Le loup rouge est au bord de l’extinction pour la deuxième fois

Après une embellie de quelques décennies, le dernier groupe de loups rouges sauvages au monde est au bord de l’extinction. Des chercheurs élèvent des individus en captivité afin de les réintroduire dans la nature.

De Meaghan Mulholland
Photographies de Jessica A. Suarez
Publication 7 déc. 2021, 17:26 CET
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Un mâle nommé Apollo en train d’hurler en compagnie de sa famille au Reflection Riding Arboretum and Nature Center de Chattanooga, dans le Tennessee. Il ne sera jamais réintroduit dans la nature mais les deux louveteaux qu’il a eus avec sa partenaire en 2021 pourraient bien l’être.

PHOTOGRAPHIE DE Jessica A. Suarez

Ils ne sont plus que vingt. Les loups les plus menacés du monde sont retranchés dans une unique région qui s’étend de la rivière Alligator au refuge national de Pocosin Lakes, dans l’est de la Caroline du Nord.

Mieux connu sous le nom de « loup d’Amérique », le loup rouge (Canis rufus) est l’unique superprédateur dont l’aire de répartition naturelle se trouve exclusivement aux États-Unis (du Texas à la Nouvelle-Angleterre). Petit à petit, la chasse a restreint l’habitat de ces loups, jusqu’à ce qu’on les déclare éteints en 1980. Dans le cadre d’une expérience révolutionnaire (et couronnée de succès), huit loups élevés en captivité ont été réintroduits en Caroline du Nord en 1987 et ont fini par engendrer une population de plus de 100 individus. Mais ils ont été décimés par le braconnage et les différentes politiques mises en œuvre par le Fish and Wildlife Service (FWS), l’agence fédérale américaine en charge de la faune.

Au printemps, les militants de la cause animale ont toutefois eu une bonne nouvelle à se mettre sous la dent : quatre louveteaux nés en captivité ont été placés dans une tanière et ont été adopté par une louve rouge. Entre-temps, quatre autres adultes ont été relâchés dans la nature. Ces louveteaux seraient aujourd’hui toujours vivants et en bonne santé. En revanche, les adultes ne s’en sont pas si bien sortis. Dans les mois qui ont suivi leur mise en liberté, trois ont été percutés par des véhicules et sont morts sur le coup, et le quatrième a été abattu par arme à feu sur un terrain privé.

Pour que les populations de loups rouges repartent à la hausse après ces décès, le FWS a fait part de son projet de relâcher dès cet hiver neuf loups rouges adultes dans leur aire de réintroduction qui s’étend sur deux refuges différents. De plus, l’agence a récemment annoncé qu’elle allait supprimer une proposition de 2018 visant à réduire l’habitat protégé des loups rouges de 90 % en Caroline du Nord. Cela fait suite à des accusations d’enfreintes de l’Endangered Species Act, la loi de protection des espèces menacées votée en 1973.

Pour Ron Sutherland, scientifique de l’ONG Wildlands Network vivant dans le dernier bastion des loups rouges en Caroline du Nord, il est crucial que les autorités abandonnent cette proposition qui va dans le mauvais sens. « La situation actuelle est bien plus urgente qu’elle ne l’était en 2018. Cela devrait mettre la communauté américaine de défense des animaux en état d’alerte pour sauver cette espèce et l’éloigner du bord du gouffre. »

« Nous nous impliquons dans la poursuite de nos efforts avec les parties prenantes afin d’identifier des façons d’encourager et de faciliter une coexistence plus efficace entre humains et loups rouges », a répondu Emily Weller, qui supervise la reconstitution des populations de loups rouges pour le FWS, dans un e-mail envoyé à National Geographic.

Pour secourir les loups rouges, les défenseurs de la cause animale, les chercheurs et le gouvernement prennent constamment des mesures : ils réintroduisent plus de loups, ils les préparent mieux à la vie sauvage, ils font tout pour réduire les accidents avec les véhicules, et ils sensibilisent les habitants de la région à l’innocuité de cette espèce en danger critique d’extinction.

 

FAITS POUR LA LIBERTÉ

En plus du petit groupe qui vit en Caroline du Nord, environ 240 loups rouges vivent actuellement sous protection humaine dans des zoos et des centres naturels à travers les États-Unis. Ces établissements font partie du Programme américain pour les espèces menacées (SSP) qui recourt à l’élevage en captivité pour reconstituer les populations de loups rouges et conserver leur diversité génétique. 

