. Elle est la directrice de la fondation américaine Global Federation of Animal Sanctuaries (GFAS) qui labellise les sanctuaires du monde entier répondant à des pratiques éthiques telles que l’interdiction de l’élevage et du commerce des animaux.

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    Olivia Gomez soigne une truie appelée Paola grâce à l’électrothérapie. Le Santuario Gaia a sauvé Paola en novembre 2019 après qu’elle a été abandonnée dans la rue alors que les autres cochons de la ferme partaient pour l’abattoir. Sa colonne vertébrale était cassée et elle ne pouvait donc pas monter dans le camion de transport. Les vétérinaires du sanctuaire se sont affairés à soigner sa colonne vertébrale et aujourd’hui elle peut se tenir debout et faire quelques pas.

    PHOTOGRAPHIE DE Ana Palacios

    « On a assisté à un profond changement des sauvetages animaliers. C’est rassurant de voir que cette pratique s’étend aux animaux [d’élevage], dont on cache intentionnellement la souffrance au public. »

     

    AVEC DES MILLIONS DE FERMES, COMMENT L’ESPAGNE PEUT-ELLE S’EN SORTIR ?

    L’Espagne est l’un des plus grands producteurs de porcs au monde. En 2019, près de cinquante-trois-millions de porcs y ont été abattus pour leur viande. Les défenseurs du bien-être animal dénoncent les pratiques répandues dans cette industrie telles que l’utilisation prolongée des caisses de mise bas et la séparation prématurée des petits de leur mère. En 2020, Tras Los Muros a mené une enquête photographique sous couverture au sein de trente fermes en Espagne. Ils ont révélé que nombreux porcs souffraient de graves infections non traitées.

    L'Espagne se classe également en haut du classement en matière de production de viande de lapin avec quarante-huit-millions d’animaux abattus en 2016. Là aussi, des militants ont rapporté des traitements inhumains. En 2014, Animal Equality, un groupe de défense des droits des animaux espagnol, a mené une enquête sous couverture dans soixante-douze fermes à lapin. Ils ont révélé que des lapins étaient jetés vivants à la poubelle, d’autres étaient enfermés dans des cages souffrant de blessures non soignées et d’autres encore, enfermés dans des cages étroites, pratiquaient le cannibalisme.

    La Fundación El Hogar est le seul sanctuaire qui sauve des poissons, principalement récupérés des aquariums des hôtels et des restaurants. La fondatrice Elena Tova explique que s’occuper des poissons s’avère tout aussi compliqué que de s’occuper des autres animaux. Certains ont dû suivre un traitement médical lourd. L’un d’entre eux en particulier, un poisson appelé Slovoda, a dû subir de multiples chirurgies afin de lui retirer une tumeur cancéreuse.

    PHOTOGRAPHIE DE Ana Palacios

    Would Animal Protection, une association de défense du bien-être animal à but non lucratif, évalue les lois de protection du bien-être animal de chaque pays. Elle a attribué la note de D à l’Espagne (l’échelle allant de A à G) concernant la protection de ses animaux d’élevage. Elle cite, entre autres, l’utilisation continue de stalles et la non-obligation d’étourdissement pour l'abattage des animaux. La France, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont également reçu la note de D.

    Lucho Galan, porte-parole de l’entreprise Interporc, un groupe commercial chargé de représenter l’industrie de l’élevage porcin espagnol, explique par email que « l’Espagne est une référence mondiale en matière de bien-être animal » et que Interporc encourage vivement les éleveurs à offrir une qualité de vie optimale à leurs animaux.

    Selon lui, « ces soi-disant sanctuaires nous semblent être une solution légitime mais nous attendons le même respect de leur part que celui observé chez les éleveurs pour leurs établissements ». De nombreux membres de la communauté des sanctuaires soulignent l’importance de tisser de bonnes relations avec les éleveurs afin de faciliter les sauvetages et garder le dialogue ouvert sur la question du traitement des animaux.

    « Les sanctuaires représentent notre seule occasion de voir ce genre d’animaux dans un environnement différent. C’est la seule manière pour les découvrir et établir de véritables connexions en dehors de l’industrie [de l’élevage] », explique Abigail Geer, fondatrice de Mino Valley Farm Animal Sanctuary en Galice.

