Le pika, adorable cousin du lapin, est victime du changement climatique

Chaque été, les bénévoles de la « Pika Patrol » parcourent les Rocheuses pour aider ce petit animal menacé par le changement climatique.

De Amanda Mascarelli
Photographies de Kristi Odom
Publication 1 sept. 2021, 09:30 CEST, Mise à jour 6 oct. 2021, 11:51 CEST
Dans le parc national des montagnes Rocheuses du Colorado, aux États-Unis, un pika se réfugie dans ...

Dans le parc national des montagnes Rocheuses du Colorado, aux États-Unis, un pika se réfugie dans une tanière rocheuse pour échapper à la chaleur du soleil. Parfaitement capables de survivre aux hivers à haute altitude, les pikas sont particulièrement vulnérables aux étés de plus en plus chauds. Le Colorado Pika Project vise à collecter le maximum de données afin de mieux protéger cette espèce native adorée.

PHOTOGRAPHIE DE Kristi Odom

Si je vous dis espèce iconique des États-Unis, le pika d’Amérique ne vous vient pas tout de suite à l’esprit. Pourtant, ce charismatique cousin du lapin à l’apparence d’une pomme de terre Russet poilue surmontée d’oreilles de Mickey et à la queue cachée fait partie intégrante des paysages de haute montagne de l’Ouest américain. Ces minuscules créatures sont souvent aperçues par les randonneurs au-delà de la limite des arbres, filant à toute vitesse autour des astragales, ces pentes de débris rocheux. Et si elles ne se montrent pas, leurs cris aigus trahissent souvent leur présence.

« Ils ressemblent à de petites ravioles, mais ce sont en réalité des animaux très travailleurs », confie Alex Wells, coordinateur scientifique communautaire au zoo de Denver et co-directeur du Colorado Pika Project, un partenariat entre le zoo et l’organisation à but non lucratif Rocky Mountain Wild basée à Denver. Ce projet a pour mission de récolter des informations clés sur les pikas et leur habitat afin de mieux comprendre la menace que représente le changement climatique pour la survie de certaines populations de ces animaux. Parfaitement adaptés à la vie autour des astragales d’un point de vue physiologique, les pikas sont particulièrement vulnérables aux effets du réchauffement climatique, au point de servir d’indicateurs quant à l’avancée de ce phénomène.

L’inscription des pikas à la liste des espèces menacées bénéficiant d’une protection fédérale a été envisagée en 2010. Le Fish and Wildlife Service a finalement refusé, en partie à cause d’un manque de données sur ces animaux dans l’intégralité de leur aire de répartition. « Nous essayons de remédier à cela dans les Rocheuses du sud, pour le Colorado », fait savoir Alex Wells.

Pour ce faire, le Colorado Pika Project s’appuie sur un nombre croissant de bénévoles qui forment la « Pika Patrol » et aident aux relevés et à la collecte de données sur les pikas tout au long de l’été. Cette saison, plus de 400 bénévoles se sont aventurés dans 72 sites situés en altitude dans les Rocheuses, dans le Colorado. Après une journée de formation aux méthodes complexes de relevé, les patrouilleurs se rendent sur le terrain au moins une fois par été lors de randonnées faciles à modérées ou de boucles de 27 km dans l’arrière-pays.

Les pikas d’Amérique vivent principalement en haute montagne, jusqu’à 4 300 mètres d’altitude. Parfaitement adaptés à leur environnement, ils sont affectés par le moindre changement climatique.

PHOTOGRAPHIE DE Kristi Odom

L’été, les pikas font des allers-retours entre leurs tanières rocheuses et les prairies alentour pour ramasser l’herbe dont ils se sustenteront tout l’hiver.

PHOTOGRAPHIE DE Kristi Odom

Selon Chris Ray, avoir des paires d’oreilles et d’yeux supplémentaires sur le terrain à divers endroits et à différentes périodes permet d’obtenir des informations précieuses sur les pikas, leur mode de vie et leur comportement. Cette biologiste des populations à l’université du Colorado est la conseillère scientifique du Colorado Pika Project, anciennement connu sous le nom de Front Range Pika Project, depuis son lancement en 2010. De juillet à septembre, elle passe jusqu’à 20 jours par mois à étudier les pikas dans des sites reculés des Rocheuses du Colorado et du Montana. Cela fait 33 ans que Chris Ray se rend chaque été dans un site étudié du Montana, situé au nord du parc national de Yellowstone, où vivent les petits mammifères.

« Je n’ai que deux yeux. Mais nous avons une armée de personnes qui observe et qui voit des choses formidables que je n’ai jamais vues auparavant », raconte-t-elle.

 

INDICATEURS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Les pikas vivent principalement en haute montagne, jusqu’à 4 300 mètres d’altitude. On les trouve également à plus basse altitude, là où les étés sont suffisamment frais et les hivers suffisamment chauds. Ces cousins du lapin n’hibernent pas l’hiver, mais s’abritent sous des débris rocheux et comptent sur l’isolation offerte par l’épais manteau neigeux pour stabiliser et maintenir au chaud leurs tanières.

C’est dans les années 2000 que les chercheurs ont remarqué pour la première fois un déclin des populations de pikas à plus basse altitude, notamment dans le Nevada et les États voisins, régions les plus arides de l’Ouest du pays.

