Le flamant des Caraïbes pourrait bientôt faire son retour en Floride

Grâce à des conditions plus propices pour les oiseaux dans les Everglades, presque tous les voyants sont au vert dans la région pour un retour du flamant des Caraïbes.

De Ashley Belanger
Publication 3 févr. 2022, 10:12 CET
flamingo florida

Photographié en 2018, un flamant des Caraïbes arpente Haulover Beach à Miami Beach, en Floride. Endémiques de la région, les oiseaux ne se sont pas reproduits en Floride depuis plus d’un siècle.

PHOTOGRAPHIE DE Joe Raedle, Getty Images

En 2015, sur la base aéronavale de Key West, située sur la pointe sud de la Floride, un flamant sauvage a fait son apparition entre deux pistes d’atterrissage. Chaque jour où l’oiseau était présent, les pilotes craignaient une collision.

D’ordinaire, les flamants choisissent des habitats les plus éloignés possible des humains. Mais pas celui-ci. Les employés de l’aéroport ont essayé d’effrayer l’oiseau rose pâle et de le faire partir, en vain. C’est finalement une équipe de spécialistes qui a capturé et emmené l’animal. Surnommé Conchy, le flamant des Caraïbes mâle a été conduit au zoo de Miami, où des chercheurs ont découvert qu’il était gravement malade ; il souffrait de lésions au foie, causées par la pollution d’une étendue d’eau à côté d’un restaurant dans laquelle il se nourrissait.

Des six espèces de flamants, seul le flamant des Caraïbes est endémique d’Amérique du Nord. Selon l’Union internationale pour la Conservation de la Nature, ces oiseaux mesurant 1,20 mètre de haut ne sont pas en danger d’extinction. Leur population augmente même, avec 200 000 individus présents dans les Caraïbes, l’Amérique du Sud et le Mexique.

Une fois Conchy remis sur pattes, les chercheurs ont voulu le relâcher, ce qui a suscité une polémique. La Floride s’y est opposée, estimant que, puisque l’espèce ne s’y était pas reproduite depuis la fin du 19e siècle, elle n’était pas endémique de l’État.

Les scientifiques ont alors apporté la preuve que deux flamants, bagués au Mexique quand ils étaient poussins, avaient précédemment été observés dans la baie de Floride. Ces éléments démontraient que les flamants, bien que peu nombreux, migraient encore naturellement des Caraïbes jusqu’à la Floride. L’État est finalement revenu sur sa décision et a autorisé le lâcher de Conchy en 2015. Impatients de suivre ses déplacements, les chercheurs ont équipé l’oiseau d’une balise GPS.

Et le flamant mâle a déjoué leurs pronostics, restant en Floride pendant plus de deux ans. Pour Steven Whitfield, biologiste spécialiste de la faune au zoo de Miami, si Conchy a décidé de rester dans l’État, c’est parce que l’habitat floridien fréquenté par les échassiers, où les flamants étaient uniquement considérés comme des résidents temporaires depuis les 100 dernières années, pouvait en réalité accueillir ces oiseaux tout au long de l’année.

« Nous étions très surpris, confie le biologiste. C’était un bon indicateur de la présence de nourriture, certes pour un petit groupe, mais pendant longtemps ».

Au cours de la dernière décennie, les observations de flamants des Caraïbes en Floride n’ont eu de cesse d’augmenter. L’État accueillerait ainsi près d'un millier d’entre eux, tous présumés être des visiteurs temporaires. Ces données, conjuguées à la décision de Conchy de rester dans l’État, suggèrent que les conditions sont réunies pour le retour de populations permanentes de flamants dans le « Sunshine State », indique Steven Whitfield.

Si depuis 2018 et la mise à jour de son statut par la Floride, le flamant est considéré comme une espèce endémique de l’État, les organismes de protection de la faune de ce dernier ont toutefois refusé, en mai 2021, d’octroyer aux oiseaux certaines protections, notamment en ce qui concerne la gestion et le suivi de la population. D’après eux, les efforts de conservation actuels entrepris dans le sud de la Floride, et plus particulièrement dans les Everglades, sont suffisants.

