Les loups rouges vont-ils bientôt disparaître ?

Le gouvernement américain souhaite autoriser les propriétaires terriens à tuer les loups rouges qui vivent sur leurs terres. Les spécialistes de la faune s'opposent fermement à cette proposition.

De Erik Vance
Il ne reste plus que 35 loups rouges à l'état sauvage dans le monde.
Il ne reste plus que 35 loups rouges à l'état sauvage dans le monde.
PHOTOGRAPHIE DE Robbie George

Alors que son territoire s'étendait autrefois du Texas jusqu'à New York, le loup rouge n'est désormais présent que dans une péninsule de l'est de la Caroline du nord. Il ne reste aujourd'hui plus que 35 loups rouges à l'état sauvage. Le 27 juin dernier, le U.S Fish and Wildlife Service a proposé d'autoriser l'abattage de ces loups par les propriétaires terriens si les canidés venaient à quitter les confins du Refuge faunique national d'Alligator River, la petite zone protégée où ils vivent.

Une proposition qui s'est attirée les foudres des spécialistes de la faune. L'agence gouvernementale a décidé de « tirer un trait sur l'espèce », a confié Michael Chamberlain, biologiste à l'Université de Géorgie, qui étudie les loups rouges depuis plus de dix ans.

Victimes de la chasse et de la pose de pièges pendant des centaines d'années, le nombre de loups rouges dans l'est des États-Unis est descendu en flèche. L'espèce finit par être déclarée éteinte à l'état sauvage en 1980. Sept ans plus tard, quelques loups rouges sont relâchés dans la nature grâce au programme de réintroduction expérimental mené dans le refuge d'Alligator River, non loin du lieu où les frères Wright ont essayé leurs premiers avions.

La réintroduction des animaux s'est faite lentement et quelques loups ont été tués par les chasseurs et propriétaires terriens locaux. Nombreux sont les habitants à s'opposer au retour des loups rouges. Ces animaux ressemblent aux coyotes, eux-mêmes souvent chassés. Les loups rouges se sont reproduits avec les coyotes, donnant ainsi naissance à des hybrides qui ont affaibli le patrimoine génétique de l'espèce.

Au début du 21e siècle, on dénombrait 150 loups rouges à l'état sauvage, soit plus du double d'individus nécessaires à une population durable selon les estimations du Fish and Wildlife Service. Pour beaucoup, le succès de la réintroduction des loups rouges devait servir d'exemple pour la création de programmes similaires pour les loups gris au Wyoming et en Arizona.

L'augmentation de la population de ces canidés avait été attribuée à la stérilisation des coyotes et aux moyens légaux de dissuasion, même s'ils sont rarement appliqués : l'abattage d'un loup peut conduire à une amende de 100 000$ et jusqu'à un an de prison.

« La réintroduction du loup rouge est le premier succès de réintroduction de loups en Amérique du nord », a déclaré Michael Chamberlain. « C'est une honte, à bien des égards, de voir où nous en sommes aujourd'hui ».

 

UN LOUP TRÈS RARE

Vers 2006, le nombre de loups a commencé à diminuer. Par rapport à la décennie antérieure, le taux de mortalité a été multiplié par quatre et les locaux ont commencé à se plaindre des canidés, qui chassaient les cervidés sur des terres privées. Après plusieurs procès, le Fish and Wildlife Service a mis un terme à la stérilisation des coyotes et à la réintroduction de louveteaux dans les tanières situées à l'extérieur du refuge national. L'agence gouvernementale a aussi commencé à distribuer en nombre limité des permis de prélèvement aux personnes qui souhaitaient tuer les coyotes ou les loups présents sur leurs terres.

Ces permis ont pu être attribués car les loups rouges ne sont pas considérés comme une espèce menacée : ils ont été réintroduits et ils sont une population dite « expérimentale ». 500 personnes ont demandé ce permis, mais le Fish and Wildlife Service souligne que seules deux autorisations ont été distribuées et qu'un seul loup a été tué, une femelle qui allaitait.

Les 35 loups rouges à l'état sauvage (200 autres individus sont en captivité) vivent sur un territoire peu peuplé. Certains individus parcourent des distances plus importantes. Si la proposition faite par le Fish and Wildlife Service la semaine dernière était acceptée, le territoire des loups serait réduit, pour atteindre la taille de la ville de Chicago.

