Les éléphants de ce zoo itinérant ont souffert pendant des années avant de mourir

Selon les défenseurs de la cause animale, le cadre juridique fragile et l’application trop clémente des lois en vigueur perpétuent le mal-être des animaux des ménageries itinérantes.

De Rachel Fobar
Publication 16 juil. 2021, 11:23 CEST
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Minnie est le dernier éléphant restant du zoo Commerford, une ménagerie itinérante. Les deux autres éléphants du zoo, Karen et Beulah, sont morts en 2019 après une longue maladie.

PHOTOGRAPHIE DE Gigi Glendinning

Karen et Beulah, deux éléphants du zoo Commerford, ménagerie itinérante originaire du Connecticut, ont enduré plusieurs années de souffrance avant de mourir en 2019. Cette découverte, on la doit à des archives tout juste publiées par le Département de l’Agriculture des États-Unis (USDA), organisme gouvernemental chargé de faire appliquer l’Animal Welfare Act, série de lois sur le bien-être animal. Elles révèlent que les deux éléphants ont été forcés à voyager sans arrêt et à faire faire des balades à des enfants, et ce alors même qu’ils étaient malades. Selon les défenseurs de la cause animale ces dossiers mettent au jour des problèmes fondamentaux dans la régulation des entreprises de ce type aux États-Unis.

Fondé dans les années 1970 par Bob Commerford, ce zoo du Connecticut traverse le nord-est du pays avec des éléphants et d’autres animaux exotiques comme des chameaux, des lémurs catta, un kangourou et un zèbre.

Selon Ben Williamson, directeur stratégique de l’association World Animal Protection U.S., environ 70 éléphants vivent en captivité dans les 3 000 zoos itinérants que compte le pays. Ces ménageries ont l’autorisation de l’USDA d’exposer des animaux, mais aucune n’est accréditée par l’Association des zoos et aquariums, qui impose des standards de bien-être et de soins plus stricts, et dont dépendent 241 institutions à travers les États-Unis. « La négligence des éléphants [en captivité] est monnaie courante », concède-t-il.

Les animaux qui font partie de spectacles itinérants, comme les éléphants de Commerford, sont en partie protégés par l’Animal Welfare Act. Cette loi impose des « soins vétérinaires adéquats » et un transport dans des conditions humainement acceptables, mais ne dit pas qu’il est interdit de transporter des animaux malades ou de les utiliser pour des représentations.

D’après les archives de l’USDA, Karen, un éléphant africain de 38 ans acheté par le zoo en 1984, est morte d’une maladie des reins en mars 2019. Son suivi indique qu’elle souffrait de problèmes rénaux depuis 2017. Beulah, éléphant d’Asie cinquantenaire, qui depuis 1973 servait à faire des balades, des photos et à donner des représentations avec le zoo, s’est effondrée et est morte d’un empoisonnement du sang dû à une infection utérine lors d’une foire dans le Massachussetts en septembre 2019. Les archives indiquent que cela faisait dix ans qu’elle souffrait d’infections utérines et qu’on soupçonnait la présence de tumeurs dans son corps.

Immersion dans l'univers cruel du tourisme animalier.

Selon une plainte anonyme déposée auprès de l’USDA, Beulah s’est effondrée trois fois le jour de sa mort et à chaque fois on l’a forcée à se relever. Les dépositions consignées montrent que le zoo a affirmé qu’elle s’était effondrée deux fois et que personne ne l’avait forcée à se relever. Une personne présente à la foire a photographié Beulah peu avant sa mort, allongée sur un lopin de gazon au niveau du parking. Le zoo maintient que ce n’était pas un comportement inhabituel chez elle.

Le zoo Commerford s’est refusé à tout commentaire. Lors d’un entretien donné en 2017 à la presse régionale, le propriétaire du zoo, Tim Commerford, affirmait : « J’ai grandi avec [les éléphants] toute ma vie. C’est ma famille. Les défenseurs des animaux peuvent dire ce qu’ils veulent, mais ils font partie de la famille. » Selon lui, les éléphants étaient en « parfaite santé » et étaient régulièrement suivis par des vétérinaires.

Courtney Fern n’en démord pas : il est « choquant » que Karen et Beulah aient été forcées à travailler alors qu’elles étaient souffrantes et que l’USDA et Commerford étaient au courant de leur maladie, affirme celle qui supervise les campagnes et les relations avec le gouvernement pour le Nonhuman Rights Projects (NhRP), organisation de défense des droits des animaux qui a pu avoir accès aux archives de l’USDA en juin. Le NhRP a commencé ses activités en 2017 et a vainement plaidé sa cause au tribunal pour que le zoo transfère Beulah, Karen et Minnie, un troisième éléphant âgé de 49 ans toujours en vie, dans un sanctuaire.

