Ndakasi, la célèbre gorille des montagnes, est morte dans les bras de son soigneur

Brent Stirton, photographe pour National Geographic, revient sur la vie de cette célèbre gorille de montagne.

De Brent Stirton
Publication 11 oct. 2021, 14:41 CEST
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Ndakasi a été photographiée le 26 septembre 2021 alors qu’elle était en train de s’éteindre dans les bras de son protecteur après une longue maladie. Ces quatorze dernières années, Andre Bauma et d’autres membres du Senkwekwe Mountain Gorilla Center se sont occupés de Ndakasi ainsi que d’autres orphelins.

PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton/Getty Images

En 2007, je me suis rendu dans le parc national des Virunga pour le travail, et j’y ai collaboré avec un groupe de rangers combattant dans des groupes paramilitaires. On nous a informés que des gorilles de montagne en danger critique d’extinction avaient trouvé la mort dans des circonstances énigmatiques. C’est là que j’ai rencontré Ndakasi pour la première fois, sous une pluie battante. Elle n’avait que quelque mois et s’agrippait au cadavre de sa mère, entourée d’une mare de sang due aux balles des AK-47 tout en essayant en vain de téter sa mère.

Cet assassinat absurde posait un problème de taille à l’époque, car il ne restait plus que 400 gorilles de montagne, contre un peu plus d’un millier qui vivent aujourd’hui en liberté. Ndakasi était la seule de sa famille à s’accrocher encore à la vie.

Elle était vulnérable et il y avait peu de chances qu’elle survive longtemps. Le ranger Andre Bauma l’a mise à l’abri de la pluie, se servant de la chaleur de son propre corps pour la maintenir en vie jusqu’au matin. Ce fut le début d’une relation tendre et aimante qui devait durer quatorze ans. Aujourd’hui encore, Andre est gardien principal du Centre Senkwekwe aux Virunga, premier parc national d’Afrique, qui se trouve en République Démocratique du Congo. Ndakasi s’est rendue à Senkwekwe où elle a vécu avec des gorilles de montagne orphelins comme elle et a été choyée par le personnel du parc 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Le vétérinaire Eddy Syaluha et l’équipe de Gorilla Doctors [groupe de vétérinaires qui sauve les grands singes en danger] font des miracles depuis le premier jour.

Emmanuel de Merode, directeur du parc national des Virunga, et un groupe de rangers, dont Andre Baume faisait partie, veillent suite à l’assassinat de gorilles en juillet 2007. On a fini par découvrir que ces crimes étaient liés au trafic illégal de charbon dans la région.

PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton/Getty Images

Ndakasi et un gardien, Baboo, photographiés en octobre 2013. Les gardiens vivent et dorment avec les orphelins en se relayant toutes les trois semaines pour pouvoir rentrer dans leur famille une semaine par mois.

PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton/Getty Images

Les gorilles des montagne sont des créatures sensibles, étonnamment vulnérables et douces. Ils ont leur personnalité, leurs particularités. Ils peuvent éprouver de la joie, et ils peuvent éprouver de la tristesse. Comme les humains. Ndakasi en a fait profiter ses gardiens, des hommes qui passent plus de temps avec les gorilles qu’avec leur famille. Ces orphelins les ont conquis, et ils ont fini par adorer ces animaux qu’ils n’hésitent pas à décrire comme « [leurs] propres enfants ». 

Malgré une vie passée aux bons soins de ses protecteurs, Ndakasi a contracté il y a environ six mois une maladie mystérieuse à laquelle elle a succombé la semaine dernière en se hissant dans les bras d’Andre, quatorze ans après leur première étreinte. Il en est dévasté, c’est un euphémisme.

Quand on m’a prévenu, je me trouvais ailleurs aux Virunga, avec des chefs du parc. Nous tenions alors une discussion animée mais au moment où la nouvelle est arrivée, le silence nous a pris entièrement. Nous ne nous y attendions pas et étions très tristes.

On m’a envoyé plusieurs fois aux Virunga depuis 2007. J’y suis retourné tous les dix-huit mois environ depuis lors, et j’ai eu l’occasion de voir Ndakasi grandir. J’ai toujours été impressionné par l’ampleur de l’attention qu’Andre Bauma et d’autres gardiens lui portaient, à elle comme aux trois autres gorilles de montagne qui vivaient en captivité à l’orphelinat de Goma et étaient les seuls de leur espèce à ne pas vivre dans la nature. 