    À El Hogar, le dindon Patri se repose dans un berceau entouré de coussins et d’oreillers de grossesse afin de prévenir les escarres. Il a été récupéré dans une benne à ordures à l’extérieur d'une ferme de dindes et souffre aujourd’hui d’un trouble articulaire incurable qui l’empêche de se déplacer. Il passe également ses journées sur une balançoire sur-mesure pour se dégourdir les pattes.

    PHOTOGRAPHIE DE Ana Palacios

    Abigail Geer, originaire du Royaume-Uni, a fondé le sanctuaire en 2012 avec son mari. C’était le premier à ouvrir en Galice. Son histoire a commencé sur un coup de tête. Le couple avait mentionné à des amis qu’ils espèreraient ouvrir un sanctuaire un jour quand quelqu'un leur a apporté une brebis qui avait été abandonnée sur un flanc de montagne et qui était dans l’incapacité de marcher. Niché sur 20 hectares de prairie et de forêt, le sanctuaire est maintenant le foyer de plus de trois-cents animaux dont la plupart ont été sauvés de l’industrie agricole.

    De nombreux animaux des deux sanctuaires présentent des besoins particuliers. Abigail explique que la loi interdit la présence d’animaux malades dans la chaîne alimentaire. Ainsi, les animaux handicapés ou blessés sont généralement abandonnés ou confiés.

    Presque tous les animaux du sanctuaire ont eu un passé douloureux. River, un cochon, a été retrouvé sur les rives d'un cours d’eau avec les quatre pattes brisées. Un cycliste l’a remarqué et a contacté El Hogar. Aujourd’hui, River se porte à merveille. Mino Valley abrite seize lapins qui ont été laissés pour morts lors de l’incendie de la grange d’une ferme d’élevage en 2019. Ils vivent désormais dans des installations spacieuses avec foin à volonté.

     

    L’ESPOIR APRÈS LES OBSTACLES

    Pour chaque animal sauvé, des milliers meurent dans la solitude. « C'est le genre de choses qui vous hantent au quotidien », se lamente Abigail Geer, qui a souffert d’insomnie, d'un sentiment de culpabilité et de dépression. Avec le temps, elle assure qu’elle arrive à mieux gérer ses émotions. « Cela ne veut pas dire que je n’éprouve plus de chagrin lorsqu’un animal meurt mais [mes sentiments] ont évolué. Il le faut pour continuer à faire mon métier sans me retrouver submergée. »

    « Le personnel des sanctuaires est composé de gens très forts mais sensibles à la fois », explique Elena Tova. « On fait face à de nombreux hauts et bas et à long terme, après de nombreuses années, tout le monde n’est pas capable de le supporter. » Elle, ainsi que d’autres propriétaires de sanctuaires, affirme que ce sont leurs pensionnaires à quatre pattes qui lui donne de la force. Ils les considèrent comme des membres de leur famille.

    En 2016, le pitbull Neo du sanctuaire El Hogar a été retrouvé malade et paralysé dans un buisson. Bien qu’il n’ait toujours aucune sensibilité au-dessous de la taille, il peut aujourd’hui courir facilement sur ses pattes avant grâce aux soins médicaux intensifs et à la physiothérapie. Il gambade ainsi dans les 24 hectares du sanctuaire.

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    Les membres de la communauté des sanctuaires partagent un langage et des principes universels. La plupart des propriétaires de ces établissements sont végans et ont tendance à considérer les animaux comme des êtres à part entière tout en évitant de mégenrer les animaux si leur genre n'est pas totalement connu. Ismael Lopez a lancé la Fundación Santuario Gaia en 2012 dans la banlieue de Barcelone. Il explique qu’il commence à voir un changement dans la mentalité des espagnols concernant les animaux. « Les gens évoluent plus rapidement que la politique. »

    On peut témoigner de ces changements sur les réseaux sociaux et ils se traduisent par des bénéfices concrets. Gaia abrite désormais mille-cinq-cents animaux et plus d’un million d’internautes suivent son compte Facebook. « Sans les réseaux sociaux, cette croissance ne serait pas possible », témoigne Ismael.