Selon Chris Lasher, en charge de la vie des animaux au Zoo de Caroline du Nord d’Asheboro et coordinateur de la section du SSP dédiée aux loups rouges, les chercheurs aimeraient que la population captive atteigne 400 individus, un seuil important pour éviter leur extinction.

Ruby, louve rouge du Reflection Riding Arboretum and Nature Center, se repose dans son enclos. Des chercheurs espèrent accroître le nombre d’individus en captivité (ils sont environ 240 pour le moment) afin d’en réintroduire davantage dans la nature.

PHOTOGRAPHIE DE Jessica A. Suarez

Ensuite, il faudra réintroduire plus de loups. C’est l’avis de Ron Sutherland et du Centre juridique pour l’environnement dans le Sud (SELC), dont l’action en justice est à l’origine des réintroductions récentes qui ont été ordonnées par la justice. Ron Sutherland assure que ces mises en liberté doivent continuer « jusqu’à ce que la population sauvage atteigne de nouveau 40 à 50 individus et qu’il y ait des signes qui montrent qu’elle est en train de repartir ». À ce stade, la meilleure façon de secourir les loups rouges est « de placer des louveteaux en captivité dans des portées sauvages plutôt que de relâcher des loups ayant atteint l’âge adulte ou l’adolescence ».

Cela crée un lien important entre adultes et petits. En effet, il est bien possible que les loups rouges appréhendent mieux leur environnement quand ils apprennent de leurs parents, qui leur transmettent un savoir-faire acquis sur des générations (éviter les routes, comment chasser, bien choisir l’endroit pour faire sa tanière…) Le placement de louveteaux au sein de populations sauvages a un taux de réussite de 100 % chez cette espèce. Cela favorise en outre la diversité génétique au sein de la population.

C’est cependant une procédure délicate qui dépend de la saison et qui ne peut se faire s’il n’y a pas de portée sauvage. En 2019 et en 2020, pour la première fois dans l’histoire du programme de sauvegarde des loups rouges (lancé en 1987), aucun louveteau n’a vu le jour dans la nature. Mais en 2021, les tentatives de placement de petits ont été un succès. Il est permis d’espérer que les couples relâchés cet hiver donneront de nouvelles portées au printemps.

La préparation des loups à leur réintroduction est un processus constant. Avant de les libérer, on les garde dans de grands enclos où ont été placés des éléments de paysages qu’ils retrouveront dans la nature. Il est toutefois plus difficile de les préparer à l’existence des routes. Pour les rendre conscients de ce danger, leurs soigneurs ont recours à des formes d’« enrichissement négatif » ; ils leur font associer des bruits de voiture à une expérience semi-stressante de type examen médical. Regina Mossotti, en charge des soins animaliers au Centre de protection des loups d’Eureka, dans le Missouri, indique que l’enrichissement positif implique, pour sa part, l’exposition à de nouvelles odeurs, à des objets naturels, à des enregistrements de bruits d’animaux, à de la nourriture dissimulée et à des carcasses de proies afin de les stimuler mentalement et physiquement.

Les heures des repas varient également afin que les loups rouges en captivité évitent d’associer les humains à la nourriture. Quand cela est possible, ils sont également logés en famille, « pour reproduire les conditions qu’ils connaîtraient dans la nature », indique Chris Lasher.

Le FWS déploie également des stratégies visant à réduire le nombre d’accidents avec des véhicules. Celles-ci incluent panneaux de signalisation, écoducs, panneaux rétro-réfléchissants et conditionnement par l’aversion (une méthode qui, selon l’agence, permettrait aux loups rouges d’apprendre à éviter routes et voitures). Le FWS prévoit aussi d’inclure des réflecteurs orange sur les colliers des loups rouges qui vont être réintroduits à l’avenir. On les verra ainsi mieux sur les routes à la nuit tombée, et les chasseurs seront plus à même de les identifier.

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    À l’instar des réintroductions prévues cet hiver, celles à venir auront lieu en dehors de la saison végétative, période à laquelle il devrait y avoir moins de circulation près des fermes avoisinantes et sur la Route 64, empruntée par les nombreux vacanciers qui voyagent vers les Outer Banks. En partenariat avec le ministère des transports de Caroline du Nord, le FWS a acquis quatre panneaux de signalisation digitaux amovibles pouvant être disposés à différents endroits pour inciter les automobilistes à conduire prudemment.