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    Sur ce cliché pris en novembre 2015, Andre Bauma, gardien principal de l’orphelinat, enseigne la peinture à Ndakasi dans sa cage de nuit. Les gardiens innovent autant que possible pour stimuler les gorilles.

    PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton/Getty Images

    Ses quatre protecteurs, qui n’ont ni doctorat et qui ne sont pas non plus universitaires, en connaissent bien plus sur ces animaux que n’importe quel professeur, et ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur.

    Les gorilles de montagnes sont tout à fait semblables aux humains et vivent dans des sociétés complexes. Ils peuvent être déprimés. Ce n’est que mon humble avis mais peut-être que Ndakasi a pris conscience qu’il lui manquait quelque chose. Nous avons beau faire tout notre possible, nous sommes dans l’incapacité de reproduire la vie à l’état sauvage. Et il est difficile de les libérer parce que ce sont des animaux territoriaux et que leurs congénères ne les accepteraient pas forcément. On n’y est en fait jamais parvenu.

    Je sais qu’ils ont tout fait pour la sauver. Ils ont œuvré avec certains des meilleurs spécialistes du monde. Nous ne nous y attendions pas. Mais comme ce pourrait être le cas pour un humain, elle est partie entourée des personnes qu’elle aimait et qui l’aimaient. Je ne veux pas trop anthropomorphiser mais c'est mon impression.

    Les vétérinaires Eddy Syaluha et Fabrice Malonga, accompagnés de gardiens de Senkwekwe, effectuent un bilan de santé sur Ndakasi qui est morte peu après.

    PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton/Getty Images

    Si on se penche sur la société des gorilles, on s’aperçoit qu’elle est plus humaine que la nôtre. Elle se préoccupe de ses individus et est structurée, et chacun prend soin des membres de sa famille. Quand Ndakasi a été assassinée, on pouvait deviner aux traces présentes dans la boue que son père, Senkwekwe, était mort en essayant de défendre les femelles.

    La plupart des expéditions que j’ai entreprises pour National Geographic ont traité du trafic d’animaux, du côté négatif des rapports entre humains et animaux. Je m’intéresse souvent à la part épineuse des sujets que je traite. Mais que j’aie parlé des rhinocéros, des pangolins, des lions ou des éléphants, ce que j’ai pu observer c’est que si vous passez du temps avec ces animaux et que vous les traitez avec respect, vous pourrez tisser des liens merveilleux avec eux. Il est possible d’en arriver au point où un éléphant vient vous saluer le matin, ou bien part à votre recherche si vous n’êtes pas là, ou même vous montre où les braconniers se cachent.

    Nous savons bien à quel point on peut se lier avec un chien, eh bien la même chose est possible avec de nombreuses autres espèces. Mais c’est encore plus vrai avec les gorilles, qui nous ressemblent tant. Pour ceux qui sont chargés de leur protection, et pour bien d’autres personnes, ces gorilles étaient l’égal des humains. Ensemble, ils formaient même une famille.

    Sur ce cliché pris le 2 mars 2012, Andre Bauma, qui se décrit comme une « mère gorille », veille sur Ndakasi. Il a emmené ses propres enfants voir les gorilles orphelins qu’il considère comme leurs « frères et sœurs ».

    PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton/Getty Images

    Un petit exemple : quand Andre Bauma allait prendre une pause, Ndakasi se faufilait parfois près de lui et lui prenait la main. Comme on le ferait avec un ami cher. Nous avons véritablement créé un monde entre eux et nous mais je crois que les humains et les animaux peuvent se comprendre bien davantage et devenir encore plus proches. En la matière, nous n’avons fait qu’effleurer la surface des possibles. L’exemple de Ndakasi l’illustre bien.

    Brent Stirton, photographe sud-africain, contribue de manière régulière à National Geographic. En 2007, son reportage-photo sur l’assassinat des gorilles de Virunga a obtenu plusieurs récompenses, dont le World Press Photo et un National Magazine Award.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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