Felicity Arengo est coordinatrice pour les Amériques au groupe d’experts des flamants de l’UICN. C’est elle qui a conseillé la Floride sur cette question. Interrogée par National Geographic, elle a indiqué que les organismes peuvent revenir sur leur décision si un nombre suffisant de flamants présents en permanence dans l’État sont répertoriés.

« Ce n’était pas forcément un arrêt de mort, se défend Felicity Arengo, également directrice adjointe du Centre pour la biodiversité et la conservation du Muséum américain d’histoire naturelle de New York. La situation évolue ».

Frank Ridgley, du zoo de Miami, relâche Conchy dans la baie de Floride en 2015. L’animal a été équipé au préalable d’un émetteur satellite.

PHOTOGRAPHIE DE Ron Magill

FAVORISER LE RETOUR DES FLAMANTS

Chassés à outrance pour leur viande, leurs œufs et leurs plumes, les milliers de flamants des Caraïbes qui peuplaient autrefois la baie de Floride et l’archipel des Keys avaient pratiquement été éradiqués à la fin du 19e siècle.

Malgré cela, les oiseaux demeurent une espèce emblématique de l’État. Les touristes qui visitent le parc national des Everglades affluent au Centre des flamants et les billets de la loterie floridienne arborent le dessin souriant de l’oiseau.

Avec d’autres passionnés des flamants, Steven Whitfield compte faire tout son possible pour encourager le retour de l’oiseau dans son habitat d’origine. Cela implique notamment d’équiper les flamants présents en Floride de balise pour étudier leurs routes migratoires, de découvrir la façon dont la modification de leur habitat a un impact sur les possibilités de nidification des oiseaux et d’utiliser les images satellites pour identifier les habitats propices à l’espèce et les éventuels sites de nidification.

Le biologiste a également créé un groupe de travail sur le flamant des Caraïbes avec des spécialistes locaux et internationaux de l’espèce, dans l’espoir de collecter autant de données que possible et ainsi éclairer les prises de décision futures de l’État en cas d’évolution des conditions et d’installation d’une nouvelle population reproductrice en Floride.

Steven Whitfield croit à un retour prochain de l’espèce dans l’État, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, la Floride, région la plus septentrionale de l’aire de répartition du flamant des Caraïbes, pourrait attirer de plus en plus de flamants à la recherche de sites de nourrissage et de reproduction en raison de la réduction de leur territoire et de l’élévation prévue du niveau de la mer dans les Caraïbes.

Deuxièmement, les efforts de conservation entrepris dans les Everglades ont déjà permis l’amélioration de la qualité de l’habitat pour les échassiers. Cela pourrait inciter des flamants à revenir dans le sud de la Floride.

En outre, l’administration Biden a annoncé en janvier dernier un projet de restauration des Everglades pour un montant d’un milliard de dollars (890 millions d’euros). Pour la période 2019-2023, ce sont au total 2,5 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) qui ont été investis dans la zone humide de 6 070 km².

 

RESTAURER L’ÉCOSYSTÈME DES EVERGLADES

Les flamants se nourrissent de petits crustacés en plongeant leur bec dans les eaux peu profondes. Ce comportement profite à l’ensemble de l’écosystème, puisqu’il permet de filtrer les nutriments et les micro-organismes et d’oxygéner l’eau. À l’instar de tous les animaux qui fréquentent les zones humides, les flamants ont besoin d’une eau propre et bien oxygénée pour survivre et leur présence témoigne de la bonne santé de l’environnement.

La plupart des écosystèmes du sud de la Floride sont toutefois pollués par les nutriments nocifs contenus dans les ruissellements agricoles, et notamment le phosphore et l’azote. Ceux-ci favorisent la croissance d’algues, qui consomment l’oxygène présent dans l’eau.

Les lois visant à limiter la pollution de l’eau semblent porter ses fruits, précise Steven Whitfield, avant d’ajouter qu’un décret obligeant les agriculteurs à réduire de 25 % le ruissellement agricole a ainsi évité le déversement de plus de 6 000 tonnes métriques de phosphore dans les Everglades.

