L'étrange affaire des tigres qui avaient changé de couleur

Si, au 20e siècle, les tigres du Bengale ont failli disparaître, leurs populations se relèvent désormais peu à peu.

De PRASENJEET YADAV
Publication 28 sept. 2025, 11:03 CEST
En 2014, la réserve de Similipal ne comptait que quatre tigres, dont un mâle, qui a ...

En 2014, la réserve de Similipal ne comptait que quatre tigres, dont un mâle, qui a donné naissance à T12 (photo). Or une mutation génétique rare avait rendu la robe de ce jeune tigre très noire. Quand ce caractère s’est répandu parmi ses descendants, le risque d‘une consanguinité trop forte est apparu.

PHOTOGRAPHIE DE Prasenjeet Yadav

Retrouvez cet article dans le numéro 313 du magazine National Geographic

La quête à duré cinquante jours. Cinquante jours à progresser difficilement sur les pistes de la réserve de tigres de Similipal, dans l’État d’Odisha, dans l’est de l’Inde, en espérant apercevoir un tigre insaisissable… Appelé « T12 », ce mâle arbore un étonnant pelage qui a fait de lui le symbole d’une population menacée.

À mes côtés, Raghu Purti, du Service des forêts de l’État, ne l’avait jamais vu. Les seules images du félin que la plupart de ses collègues connaissaient provenaient des pièges photographiques placés pour suivre les déplacements des animaux. Mais les voir vraiment, c’est autre chose : cela permet de remarquer des pathologies autrement invisibles – et de se rappeler que toutes ces heures à patrouiller dans la chaleur sont au service d’une créature vivante. Observer T12 serait d’autant plus utile que ce tigre solitaire âgé de 10 ans – le doyen des mâles à Similipal – figure au coeur d’un projet visant à perpétuer les lignées locales.

C’est en fin d’après-midi que, soudain, une silhouette sombre a surgi devant notre pick-up. J’ai pilé. C’était un gigantesque tigre, aussi grand que la piste était large. Il nous a fixés du regard, Raghu Purti et moi. Sa taille trahissait un mâle dans la force de l’âge et, surtout, l’animal avait précisément l’étrange, le singulier pelage que nous recherchions.

« Il est noir… », m’a soufflé Raghu Purti en pointant la bête du doigt.

La fourrure de T12 évoquait une cape couleur nuit en lambeaux, retombant sur son corps. Restaient des bandes cuivrées çà et là, surtout sur le museau et les pattes avant. Ces rayures noires étrangement larges sont le résultat d’une mutation génétique rare, le pseudo-mélanisme, présente chez près de la moitié de la trentaine de tigres de la réserve de Similipal. Mais ce trait indique aussi que ce qui constituait un succès de conservation se trouve face à une complication potentiellement dramatique. Car, si le nombre de bêtes est au plus haut depuis des décennies, la réserve est isolée des autres populations de tigres, tel un îlot dont le patrimoine génétique s’appauvrit.

Si bien que, pendant que Raghu Purti et moi recherchions T12, une autre mission était en cours ailleurs pour lui trouver une compagne. Elle représentait une étape cruciale du programme de reproduction ciblée lancé des années plus tôt par des agents de protection de la nature, des spécialistes en écologie moléculaire et des généticiens. Leur but ? Empêcher que la consanguinité ne provoque la disparition des tigres de la réserve de Similipal.

Similipal pourrait être un paradis des tigres si le Service des forêts arrivait à résoudre le ...

Similipal pourrait être un paradis des tigres si le Service des forêts arrivait à résoudre le problème de consanguinité. Des femelles prometteuses sur le plan génétique ont été identifiées dans le district de Chandrapur. Jamuna (photo) a été la première transférée.

PHOTOGRAPHIE DE Prasenjeet Yadav

Les tigres du Bengale ont été confrontés aux mêmes fléaux qui ont touché les autres grands félins de la planète : leur décimation par les amateurs de trophées, ainsi que la destruction et la fragmentation sans précédent de leur habitat. Dans les années 1970, l’inquiétude suscitée par le déclin de cette espèce iconique a entraîné la création d’un réseau de réserves gérées par l’État fédéral. Aucun mécanisme de surveillance et de contrôle ne fut toutefois mis en place jusqu’en 2005, date à laquelle a été créée une administration centrale spécifique : l’Autorité nationale de conservation des tigres (NTCA). C’est elle qui, aujourd’hui, recrute et forme des gardes, finance la supervision scientifique et gère la protection de l’habitat dans les cinquante-huit réserves de tigres du pays.

Le concept fondamental au coeur de ce réseau est la préservation des possibilités de circulation des tigres entre les zones protégées grâce à des corridors écologiques – des aires qui relient les forêts et autres territoires où les proies sont suffisantes pour ces grands prédateurs. Ces couloirs présentent nombre d’avantages, mais ils permettent surtout à des populations voisines de se mélanger, ce qui leur garantit de conserver une bonne diversité génétique.

Similipal, qui couvre à peu près 2 750 km², est l’une des plus grandes réserves de tigres d’Inde. Ses plus proches voisines – Satkosia au sud-ouest et Sundarban à l’est – se trouvent toutes deux à environ 200 km, une assez faible distance pour ces animaux. Mais il n’y a plus de tigres à Satkosia, et aucun couloir praticable ne relie Similipal à Sundarban. Les terres qui les séparent sont le plus souvent urbanisées ou cultivées : on y trouve Kolkata (Calcutta) et ses banlieues, des dizaines de villages et de petites villes et de grandes rizières. Le couvert forestier qui permet aux grands félins de rester cachés est donc très limité dans toute la région. Pour les tigres, il n’y a pas ou plus de moyens simples d’entrer ou de sortir de Similipal.

Lorsque la NTCA a recensé les tigres sauvages du pays en 2006, leur effectif s’élevait approximativement à 1 400, contre près de 40 000 un siècle plus tôt. À Similipal, la population était même tombée à quatre individus en 2014, dont un seul mâle. En 2015, un an environ avant sa mort, ce mâle a eu un petit – le fameux T12, orné de cet étrange pelage à dominante noire, lequel est devenu père à son tour et a engendré plusieurs tigreaux mâles.

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