États-Unis : les jaguars à la conquête de l'Arizona

Menacés d'extinction aux États-Unis, quelques jaguars ont fait leur retour en Arizona et au Nouveau-Mexique. Des obstacles entravent cependant leur développement sur le territoire : l'activité humaine et les murs érigés entre les États-Unis et le Mexique.

De Douglas Main
Publication 26 juil. 2022, 17:58 CEST
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Un jaguar nommé Valerio erre dans une réserve naturelle à Sonora, au Mexique, aux portes des États-Unis. Le sud-ouest de l'Amérique du Nord a longtemps abrité des jaguars et l'espèce pourrait revenir, si nous la laissons faire.

PHOTOGRAPHIE DE Ganesh Marin Mendez

Lorsque le biologiste Ganesh Marin a aperçu pour la première fois un jaguar dans une réserve du nord de Sonora, au Mexique, en 2020, il a été ravi. Le félin a continué à apparaître sur son réseau de pièges photographiques le long de la frontière de l’Arizona, ce qui indiquait qu’il habitait désormais la région. Marin a surnommé le jaguar El Bonito, ce qui signifie « le beau » en espagnol.

Mais en 2021, Marin, qui est un explorateur National Geographic, a remarqué quelque chose de bizarre sur les photographies. Les motifs des taches de l’animal semblaient varier très légèrement d’une image à l’autre. Après quelques analyses plus approfondies, il a confirmé qu’il ne voyait non pas un, mais deux jeunes jaguars mâles.

Il était déjà passionnant de voir Bonito évoluer devant la caméra, « grandir, devenir plus imposant, avoir un cou plus épais et une plus grosse tête », confie Marin. Mais réaliser qu’il y en avait plus d’un : « C’était assez génial ».

La présence d’un deuxième jaguar à quelques kilomètres au sud de la frontière de l’Arizona est une nouvelle preuve que les grands félins se déplacent vers le nord pour reconquérir d’anciens territoires, selon John Koprowski, biologiste et doyen de l’Université du Wyoming, conseiller de Marin pour son doctorat.

Au début du 20e siècle, on trouvait encore des jaguars bien plus au nord, jusqu’au Grand Canyon, et au sud, jusqu’en Argentine. Cependant, la chasse, souvent encouragée par le gouvernement, les a fait disparaître de l’Arizona et du Nouveau-Mexique, l’aire de répartition de l’animal dans le nord, au milieu du 20e siècle.

Marin a nommé le deuxième jaguar Valerio, en l’honneur de Valer Clark, un défenseur de l’environnement qui a fondé l’organisation Cuenca Los Ojos. Cette organisation environnementale binationale gère aujourd’hui une réserve naturelle de 49 000 hectares à Sonora le long de la frontière, où Marin effectue ses recherches en tant que doctorant à l’université d’Arizona.

Si les humains les laissaient faire, les félins pourraient étendre leur territoire vers le nord, mais ils se heurtent à des obstacles tels que les routes et la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Plus de 720 kilomètres de mur de 10 mètres de haut ont été construits par le gouvernement de Donald Trump, la plupart en Arizona et au Nouveau-Mexique, bloquant des corridors essentiels pour la faune.

« Il y a des animaux juste là, à quelques kilomètres de la frontière, dont le déplacement vers le nord pourrait être facilement empêché si la frontière devient imperméable » en raison de l’extension du mur frontalier et de l’expansion des autoroutes, explique Koprowski.

« Mais plus que tout, cette [découverte] donne un grand espoir que cette connectivité puisse être maintenue » voire, peut-être, améliorée.

 

UN HABITAT DE CHOIX POUR LES JAGUARS

Les zones frontalières de l’Arizona et du Nouveau-Mexique, et leur série de chaînes de montagnes, connues sous le nom de Sky Islands, les « îles du ciel », sont l’une des régions les plus riches en biodiversité d’Amérique du Nord. Entre les montagnes, on trouve les plaines sèches des déserts de Sonora et de Chihuahua, ainsi que diverses prairies et zones riveraines, qui abritent au total des dizaines de milliers d’espèces de plantes et d’animaux. Depuis bien longtemps, les jaguars, les pumas, les ocelots, les ours et bien d’autres grandes espèces se déplacaient librement dans ce biome contigu. Mais des barrières telles que des routes et des clôtures entravent désormais ces déplacements.

Néanmoins, au cours des vingt-cinq dernières années, au moins sept jaguars ont été observés en Arizona, dont un qui vivrait encore dans une chaîne de montagnes au sud-est de l’État, et un nombre à peu près équivalent a été observé de l’autre côté de la frontière, au Mexique.

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    Un jaguar surnommé « Bonito » est apparu sur les caméras du biologiste Ganesh Marin en octobre 2020. Rapidement, un deuxième est apparu. Cette observation révèle l'importance de la préservation des corridors fauniques et de la restauration des habitats.

    PHOTOGRAPHIE DE Ganesh Marin Mendez

    En outre, une étude réalisée en mars 2021 estime qu’une partie non-négligeable de la région constitue un habitat de choix pour le jaguar et pourrait probablement accueillir une population de quelques centaines d’individus. Les jaguars sont classés parmi les espèces menacées d’extinction aux États-Unis.

    Environ 200 jaguars vivent dans l’État mexicain de Sonora, et les deux félins observés par Marin sont probablement nés à proximité de l’Arizona, peut-être à moins de 100 kilomètres, explique Gerardo Ceballos, chercheur à l’Université nationale autonome du Mexique.