Ce phénomène laissait penser que certains habitats des pikas devenaient de plus en plus hostiles en raison de la hausse des températures. Les chercheurs ont également relevé des extinctions locales dans des sites où les étés sont relativement chauds et la neige peu abondante en hiver, changement climatique ou pas.

Bien que les pikas soient encore nombreux dans le paysage du Colorado, les chercheurs ont noté des niveaux de stress plus élevés, un taux de survie plus faible et une baisse des mouvements des pikas entre les populations des zones où le climat se réchauffe et le pergélisol a fondu. Selon une étude menée pendant cinq ans par le service du parc national et trois universités et publiée en 2015, les pikas pourraient avoir disparu du parc national des montagnes Rocheuses d’ici 2100 en raison de conditions inadaptées à leur survie.

Ce qui inquiète le plus Chris Ray est la réduction du manteau neigeux l’hiver. Au cours des dernières décennies, les hivers plus courts et les chutes de neige moins importantes dans l’Ouest du pays ont favorisé la fonte précoce du manteau neigeux au printemps, ce qui réduit la couverture de neige isolante dont dépendent les pikas. Ce phénomène peut exposer les animaux aux températures froides du printemps alors même que leurs réserves de nourriture sont épuisées et que leurs progénitures, de la taille d’une noix, sont encore petites et vulnérables.

« Ils ont besoin de la couverture neigeuse pour rester au chaud, souligne la biologiste. Le pika a besoin d’une température située entre zéro et -5°C en hiver. En deçà, ils ont du mal à passer l’hiver, car ils n’absorbent pas assez de calories pour se réchauffer. »

Le microclimat qui existe sous les roches joue également un rôle important dans la survie des pikas l’été venu, puisqu’il leur permet de rester au frais. « [Les pikas] sont physiologiquement sensibles aux températures élevées l’été, bien plus que d’autres espèces, souligne Megan Mueller, biologiste principale de la conservation pour Rocky Mountain Wild. Nous nous attendons donc à ce que les pikas soient la première espèce [endémique des États-Unis] impactée par le changement climatique ».

Des chercheurs utilisent une chambre anesthésiante pour endormir un pika avant de le mesurer.

PHOTOGRAPHIE DE Kristi Odom

Le microclimat frais dont les pikas dépendent est le même que celui qui préserve la glace, celle qui fond à la fin de l’été et s’écoule dans les ruisseaux et les réservoirs pour approvisionner en eau des millions de personnes. « Je pense que là où les pikas disparaissent, la glace souterraine disparaît aussi. [Les pikas] sont en quelque sorte une espèce indicatrice de la santé de notre bassin versant ouest », explique Chris Ray.

PHOTOGRAPHIE DE Kristi Odom

Pour se préparer à l’hiver, les pikas passent l’été à faire des razzias dans les prairies adjacentes aux astragales. Ils ramassent des bouchées d’herbe, de fleurs sauvages et de chardon qu’ils accumulent afin d’avoir à manger tout l’hiver. Selon une étude, chaque pika réalise en moyenne 13 000 cueillettes et récolte près de 21 kg de nourriture chaque été. « Cette pile de foin est vraiment une ressource cruciale », souligne Megan Mueller, qui ajoute que la plupart des gazouillis et cris caractéristiques des pikas sont de nature territoriale. « [Ils] signalent simplement leur présence au voisin et l’informent qu’ils veillent sur leur pile de foin ».

 

IL N’EST PAS (ENCORE) TROP TARD

Les chercheurs du Colorado Pika Project espèrent que les efforts de suivi de la « Pika Patrol » contribueront à dresser au cours des trois à cinq prochaines années un tableau plus complet de la survie des pikas au sein de leur aire de répartition tout entière. Des bénévoles s’investissent également auprès du parc national des montagnes Rocheuses et de la forêt nationale de White River avec l’espoir que les données qu’ils collectent serviront à la protection des pikas sur les terres publiques, et à la protection des écosystèmes alpins de manière générale. « Il est beaucoup plus facile d’aider une espèce au début de son déclin que lorsqu’elle est mal en point », indique Alex Wells.

Joe Pausback et son fils Henry, originaires de Littleton au Colorado, font partie de la « Pika Patrol ». S’investir dans ce projet a donné un sens à leurs randonnées en haute montagne. Le duo, qui participe au projet de suivi des pikas depuis trois étés, a collecté des données sur cinq sites différents.

Élève de seconde, Henry, 15 ans, confie s’être engagé bénévolement pour combattre la désinformation qui entoure le changement climatique. « Lorsque vous regardez cet animal si mignon et que vous constatez qu’il est affecté par les activités humaines, le problème devient plus réel aux yeux des gens », déclare-t-il. « C’est ce qui m’a attiré. J’ai le sentiment que je fais une petite différence, aussi infime soit-elle ».

Chris Ray relâche un pika désormais identifié à proximité de sa pile de foin. L’animal pourra ainsi continuer à se préparer pour l’hiver, qu’il passera dans sa tanière sous les roches, protégée par un manteau de neige isolant.

PHOTOGRAPHIE DE Kristi Odom

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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