L’un des plus gros gastéropodes marins est menacé d’extinction

Prélevée à outrance pendant un siècle pour son gigantesque coquillage, la population de conques-cheval de Floride se trouve désormais dans une situation délicate selon les scientifiques.

De Cynthia Barnett
Publication 8 avr. 2022, 11:30 CEST
Horse Conch 01

Présente le long de la côte sud de l’Atlantique, la conque-cheval est l’un des emblèmes de la Floride (États-Unis). Ce gastéropode marin est également menacé d’extinction, en raison de la destruction de son habitat et de son prélèvement non réglementé pendant des décennies.

PHOTOGRAPHIE DE Michael Patrick O'Neill, BluePlanetArchive

Gastéropodes marins colorés, les conques-cheval habitent dans une coquille gigantesque, symbole de la Floride. Mais, selon une nouvelle étude, elles vivent moins longtemps et se reproduisent plus tardivement que ce que l’on pensait. La population du golfe du Mexique pourrait bien être menacée.

Sur les plages du sud-est des États-Unis, les conques ne passent pas inaperçues avec leur corps rouge-orangé tel un cône de signalisation et leur coquille fusiforme qui peut dépasser les 30 centimètres. Ces dernières étaient autrefois bien plus imposantes : sur les photographies d’archives prises en Floride, on peut voir des touristes traînant des conques-cheval aussi longues que les jambes d’un enfant. De tels spécimens ne sont plus observés de nos jours, et des chercheurs ont souhaité savoir pourquoi.

Pour enquêter sur l’espérance de vie de ces animaux dont la coquille blanc cassé a pu atteindre 60 cm de long par le passé, les scientifiques se sont tournés vers la sclérochronologie, l’équivalent chez les coquillages de la dendrochronologie (l’étude des cernes des arbres). Si la taille passée de ces gastéropodes a poussé certains scientifiques à avancer qu’ils pouvaient vivre au moins 50 ans et que les femelles étaient capables de pondre des centaines de milliers de petites conques sur des décennies, la nouvelle étude démontre que ce n’est pas le cas.

Comprise entre sept et 10 ans, leur « espérance de vie réelle est bien plus courte », annonce Gregory S. Herbert, écologue marin à l’université de Floride du Sud qui a dirigé l’étude parue le 6 avril dans la revue PLOS ONE. En outre, la maturité sexuelle des femelles est tardive. Étant donné que les plus grandes conques-cheval sont aujourd’hui plus petites et plus jeunes que les coquillages étudiés, « les plus grandes femelles à l’état sauvage n’auraient plus que quelques pontes à effectuer, dans le meilleur des cas », avertit l’article. La situation serait donc critique pour la population du golfe du Mexique.

Des études antérieures avaient révélé la diminution de la taille des conques au fil des décennies, « preuve que nous sommes proches d’un point de retour », remarque Gregory S. Herbert. À l’image d’autres animaux marins vivant à proximité des côtes densément peuplées, les conques-cheval ont perdu une grande partie de leur habitat à cause du développement et de la pollution, notamment leurs zones de reproduction, vasières et prairies sous-marines favorites. Les eaux du golfe du Mexique se réchauffent également sous l’effet du changement climatique, ce qui pourrait exercer de nouvelles pressions sur les gastéropodes, comme cela a été le cas chez d’autres grands mollusques. Les scientifiques avancent toutefois que la principale menace qui pèse sur les conques, et qui est la cause de la réduction de leur population et de leur taille, est leur prélèvement à outrance, principalement pour leurs coquilles très prisées.

Selon les données de la Florida Fish and Wildlife Conservation Commission (Commission de la Floride pour la conservation des poissons et de la faune), après un pic de 14 511 conques-cheval ramassées en 1996, le prélèvement commercial du gastéropode dans l’État américain n’a eut de cesse de chuter, passant de 6 124 en 2000 à 1 461 en 2015 et seulement 67 en 2020. Le nombre de conques prélevées à des fins récréatives est inconnu.

Une conque-cheval dépose ses œufs sur un récif corallien à proximité de Palm Beach, en Floride.