Elle fait remarquer que lors de ses dernières représentations, Karen hochait la tête et chancelait (des signaux alarmants) quand les enfants montaient sur son dos. « Rien n’a été fait pour empêcher que [les éléphants] soient emmenés dans des foires et forcés à prendre part des activités dont on sait les souffrances qu’elles engendrent », indique-t-elle.

Pour Christopher Berry, avocat principal de l’Animal Legal Defend Fund, fondation qui plaide pour la cause animale, les zoos itinérants ne sont pas assez surveillés. L’USDA « s’est endormie au volant pour ce qui est de réguler ces ménageries », assène-t-il.

L’USDA a non seulement le pouvoir de dresser des procès-verbaux mais aussi de suspendre ou d’annuler le permis d’exposer des animaux d’un zoo. L’organisme gouvernemental a notifié Commerford plus de cinquante fois pour des violations de l’Animal Welfare Act, et notamment pour absence de personnel lorsque les éléphants étaient en contact avec le public, pour soins vétérinaires inadaptés, mais aussi pour accumulation de foin gâté, mauvaise évacuation des enclos, et présence d’excréments derrière la grange des éléphants, selon le NhRP et la PETA. Vingt-cinq inspections inopinées ont été effectuées depuis 2014, selon le porte-parole de l’USDA, Andre Bell. « Les inspecteurs ont suivi l’état de santé de Beulah et Karen pour s’assurer qu’elles recevaient des soins vétérinaires adaptés », nous a-t-il dit par e-mail.

En 2019, le sénateur démocrate du Connecticut Richard Blumenthal a écrit une lettre à Sonny Perdue, alors secrétaire de l’USDA, pour exiger une explication quant aux décès de Beulah et Karen, pour savoir si leur mort aurait pu être évitée, et afin de savoir comment le zoo Commerford a pu enchaîner les inspections sans se faire épingler après « la mort prématurée » des éléphants.

« Les détenteurs du permis doivent se plier aux exigences de [l’Animal Welfare Act] et prodiguer des soins vétérinaires adéquats à leurs animaux », a réagi Sonny Perdue au mois de janvier 2020. « Le zoo Commerford a fourni des documents prouvant que Karen et Beulah étaient suivies par des vétérinaires au moment de leur mort et que les soins prodigués étaient adaptés. »

Selon Christopher Berry, les organismes agissant pour le compte des États et des comtés parviennent souvent à mieux protéger les éléphants que l’Animal Welfare Act, car les lois prévenant la cruauté contre les animaux sont plus fortes au niveau local qu’au niveau fédéral. En 2017, l’inspection animalière du comté de Lawrence, dans l’État d’Alabama, a découvert un éléphant du nom de Nosey, enchaîné et se tenant dans ses propres excréments, sans nourriture ni eau, lors d’un spectacle. La Great American Family, cirque originaire d’Orlando, avait obtenu un permis de l’USDA il y a des années de cela, bien que Nosey souffrît alors d’une maladie de peau, ce qui la rendait sujette à des infections douloureuses, et qu’elle fût à maintes reprises exposée à la tuberculose. Après l’intervention de représentants locaux, l’USDA a fini par annuler le permis du propriétaire du cirque, et Nosey a fini par être transférée dans un sanctuaire pour éléphant dans le Tennessee.

 

DES SANCTIONS MINEURES

Christopher Berry explique que bien que l’Animal Welfare Act exige un suivi vétérinaire, la loi ne comporte que de vagues recommandations, et les inspecteurs de l’USDA finissent souvent par se soumettre aux propriétaires et aux vétérinaires des zoos. Quand l’un d’entre eux transgresse la loi, « les conséquences financières sont infimes », dit-il. Ce n’est qu’une fois que de multiples manquements ont été avérés que l’USDA est susceptible d’émettre une mise en garde ou d’imposer une amende modeste, généralement comprise entre 1 500 à et 12 500 euros.

« Généralement, [l’USDA] n’impose que de très faibles amendes après des années d’enfreintes flagrantes de l’Animal Welfare Act », poursuit-t-il. Un zoo peut très bien estimer qu’il est plus profitable d’attendre de recevoir une amende et de la payer, « que de payer tout de suite un suivi vétérinaire, de financer l’amélioration de ses infrastructures et ainsi de suite pour que l’animal bénéficie d’un suivi adéquat. »

« Les lois ne valent que si elles sont correctement appliquées », affirme Ben Williamson. Un zoo ayant reçu plusieurs avertissements de l’USDA devrait s’attendre à voir son permis annulé, mais l’organisme va rarement jusque-là, révèle-t-il.