    Les femelles jaguars ne s’aventurent généralement pas très loin de leur lieu de naissance, et cette absence de mobilité est le facteur qui limite l’expansion de l’espèce. Les mâles, en revanche, peuvent parcourir de grandes distances à la recherche de territoires et de partenaires. Les grands félins sont confrontés à diverses menaces au Mexique, notamment le braconnage et les meurtres en représailles pour leur rôle supposé dans la prédation du bétail.

    « Si nous continuons à essayer de protéger les jaguars, peut-être que d’ici environ cinq ans, nous pourrions voir des femelles enceintes aux États-Unis », espère Ceballos.

    Toutefois, pour se déplacer vers le nord, les félins ont besoin de corridors fauniques protégés. Toute extension du mur frontalier nuira davantage à la capacité des animaux à se déplacer librement, et certaines parties du mur devront être ouvertes pour réduire les dégâts qu’il a déjà causés, selon les experts. Le gouvernement de Joe Biden s’est engagé à ne pas étendre de manière significative le mur frontalier, et certaines discussions sont en cours pour limiter les dégâts causés à la faune, mais aucun changement majeur n’a encore été apporté.  

    « Malheureusement, le mur frontalier représente désormais un nouvel obstacle pour les jaguars qui veulent atteindre les États-Unis », déplore Antonio de la Torre, un biologiste du groupe de conservation Jaguares de la Selva Maya, qui étudie les félins. « Il est essentiel de mettre en œuvre une mesure d’atténuation pour résoudre ce problème si nous voulons assurer l’expansion naturelle des jaguars vers le nord. »

     

    RESTAURER ET PROTÉGER

    Jusqu’à récemment, une grande partie de ce qui est aujourd’hui le nord de Sonora et le sud-est de l’Arizona possédait d’abondantes zones humides, appelées cienegas en espagnol. C’est pourquoi Cuenca Los Ojos s’efforce de ramener l’eau dans le paysage et a jusqu’à présent restauré environ 30 hectares de zones humides et de cours d’eau, explique Jeremiah Leibowitz, directeur exécutif de l’organisation.

    Avant 2019, les 50 kilomètres de la frontière nord de Cuenca Los Ojos, qui jouxte l’Arizona, n’avaient que de courtes barrières pour véhicules et des clôtures en fil de fer barbelé de quelques mètres de haut, que la faune pouvait facilement traverser. Mais aujourd’hui, elle est bordée de murs en acier de 10 mètres de haut, selon Leibowitz. Quelques corridors restent toutefois dépourvus de barrières aussi hautes, comme l’extrémité sud des monts Peloncillo qui chevauchent l’Arizona et le Nouveau-Mexique.

    Cette région, comme une grande partie de ses environs, reçoit au moins la moitié de ses précipitations pendant la saison des moussons, de juin à septembre. Après la colonisation européenne, les nouveaux habitants ont modifié le paysage pour qu’il soit beaucoup moins absorbant, remplaçant les prairies par de l’agriculture et construisant des structures imperméables, dont du bitume. En conséquence, cette pluie peut maintenant s’écouler rapidement sur le terrain, provoquant une érosion.

    Selon Leibowitz, les gestionnaires de la réserve de Cuenca s’efforcent de rétablir la perméabilité initiale de la terre, en partie en ralentissant l’eau grâce à des structures de contrôle de l’érosion en pierre. Les castors, dont les barrages contrôlent également le débit de l’eau, ont aussi récemment recolonisé de nombreux cours d’eau de la réserve. Les deux jaguars de Sonora ont été aperçus près d’un ruisseau de la réserve qui coule toute l’année.

     

    UNE RÉGION À LA BIODIVERSITÉ IMPORTANTE

    Valerio et Bonito fréquentaient parfois la même zone à quelques jours d’intervalle, d’après les données des pièges photographiques. Pour Martin, en grandissant, l’un des deux allait finir par faire partir l’autre : en effet, lorsqu’ils atteignent l’âge de la reproduction, les jaguars mâles essaient d’établir leur territoire.

    Et il ne se trompait pas : Valerio, qui est légèrement plus grand, est resté dans les parages (il a été vu pour la dernière fois en mars de cette année), tandis que Bonito n’a pas été aperçu depuis le 22 octobre 2021. Selon Marin, il est probablement dans les parages, mais comme ces animaux peuvent se déplacer sur de grandes distances, tout est possible.

    Outre la recherche d’animaux sauvages à l’aide de caméras, Marin a travaillé avec les biologistes Melissa Merrick, Katie Benson et Matt Valente pour échantillonner l’ADN environnemental (eADN) de certains cours d’eau, ce qui a permis de trouver des preuves de la présence de jaguars, d’ours noirs, de cerfs de Virginie, de souris de chasse et d’autres animaux sauvages locaux. L’équipe espère étendre son échantillonnage et son étude de l’eADN pour en savoir plus sur la présence de la faune terrestre, une pratique qui n’en est encore qu’à ses débuts, selon Benson.

    En attendant, les recherches montrent que la région abrite un grand nombre d’espèces importantes et que la restauration de l’habitat peut accroître la biodiversité d’une zone.

    « Le fait que les animaux utilisent encore et encore cette zone témoigne de la qualité de l’habitat et de la nécessité d’accroître la connectivité » avec les zones environnantes du Mexique et des États-Unis, explique Koprowski.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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