PHOTOGRAPHIE DE Michael Patrick O'Neill, BluePlanetArchive

DES DÉCOUVERTES ÉTONNANTES

Afin d’estimer l’âge et la maturité sexuelle des conques, l’équipe de Gregory S. Herbert a analysé les isotopes de grands coquillages de conques-cheval issus des collections de musées. Un mollusque marin utilise le carbonate de calcium présent dans la mer pour construire sa coquille ; celle-ci devient alors une sorte de journal chimique de la vie et de l’environnement de l’animal. Chez les bivalves tels que les palourdes, les scientifiques scient en deux la coquille pour lire les bandes grises clairsemées dans la coupe transversale, marques temporelles semblables aux cernes des arbres. Les gastéropodes marins construisent eux des coquilles en spirale. Par conséquent, une telle découpe ne permet pas de voir toutes les bandes.

À l’aide de petites fraises dentaires, l’équipe de l’écologue marin a donc effectué des prélèvements dans les coquillages, obtenant ainsi une poudre très fine qui a servi à mesurer le poids relatif des isotopes de l’oxygène et du carbone. Partant du sommet pointu de chaque coquille, là où se fixe et se développe la conque embryonnaire, les chercheurs ont progressivement atteint la bouche du coquillage, collectant au passage une centaine d’échantillons.

L’analyse des isotopes de l’oxygène, qui témoignent des changements de température lors des saisons chaudes et froides, a permis aux scientifiques de déterminer l’âge des coquillages. À partir des isotopes de carbone, sur lesquels joue beaucoup la physiologie des animaux et notamment la reproduction, l’équipe a pu déduire l’âge auquel les femelles avaient pondu pour la première fois. Les isotopes de carbone ont également révélé que les conques-cheval femelles consacraient une énergie considérable à la ponte. Celle-ci prend la forme de structures en nid d’abeilles, qui se composent de milliers de capsules, chacune nourrissant une conque embryonnaire qui développe une coquille parfaitement ronde de la taille d’un petit pois avant d’éclore et de partir faire sa vie en rampant.

Parmi les spécimens étudiés figurait le plus grand coquillage de conque-cheval connu, une merveille de 60 cm exposée au musée national Bailey-Matthews des coquillages, situé sur l’île de Sanibel, en Floride. Impossible pour les scientifiques d’effectuer des prélèvements sur ce dernier ; ils ont donc estimé son âge en comparant ses spires avec celles d’autres coquillages et leurs valeurs d’isotopes. Ils ont ainsi conclu que le mollusque à qui appartenait la coquille avait vécu 16 ans, ce qui serait l’espérance de vie maximale de l’espèce.

Une grande surprise, confie Stephen P. Geiger, coauteur de l’étude et spécialiste des mollusques au Fish and Wildlife Research Institute (Institut de recherche sur les poissons et la faune) de la Floride, un organisme qui conseille les autorités de l’État en matière de gestion des espèces. Les scientifiques pensaient que l’animal auquel appartenait la coquille était âgé d’au moins 50 ans. Ils supposaient aussi que les opportunités de ponte pour les femelles étaient plus nombreuses en raison de cette longue espérance de vie, souligne Stephen P. Geiger. Il reste encore beaucoup à apprendre sur la biologie de ces gastéropodes marins.

Ces suppositions ont contribué à maintenir les conques-cheval dans la catégorie des espèces « non réglementées », comme la vaste majorité des poissons et mollusques de Floride. Elles pouvaient donc être prélevées sans aucune limite par les professionnels et à raison de 45 kg par jour pour les pêcheurs récréatifs (soit une quantité colossale d’animaux).

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    Plus grand gastéropode marin de l’hémisphère nord, une conque-cheval s’approche d’un bulot à marée basse près de l’île Kice, dans le sud-ouest de la Floride.

    PHOTOGRAPHIE DE Amy Tripp

    UNE CONQUE PEU COMMUNE

    Les conques-cheval de Floride ici étudiées appartiennent à l’espèce Triplofusus giganteusis, présente le long de la côte Atlantique depuis la Caroline du Nord, sur le pourtour du golfe du Mexique, et plus au sud, dans la péninsule du Yucatán au Mexique. Selon l’archéologue environnementale Karen J. Walker, les peuples anciens qui habitaient sur les côtes se nourrissaient de conques-cheval et se servaient de la robuste colonne intérieure de la coquille comme leurre pour la pêche. Ces superprédateurs se nourrissent de gastéropodes marins plus petits et plus communs, tels que les bulots, et ont toujours été moins abondants que d’autres mollusques.