« On ne devrait pas avoir besoin d’un docu-série sur Netflix pour faire annuler les permis de ceux qui infligent de mauvais traitements aux animaux », ajoute-t-il, faisant référence au cas de Jeff Lowe et de Tim Stark, qui n’ont perdu leur permis qu’après que l’émission a mis en évidence des problèmes de bien-être animal et que des défenseurs des animaux ont fait pression.

Ben Williamson soutient l’Animal Welfare Enforcement Improvement Act, qui vient d’être présenté au Congrès, rendrait obligatoire des inspections à l’improviste avant que les permis ne soient renouvelés et ne permettrait pas le renouvellement d’un permis si un zoo s’est vu notifier plus d’une fois un non-respect des règles.

Les circonstances dans lesquelles l’USDA rend son verdict concernant l’annulation d’un permis font partie « d’un processus de délibération » et sont donc confidentielles, selon le porte-parole de l’organisme. « En général, [l’organisme] s’intéresse à la gravité des violations qui ont eu lieu, à la façon dont le zoo a respecté les règles, à la taille de l’entreprise, et à sa bonne foi en matière de respect de la loi. » Andre Bell s’est refusé à tout commentaire concernant la décision de l’USDA quant à l’annulation ou non du permis du zoo de Commerford.

 

LE DERNIER ÉLÉPHANT DU ZOO

Minnie, dernier éléphant vivant du zoo, « languit » seule depuis sa dernière apparition publique au mois de juillet 2019, d’après Courtney Fern du NhRP. Le NhRP a obtenu des images par drone des écuries et des enclos extérieurs du quartier général du zoo dans le Connecticut qui lui font dire que Minnie passe le plus clair de son temps dans un box en béton. Dans des dépositions précédentes, le zoo avait pourtant décrit un « terrain de plus de deux hectares » dans lequel Minnie pouvait profiter de sa retraite.

Les raisons pour lesquelles elle n’apparaît plus en public demeurent obscures, mais Courtney Fern indique que cela pourrait être dû au fait que les spectateurs réprouvent l’exploitation des éléphants, surtout après la mort de Beulah et Karen. Minnie est également connue pour les blessures qu’elle inflige à ses dresseurs ; selon des extraits de presse réunis par la PETA, elle aurait attaqué des employés à quatre reprises au moins.

On ne connaît pas bien non plus l’état de santé actuel de Minnie. L’été dernier, les parents de ses anciens propriétaires, Earl et Elizabeth Hammond, ont lancé un financement participatif GoFundMe de 2 millions d’euros au nom du zoo Commerford pour financer sa nourriture et ses soins. « La COVID-19 a appauvri la ferme qui la nourrit », peut-on lire sur la page, et Minnie « en a directement fait les frais. » La campagne n’a permis de récolter jusqu’ici que 1 987 euros.

D’après les informations d’Andre Bell, l’USDA ne peut pas confisquer Minnie pour la simple raison que le zoo traverse des difficultés financières. « Le pouvoir de mise sous séquestre octroyé par [l’Animal Welfare Act] se limite aux animaux se trouvant dans des états de souffrance absolus. Présentement, Minnie ne souffre pas », a-t-il écrit.

Courntey Fern ne voit pas les choses du même œil. « Plus les éléments filtrent sur sa situation, plus il est évident qu’il faut lui trouver un sanctuaire », déclare-t-elle. Selon elle, le NhRP a proposé d’arranger et de payer le transfert de Minnie dans un sanctuaire mais ces propositions demeurent sans réponse.

« Minnie mérite qu’on la libère […] Toute sa vie, ils l’ont exploitée pour de l’argent, déplore-t-elle. S’ils en avaient vraiment quelque chose à faire de son sort comme ils le disent, ils devraient la transférer dans un sanctuaire où elle pourrait vivre le plus librement du monde avec d’autres éléphants, et ce aussi longtemps qu’il lui reste à vivre. »

Wildlife Watch est un projet d’articles d’investigation commun à la National Geographic Society et à National Geographic Partners. Ce projet s’intéresse à l’exploitation et à la criminalité liées aux espèces sauvages. Retrouvez d’autres articles de Wildlife Watch à cette adresse et découvrez les missions à but non lucratif de la National Geographic Society ici. N’hésitez pas à nous soumettre vos conseils et vos idées d’articles et à nous faire part de vos impressions à l’adresse NGP.WildlifeWatch@natgeo.com.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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