Seule une dizaine de loups vit dans le refuge d'Alligator River. L'agence gouvernementale prévoit de concentrer ses efforts pour que cette population conserve sa diversité génétique ainsi que ses comportements sauvages. Le reste des loups rouges sauvages vivent en dehors du refuge, ce qui signifie qu'en cas d'adoption de la proposition, ils perdraient la protection dont ils jouissent actuellement et pourraient être abattus en toute légalité. Le Fish and Wildlife Service a indiqué vouloir réintroduire des loups ailleurs, sans toutefois préciser où.

Les loups d'Abyssinie

« Nous faisons un retour en arrière en 1986, lorsque nous avions des terres que nous contrôlions totalement. À l'heure actuelle, nous n'avons accès à aucune terre privée », a souligné Leopoldo Miranda, directeur général adjoint aux services écologiques pour le Fish and Wildlife Service. « Nous regroupons la population et essayons de gagner le contrôle sur cette dernière sur les terres que nous contrôlons vraiment ».

En tout cas, la proposition s'est attirée les foudres de nombreuses personnes. « S'ils n'y arrivent pas en Caroline du Nord, pourquoi y arriveraient-ils ailleurs ? », confie Joseph Hinton, chercheur à l'Université de Géorgie qui a travaillé aux côtés de Michael Chamberlain. « Ils pensent vraiment que ce loup s'en sortira mieux dans l'est du Texas, dans le Mississippi, en Géorgie et en Alabama ? »

Pour Joseph Hinton, le Fish and Wildlife Service a reculé sous la pression politique, ce qui constitue un mauvais précédent. Leopoldo Miranda ajoute qu'il n'est pas possible de contrôler une population d'animaux sans la coopération des habitants. Joseph Hinton et Leopoldo Miranda sont tous deux d'accord pour dire que la méfiance envers le gouvernement fédéral et la priorité donnée aux droits de propriétés privées qu'a récemment connu la région n'a rien à voir avec les loups.

 

L'AVENIR DES LOUPS ROUGES INCERTAIN

Dan Ashe, président et directeur général de l'Association des Zoos et Aquariums et ancien directeur du U.S. Fish and Wildlife Service, a fait part de son désaccord concernant la décision de l'agence. Il a déclaré dans un communiqué que celle-ci « abandonnait les loups rouges sauvages ». Il a ajouté que son organisation « était prête à intervenir et à faire en sorte que la population de loups soit en bonne santé et génétiquement viable ».

Une période de consultation publique a débuté le 28 juin dernier et s'achèvera fin juillet. Si la proposition est acceptée, elle entrera en vigueur en novembre.

L'une des inquiétudes concernant les loups rouges est relative à sa santé génétique. Peu nombreux, ces canidés sont déjà fortement consanguins et leur diversité génétique provient de seulement cinq animaux, même si les loups de cette population étaient à l'origine au nombre de 14. Mais un patrimoine génétique peu important n'est pas forcément synonyme de condamnation pour une espèce. Certains animaux ont développé des mécanismes pour rétablir leur population alors qu'il n'y avait plus que quelques individus.

Les loups du Mexique en sont l'exemple parfait. Alors qu'ils n'étaient plus que sept, ces canidés, qui sont une sous-espèce des loups gris qui vivaient autrefois au Mexique et dans le sud-ouest des États-Unis, ont vu leur population augmenter sans pour autant développer de maladies génétiques.

Comme les loups du Mexique, les loups rouges ne semblent pas souffrir de maladies génétiques et pourraient donc, en théorie, se reproduire avec d'autres populations. La différence entre ces deux espèces de loups concerne l'hybridation. Les loups rouges se sont rapidement reproduits avec les coyotes qui vivaient sur leur ancien territoire. Certaines personnes avancent donc que les loups rouges ne sont qu'un hybride entre le coyote et le loup gris, ce qui suscite un vif débat.

« L'incertitude concernant l'ascendance génétique de ces loups, c'est-à-dire s'il s'agit d'une espèce hybride ou non, et depuis quand existe cette espèce, a mené à des défis politiques et a donné plus d'arguments aux groupes qui s'opposent à la protection du loup rouge », Lisette Waits, généticienne à l'Université d'Idaho qui a étudié le génome du canidé.

Le programme de réintroduction des loups rouges n'est pas parvenu à obtenir une population sauvage stable, à cause de la politique, des chasseurs ou bien de l'hybridation. L'avenir s'annonce d'ailleurs morose pour l'espèce. Si les loups gris se portent très bien au Wyoming et doivent la bonne santé de leur population aux loups rouges, le réconfort est minime pour ceux qui s'étaient investis dans l'établissement d'une population saine.

« Garder une population de loups [saine] sur le territoire du refuge sur le long terme est ridicule », a conclut Michael Chamberlain.

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