Kenya : d'anciens ennemis se sont unis pour construire l'arche des girafes

Au Kenya, la montée des eaux menaçait l’habitat de girafes rares. D’anciens ennemis ont donc uni leurs forces pour déplacer ces animaux immenses, à l’aide d’une arche moderne.

De Annie Roth
Photographies de Ami Vitale
Publication 31 déc. 2021, 10:30 CET
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Lorsqu'une île du lac Baringo, au Kenya, a été inondée fin 2020, les huit girafes de Rothschild qu'elles abritaient ont été déplacées. Une équipe de sauveteurs les a transportées une par une, en commençant par une femelle nommée Asiwa, vers un sanctuaire nouvellement construit sur le continent, à l'aide d'une barge construite à partir de fûts métalliques, de poutres en acier et de bâches.

PHOTOGRAPHIE DE Ami Vitale

Il n'y a pas si longtemps, la paix entre les Pokots et les Ilchamus semblait impossible. Installées sur les rives du lac Baringo, au Kenya, ces deux communautés guerroyaient depuis des décennies à cause du bétail, de l’accès aux terres et à l’eau. L’une des régions les plus riches en biodiversité du pays était devenue un champ de bataille stérile.

En 2006, les anciens des deux groupes tribaux ont conclu une trêve. Ils ont décidé de coopérer afin de restaurer la vie sauvage que leurs affrontements avaient contribué à faire disparaître. Première bénéficiaire : la girafe de Rothschild, dont la population décline. Il n’en subsiste qu’environ 2 000 à l’état sauvage, dont 800 au Kenya. La girafe de Rothschild est aussi appelée girafe de Baringo, car elle abondait jadis autour du lac du même nom. Mais cette sous-espèce s’est éteinte dans la région après des décennies de conflit et de braconnage.

Impatients de voir ces girafes revenir sur leur terre natale, les Pokots et les Ilchamus n’ont pas mis plus d’un an pour établir la réserve communautaire de Ruko – 18 000 ha où ils travaillent ensemble.

Une fois évacuées d’une zone en crue et acclimatées dans une aire de 1 800 ha, les girafes pourront vivre dans une réserve dix fois plus grande.

PHOTOGRAPHIE DE Ami Vitale

« Ça n’a pas été facile, reconnaît Rebby Sebei, membre de la communauté pokote qui dirige la réserve de Ruko. Mais les deux camps voulaient faire changer les choses. »

En 2011, la réserve a accueilli son premier groupe de girafes de Rothschild. Huit animaux transférés d’autres régions ont été installés sur une péninsule du lac Baringo, où les protéger des braconniers était aisé. Le retour des girafes a attiré les touristes et donné un coup de pouce à l’économie locale. Les animaux et leurs petits nés sur place sont devenus « un symbole de paix et d’unité, et une source de revenus pour la communauté », explique Sebei.

Hélas, après des années d’harmonie, une catastrophe est survenue. Des fortes pluies ont inondé de nombreuses zones de la vallée du Rift, dont le lac Baringo. En 2020, la montée des eaux du lac avait déjà chassé plus de 5 000 habitants et détruit des écoles, des hôpitaux et des maisons. Quant aux girafes, les 40 ha de leur péninsule étaient devenus une île dont la surface se réduisait rapidement. Les animaux se sont retrouvés pris au piège, manquant de nourriture, même quand les gardes forestiers leur en apportaient depuis la rive. Plusieurs adultes et petits sont morts à mesure que l’eau montait.

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    Asiwa, l'une des huit dernières girafes de Rothschild, est guidée jusqu'à une barge à destination du continent. Ses sauveteurs l'ont équipée d'un bandeau et de bouchons d'oreille pour réduire le stress de son voyage.