    En novembre, un projet de loi sur les infrastructures de plus de 1 000 milliards d’euros a été adopté par le Sénat américain et signé par le président Joe Biden. Celui-ci prévoit une aide de 310 millions d’euros aux États pour la construction d’écoducs. Il prévoit également une étude d’envergure nationale sur les accidents entre véhicules et animaux et des recommandations pour les éviter. Les écoducs passent au-dessus ou en-dessous de routes actuelles et leur efficacité pour réduire les accidents de la route est démontrée. Mais ils coûtent cher. Les fonds qui viennent d’être alloués vont permettre au ministère des transports de l’État d’en construire sur la Route 64, qui traverse le refuge. Certains ont d’ailleurs déjà été conçus et n’attendent plus que de voir le jour.

     

    RESTER EN VIE

    Un des aspects cruciaux de la protection des loups rouges est de faire comprendre aux habitants que ceux-ci ont toute leur place dans le paysage et qu’ils ne représentent aucune menace pour les humains. 

    Les loups rouges sont protégés légalement par l’Endangered Species Act mais une étude publiée il y a peu dans la revue Biological Conservation montre que le moteur principal de leur extinction se trouve être l’infime présence humaine au sein de leur aire de réintroduction. Bien qu’une majorité d’habitants aient un a priori positif sur la présence de loups rouges près de chez eux, 11 % des chasseurs de la région affirment qu’ils tueraient un loup s’ils en rencontraient un. Le Wildlands Network, entre autres groupes de défense de la cause animale, œuvre depuis des années à faire émerger la vérité au sujet des loups rouges : ils ne sont pas dangereux pour les humains et ne nuisent pas à la faune locale.

    Un loup rouge sauvage dans un champ au point du jour dans le refuge national d’Alligator River, en Caroline du Nord.

    PHOTOGRAPHIE DE Jessica A. Suarez

    Organisations gouvernementales et associations désirent mettre en œuvre conjointement des programmes de sensibilisation (jusqu’ici empêchés par la pandémie). Ceux-ci prendront la forme de sessions d’information virtuelles, de campagnes d’affichage public et publicitaires, mais aussi de subventions aux propriétaires terriens pour qu’ils créent des habitats bénéfiques aux loups rouges, qu’ils en prennent soin, et qu’ils admettent des individus sur leurs terres (programme Prey for the Pack). D’après les déclarations du FWS, près de 400 hectares seraient désormais couvert par le programme Prey for the Pack, et ce ne serait qu’un début.

    Le FWS a récemment mis sur pied une équipe de spécialistes afin de revoir le plan de reconstitution des populations de loups sauvages. Ce plan compte sur davantage de réintroductions mais aussi sur la découverte, ailleurs que dans l’est de la Caroline du Nord, de nouvelles terres faisant partie de leur aire de répartition naturelle.

    Le FWS affirme aussi se réengager à capturer et à stériliser les coyotes pour permettre aux loups rouges de conserver leur territoire et d’éviter l’hybridation. C’est une mesure qui a fait ses preuves mais qui avait été abandonnée ces dernières années.

    En un sens, la reconstitution de ces populations de loups rouges « repart de zéro », car les individus qui avaient réapparu sont à nouveau au bord de l’extinction. Mais biologistes et experts ont malgré tout appris énormément de choses ces trente dernières années et savent ce qui doit être mis en œuvre pour que l’espèce se maintienne.

    En dépit des faux pas, des contretemps, et des défis inévitables qui se profilent à l’horizon, Regina Mossotti trouve inspirant le fait de voir que tant de personnes « œuvrent à la réintroduction d’une espèce dans son aire de répartition naturelle […] et trouvent de nouvelles raisons d’espérer. »

    Jessica Suarez est exploratrice National Geographic, photographe et réalisatrice spécialiste de la cause animale. Elle vit à Atlanta, en Géorgie. Retrouvez-la sur Instagram. La National Geographic Society, qui s’engage à mettre en lumière et à protéger les merveilles de notre monde, a financé son travail. Pour en savoir plus sur le soutien apporté par la Society aux explorateurs, cliquez ici.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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