Le réchauffement climatique risque de faire rétrécir les poissons

Selon une nouvelle étude, la hausse de la température de la mer pourrait rendre les poissons plus petits.

De Craig Welch
Un banc de gorettes bleues (Haemulon sciurus) cherche refuge.
Un banc de gorettes bleues (Haemulon sciurus) cherche refuge.
PHOTOGRAPHIE DE Brian J. Skerry, National Geographic Creative

D'après une étude récente, la hausse des températures et le manque d'oxygène des océans provoqueront le rétrécissement de centaines d'espèces de poissons (allant des thons aux badèches gueule jaune, en passant par les saumons, les requins-renards, les aiglefins et les morues). Ce phénomène aurait une ampleur plus importante encore que ce que l'on pensait.

Le réchauffement des océans accélérant leur métabolisme, les poissons, calmars et autres organismes à respiration aquatique auront besoin de puiser davantage d'oxygène dans l'eau. Or, la montée de ces températures réduit déjà les quantités d'oxygène dans de nombreuses régions aquatiques.

Selon deux scientifiques de l'université de Colombie-Britannique, le corps des poissons grandissant plus rapidement que leurs branchies, les animaux finiront par ne plus avoir suffisamment d'oxygène nécessaire à leur croissance normale.

« Nous avons découvert que la taille du corps des poissons diminue de 20 à 30 % par degré supplémentaire dans la température de l'eau », explique William Cheung, auteur de l'étude et directeur du département des sciences pour le programme Nereus de l'organisation Nippon Foundation.

D'après les scientifiques, ces changements auront un impact majeur sur de nombreux réseaux trophiques marins et bouleverseront les relations prédateurs-proies de manière imprévisible.

« Les expériences menées en laboratoire ont démontré que les grandes espèces sont toujours les premières stressées », déclare Daniel Pauly, auteur principal, professeur à l'Institute for the Ocean and Fisheries de l'université et chercheur principal pour l'organisation Sea Around Us. « Les espèces de petite taille ont un avantage, leurs besoins respiratoires sont moindres. »

Si de nombreux scientifiques saluent cette découverte, tous ne sont pas d'accord pour dire que le travail de Pauly et de Cheung appuie ces résultats spectaculaires. L'étude a été publiée cette semaine dans la revue Global Change Biology.

Daniel Pauly est surtout connu pour ses études mondiales et parfois controversées sur la surpêche. Depuis sa thèse dans les années 1970, il a mené des recherches et soutenu que la taille des poissons était conditionnée à la capacité de croissance de leurs branchies. Sur la base de cette théorie, lui, William Cheung et d'autres auteurs ont publié en 2013 des recherches selon lesquelles le poids moyen d'environ 600 espèces de poissons des océans pourrait diminuer de 14 à 24 % d'ici à 2050 en raison du changement climatique.

« C'est un concept difficile à appréhender pour nous humains, puisque nous respirons de l'air », reconnaît Daniel Pauly. « Notre souci consiste à avoir suffisamment de nourriture, nous ne nous posons pas la question de l'oxygène. Pour les poissons, c'est une toute autre histoire. Pour les humains, cela reviendrait à essayer de respirer dans une paille. »

D'autres scientifiques ont également établi un lien de corrélation entre l'oxygène et les tailles de poissons plus petits. Dans la mer du Nord, par exemple, l'aiglefin, le merlan, le hareng et la sole ont d'ores et déjà vu leur taille diminuer dans les régions de la mer où l'oxygène est plus rare.

Pourtant, les résultats de l'étude de 2013 de Pauly et Cheung ont été taxés de simplistes à certains égards. Plus tôt cette année, un groupe de physiologistes européens a souligné la faillibilité du postulat de départ de Pauly au sujet de la taille des branchies.

Les deux scientifiques ont donc eu recours à des modèles plus sophistiqués et ont repensé leur théorie.

L'équipe de recherche a redoublé d'efforts sur ce nouvel article, qui approfondit la théorie relative aux branchies, laquelle peut et devrait servir de ligne directrice. Selon cette nouvelle étude, les conclusions initiales avaient en réalité sous-estimé l'ampleur du problème auquel seront bientôt confrontés les poissons.

D'après l'ancien article, la taille de certaines espèces, comme le thon par exemple, pourrait être moins impactée par le réchauffement climatique. Or, la nouvelle étude indique que ces nageurs rapides en perpétuel mouvement, qui consomment d'ores et déjà des quantités importantes d'oxygène, seraient plus affectés que d'autres poissons.

En effet, certaines zones tropicales de l'Atlantique présente des taux d'oxygène très faibles en pleine mer. D'autres études ont révélé que les thons changeaient d'habitat afin d'éviter ces eaux de mauvaise qualité.

« La répartition des thons correspond aux limites de ces zones pauvres en oxygène », déclare William Cheung.

Plusieurs experts ont trouvé la théorie des branchies et les nouveaux travaux de Pauly et Cheung plus convaincants.

Pour Jeppe Kolding, professeur de biologie à l'université de Bergen, en Norvège, qui mène des études sur les poissons en Afrique, la théorie des branchies de Pauly est la seule explication au rétrécissement des tilapias, guppys et sortes de sardines qu'il a observé dans le Nil de Zambie et dans le lac Victoria. « Cela expliquerait le phénomène que j'ai constaté en Afrique », admet-il.

Nick Dulvy, biologiste marin de l'université Simon Fraser, indique que ses propres recherches « tendent à confirmer » les idées de Pauly. « C'est inéluctable : à mesure que les poissons grossiront, ils finiront par atteindre un stade où la quantité d'oxygène ne correspondra plus aux besoins de leur métabolisme. »

Selon Hans-Otto Poertner, spécialiste en physiologie des animaux marins à l'université de Brême et à l'Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine, en Allemagne, le travail de Pauly ne tient pas compte de l'éventuelle adaptation des poissons à l'évolution des conditions océaniques. Cependant, il reconnaît que les auteurs se montrent convaincants lorsqu'ils soutiennent que l'oxygène impactera la sensibilité des poissons aux températures et limitera la taille de leur corps.

Toutefois, Sjannie Lefevre, l'une des anciennes détracteurs de Pauly, physiologiste à l'université d'Oslo, en Norvège, et auteure principale d'une critique publiée plus tôt cette année au sein du même journal, considère toujours la théorie des branchies de Pauly comme insuffisante.

« Je ne suis absolument pas impressionnée ou convaincue par cette tentative de réfuter nos arguments », affirme-t-elle, ajoutant que ces résultats ne lui semblent « d'aucune manière plus fiables ».

Selon elle, les branchies des poissons sont tout à fait en mesure de se développer. « Il n'existe aucune contrainte empêchant les branchies de grossir simultanément avec corps d'un poisson », explique-t-elle.

L'avis de la physiologiste et celui d'Hans-Otto Poertner divergent complètement. Elle espère qu'écologistes et modélistes feront preuve « d'ouverture et de prudence » avant de prendre ces théories consensuelles pour argent comptant.

Hans-Otto Poertner, quant à lui, soutient que les travaux de Pauly et de Cheung constituent un excellent exemple de la façon dont ces théories devraient être appliquées.

Pour lui, cette nouvelle recherche démontre la façon dont « l'utilisation prudente d'un principe général au travers de nombreuses observations menées sur plusieurs espèces peut confirmer des connaissances difficiles à obtenir d'une autre manière ».

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