    El Hogar et Mino Valley possèdent eux aussi leurs propres comptes Instagram et Facebook. Ces sanctuaires partagent leurs périples de sauvetage en temps réel et lèvent des fonds pour chacun de leurs cas. D’autres proposent des options d’adhésion mensuelle grâce à des sites comme Patreon. L’ensemble des sanctuaires repose sur les donations du public.

    Même si des changements opèrent dans la [conscience citoyenne], les propriétaires des sanctuaires affirment qu’ils font encore face à des obstacles structurels. Si un camion transportant des porcs vers l’abattoir a un accident, la loi n’autorise pas les sanctuaires à sauver les animaux sans la permission de leur propriétaire.

    Septembre 2020 : Bichi, un chat édenté et aveugle se blottit contre Elena Tova à El Hogar. Bichi s’est éteint un mois plus tard à l’âge de vingt-deux ans. Sur le dos de Mme Tova, au-dessous de l’inscription « vegan », on peut apercevoir un portrait de Felix. Attaqué par des chiens, il s'est relevé après de graves blessures et a passé le restant de ses jours au sanctuaire avant de décéder en juillet dernier. Mme Tova considère Bijou et Felix comme les symboles du sanctuaire.

    PHOTOGRAPHIE DE Ana Palacios

    « Ils ne sont pas des victimes mais une propriété », déclare Elena, qui explique que les propriétaires peuvent faire jouer les assurances si leurs animaux décèdent dans un accident. En raison des règlementations sur le transport et la santé des animaux en vigueur, le sauvetage d’un animal requiert des démarches administratives ainsi que l’autorisation du gouvernement. Souvent, ces formalités peuvent prendre jusqu’à deux semaines explique Ismael, un délai parfois trop long pour un animal malade ou blessé.

    Aussi, Elena, Abigail et Ismael s’accordent tous à dire que les soins vétérinaires pour les animaux de refuge peuvent s’avérer durs à obtenir. Généralement, ils nécessitent des traitements médicaux spécifiques. Selon Abigail, pour les vétérinaires et surtout dans le secteur agricole, il s’agit généralement « de la première fois qu’ils voient ces animaux souffrir de telles choses et [c’est aussi souvent] la première fois que quelqu'un vient leur demander de l’aide pour tout ça ».

    Depuis quelques années néanmoins, les étudiants en médecine vétérinaire se penchent de plus en plus sur la question des sanctuaires. Le Santuario Gaia a accueilli plusieurs étudiants vétérinaires pendant des mois.

    Le véritable pouvoir des sanctuaires pour les animaux de la ferme « repose dans la connexion qu’ils peuvent créer entre les humains et les animaux » selon Mme Taylor de la GFAS, en particulier lorsque le public peut suivre l'évolution d’un animal sauvé.

    Laro, un bœuf de vingt mois, était maintenu par une chaîne trop courte dans un hangar de Cantabria dans le nord de l’Espagne. Condamné à rester debout au milieu de ses propres excréments, il ne pouvait que se coucher et se relever mais n’a jamais pu marcher. Angela Gómez avait entendu ses lamentations lorsqu'il n’avait que quelques mois. Pendant plus d’un an, elle est allée lui rendre visite toutes les semaines pour le caresser à travers les lattes de la grange. Son propriétaire disait qu’il souhaitait le garder jusqu’à ses trois ans et ensuite l’abattre pour sa viande.

    Angela a fini par convaincre le fermier de confier Laro en août dernier alors qu'il avait quatorze mois. Mino Valley lui a consacré une publication sur Instagram et a réussi à lever 1 100 euros en un jour pour subvenir à son transport jusqu’au sanctuaire.

    Les vidéos des sept derniers mois le montrent profiter de sa nouvelle vie, à commencer par ses premiers pas chancelants juste après son arrivée à Mino Valley. « Il avait même peur de marcher », explique Mme Geer. Une autre vidéo le montre en train de contempler le feuillage qui bruisse.

    Le 12 mars, le sanctuaire a posté une vidéo de Laro gambadant, sautant et enchaînant les pirouettes dans la forêt.

    « Pour être honnête, parfois je pleure tout simplement de joie en les regardant. », conclut Mme Geer.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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