    Leur aire de répartition était autrefois bien plus vaste qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est ce que révèle l’étude de longue haleine menée par Gregory S. Herbert, qui a comparé les sites où des coquillages ont été découverts dans le golfe avec les sites où la présence d’animaux vivants est actuellement avérée. Cette réduction de l’aire de répartition pourrait être l’indication d’une raréfaction des conques-cheval ou bien de la disparition de certaines populations. Les données sur les effectifs des populations sont rares ; en effet, les coquillages du gastéropode marin suscitaient déjà l’engouement depuis un moment lorsque la première étude sur les conques-cheval a été réalisée, au milieu du 20e siècle. En 1966, toute personne possédant une conque-cheval de plus de 50 cm pouvait accéder gratuitement à l’exposition de coquillages de St. Petersburg. Les journaux de l’époque montrent ainsi des collectionneurs et des chasseurs de souvenirs posant avec des coquillages géants, dotés de leur opercule. La présence de cette « trappe » solide de l’animal prouve que le gastéropode marin a été attrapé vivant et retiré de sa coquille, avant que l’opercule ne soit remis en place sur le coquillage.

    Depuis, les conques-cheval ont bénéficié d’une prise de conscience environnementale croissante à leur égard. Sur la côte, les animaux vivants ne sont plus ramassés par les baigneurs. Les administrations de plusieurs collectivités côtières locales de Floride, celle de l’île de Sanibel en tête, ont également interdit ou limité la collecte de spécimens vivants. C’est une autre histoire sur le reste de la côte, où les conques-cheval sont encore prélevées à un rythme effréné. Les coquillages sont destinés au marché des aquariums et des curiosités, où leur prix peut atteindre plus de 100 $ (90 €) l’unité.

    Selon l’étude, l’instauration de limites de prélèvement, notamment pour les plus petits spécimens afin de leur permettre de pondre au moins une fois et pour les plus grands individus afin de protéger les femelles reproductrices les plus fertiles, aurait des effets positifs sur l’espèce. Les conques femelles ont de plus grandes chances d’être tuées pour leur coquillage en raison de leur taille, bien supérieure à celle des mâles.

     

    EMBLÈMES VÉNÉRÉS, MAIS MENACÉS

    Les conclusions sans appel de l’étude soulignent également la nécessité d’agir, explique José H. Leal, malacologue, directeur scientifique et conservateur au musée Bailey-Matthews, et rédacteur en chef de la revue scientifique The Nautilus, l’une des plus anciennes dédiées aux mollusques. Bien qu’il soit difficile de susciter l’intérêt du public pour des mollusques visqueux, la protection du conque-cheval est une belle cause, souligne Leal, qui n’a pas pris part à l’étude. « Elle est visible, elle est majestueuse, c’est le coquillage emblème de l’État », déclare-t-il.

    Cette distinction lui a été décernée en 1969 par la Législature de Floride. Le jour du vote, les membres du Palm Beach Shell Club ont placé un coquillage sur le bureau de chacun des 160 législateurs floridiens. Aujourd’hui, il fait partie des nombreux symboles de l’État de Floride menacés d’extinction à cause des humains qui les vénèrent. La panthère de Floride, animal emblématique du Sunshine State, est victime de la chasse et de la réduction de son habitat. Le lamantin, mammifère marin de l’État, est touché par une véritable hécatombe liée à la raréfaction de sa nourriture, les herbiers marins, causée par la pollution. Quand à l’arbre de la Floride, le chou palmiste, il est en proie à une maladie mortelle infligée par un insecte ravageur et meurt dans les forêts côtières en raison de la hausse de la salinité du sol, causée par la montée des eaux.

    Pour Gregory Herbert, la nouvelle étude met aussi en évidence la façon dont la sclérochronologie permet de gagner en connaissances sur les mollusques sans avoir à tuer des animaux de plus en plus rares. Malgré les données limitées sur les populations, il est évident que les conques-cheval doivent être protégées. « La situation s’apparente à un vase vacillant qui n’est pas encore tombé, mais qui risque de finir par terre si personne ne le rattrape ».

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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