Pour les scientifiques, l’objectif à long terme est de restaurer les systèmes hydriques de l’écosystème de manière à ce que les Everglades soient continuellement alimentés en eau douce toute l’année. Ce faisant, les populations de plantes et de proies, telles que les crevettes et les petits poissons, augmenteraient, ce qui pourrait attirer des flamants en nombre suffisant pour nicher dans la région. Les flamants des Caraïbes peuvent parcourir près de 645 km par jour et chercher de la nourriture à plus de 3 200 km de leurs zones de reproduction hivernales.

D’autres animaux semblent aussi faire leur retour dans le sud de la Floride. En 2021, les scientifiques ont observé une hausse notable de nids de crocodiles américains et d’alligators d’Amérique, souligne Mark Cook, responsable scientifique de la South Florida Water Management District, qui gère les ressources hydriques de 16 comtés, d’Orlando à l’archipel des Keys.

Son équipe a dénombré près de 90 000 nids de plusieurs espèces d’échassiers dans le sud des Everglades en 2021, un chiffre qu’il décrit comme « absolument incroyable » pour l’une des « meilleures années de nidification depuis les années 1940 ».

Si les flamants des Caraïbes font leur retour en Floride, Steven Whitfield et ses collègues s’attendent à ce que l’État envisage de les inscrire sur la liste des espèces protégées.

« Le rétablissement du flamant est tout à fait possible, avance le biologiste, car cela a déjà été fait par le passé, dans des pays qui ont bien moins de ressources que les États-Unis ».

Felicity Arengo, qui conseille également le groupe de travail de Steven Whitfield sur le flamant, convient que la restauration des systèmes hydriques, la protection de l’habitat et la suppression des perturbations d’origine humaine se sont avérées être des stratégies payantes pour faire revenir les flamants des Caraïbes dans des régions où ils avaient disparu.

 

DES OBSERVATIONS PLUS NOMBREUSES

Le groupe de travail peut compter sur la présence de plusieurs scientifiques citoyens sur le terrain, dont Garl Harrold. Gérant de Garl’s Coastal Kayaking à Homestead, en Floride, il a été le premier à observer dans le parc national des Everglades en 2002 un flamant qui avait été bagué au Mexique. Garl a probablement cumulé le plus grand nombre d’observations de flamants des Caraïbes ces dernières années ; s’il tombait sur quelques oiseaux par an auparavant, il en voit désormais presque tous les mois.

« La première fois que j’en ai vus, les gens m’ont dit qu’il s’agissait de spatules rosées, raconte Garl Harrold. Je leur ai rétorqué que je savais faire la différence entre les deux ». (À lire : Comme l'Homme, les flamants roses se lient d'amitié pour la vie.)

S’il voit généralement les oiseaux par groupe de deux, il a une fois observé 16 individus ensemble.

« Je sors presque tous les jours, donc j’ai plus de chance de tomber sur les flamants s’ils sont dans le coin », souligne-t-il.

Ces observations, souvent postées en ligne et sur des applications de sciences participatives, aideront Steven Whitfield et ses collègues à connaître le nombre de flamants des Caraïbes présents dans la région. Le biologiste espère également effectuer des prélèvements sanguins et de plumes de certains individus pour savoir d’où ils viennent.

La balise de Conchy n’a plus transmis de signal depuis 2017, lors de l’ouragan Irma. Il est possible que le flamant ait survécu (les flamants des Caraïbes peuvent vivre jusqu’à 50 ans) et qu’il ait finalement décidé de quitter l’État. Il pourrait aussi se cacher dans les zones plus reculées du sud de la Floride, indique Steven Whitfield. Les images satellites pourraient permettre de localiser ces individus sauvages dont le nombre est potentiellement sous-estimé.

« Soit les flamants sont de plus en plus nombreux en Floride, soit des individus sont présents depuis longtemps et sont passés inaperçus », conclut-il.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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