    PHOTOGRAPHIE DE Ami Vitale

    Déjà aux prises avec une pandémie mondiale et une catastrophe naturelle, les Pokots et les Ilchamus ont malgré tout entrepris de sauver les huit girafes rescapées. La meilleure option, quoique complexe et dangereuse, semblait être de faire monter chaque animal sur une barge, tractée par bateau jusqu’à la terre ferme. Mais embarquer en toute sécurité un animal sauvage mesurant au minimum 5,5 m et pouvant peser presque autant qu’une petite voiture sur une barge n’est pas une mince affaire.

    Les girafes supportent mal les tranquillisants – on a déjà vu des individus sous sédatif s’étouffer avec leur salive. Et leur physiologie les rend vulnérables aux blessures au cou ou aux pattes.

    La deuxième girafe sauvée de l'île inondée, une femelle nommée Pasaka, reprend conscience après avoir été endormie. Tranquiliser une girafe comporte de nombreux risques, mais les sauveteurs de Pasaka indiquent que c'était nécessaire pour la faire monter sur la barge et la transporter en lieu sûr.

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    À l’aide de bidons en métal, de poutres en acier et de bâches, les Pokots et les Ilchamus ont bâti une barge assez solide pour faire traverser les girafes. Ils ont aussi créé un sanctuaire de 1 800 ha, protégé des prédateurs, à l’intérieur des terres, où les girafes pourraient s’acclimater à leur nouvel environnement.

    La première girafe choisie pour le transfert était une femelle baptisée Asiwa. En 2020, elle était restée seule la plupart du temps, isolée du reste du troupeau après que la montée des eaux avait coupé l’île en deux. Les sauveteurs ont tenté en vain de l’attirer sur la barge avec des mangues et d’autres friandises.

    Ils ont alors décidé de lui administrer un tranquillisant, de lui bander les yeux et de lui mettre un harnais pour la guider jusqu’à la barge. Un plan risqué : en cas de chute dans l’eau, la noyade était quasi certaine. Quand la flèche de tranquillisant l’a touchée, Asiwa a couru à l’opposé de la barge. Elle a fini par s’écrouler « à environ 30 cm de l’eau », se rappelle David O’Connor, président de l’association à but non lucratif Save Giraffes Now. Nous avons eu beaucoup de chance. »

    Pour sauver les girafes, les sauveteurs ont dû les manœuvrer sur une barge surnommée le "Giraft". Ici, la barge transportant la femelle nommée Asiwa est remorquée à travers le lac Baringo.

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    Une fois la girafe endormie, les sauveteurs se sont précipités pour lui injecter l’antidote au tranquillisant et lui mettre des chaussettes dans les oreilles, un bandeau sur les yeux et un harnais artisanal.

    Quand Asiwa s’est relevée, ils l’ont guidé jusqu’à la barge – d’abord lentement, raconte O’Connor, mais une fois qu’elle a trouvé son rythme, « c’était comme promener son chien le dimanche aprèsmidi au parc ». Lorsqu’ils sont arrivés à la barge, la girafe est montée dessus tout de suite. Selon O’Connor, la passagère est restée « parfaitement calme » pendant l’heure de voyage jusqu’à l’autre rive, où une foule mêlant Pokots et Ilchamus l’attendait. Elle a quitté la barge et est entrée dans le sanctuaire sous les applaudissements. « On baignait dans la joie », témoigne Rebby Sebei.

    Un girafon est né sur l’île à Noël. Et deux autres girafes ont été sauvées : une femelle, qu’il a fallu endormir, et un mâle, qui est monté seul sur la barge, attiré par de la nourriture. Les sauveteurs espèrent transférer les dernières girafes de l’île vers leur nouvel habitat dans les prochains mois. Une tâche ardue, mais, déclare Rebby Sebei, « là où règne la paix, tout est possible ».

     

    COMMENT AIDER ?

    Save Giraffes Now soutient une protection immédiate, sur le terrain, en Afrique, avec des sauvetages et des relocalisations.

    Parlez-en autour de vous. Beaucoup de gens ignorent que les girafes sont en danger – leur population a chuté

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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