Pourquoi les cétacés s'échouent-ils sur les plages ?

La pollution sonore, la surpêche et les marées piégeuses jouent un rôle dans l’échouage de cétacés, qui peut parfois impliquer des centaines d’individus.

De Melissa Hobson
Publication 1 avr. 2021, 16:33 CEST
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Un rorqual commun échoué sur la plage de Holland-on-Sea, une ville située sur la côte est de l’Angleterre, le 30 mai 2020. Bien que le phénomène soit mondial, les échouages de cétacés sont fréquents le long des côtes peu profondes de la mer du Nord.

PHOTOGRAPHIE DE Rob Deaville, CSIP-ZSL

Chaque année, des milliers de baleines, de dauphins et d’autres animaux marins s’échouent sur les plages du monde entier. Ce phénomène touche des individus blessés, voire morts, poussés vers la côte par les vents dominants, mais aussi des animaux en bonne santé. Des groupes entiers de mammifères marins se retrouvent parfois prisonniers du sable (on parle alors d’« échouage massif ») tandis qu’un nombre inhabituel d’échouages peut être constaté sur une période déterminée dans une région donnée.

Au Royaume-Uni, le Cetacean Strandings Investigation Programme (CSIP, Programme de recherche sur les échouages de cétacés) de la Société zoologique de Londres a enregistré plus de 12 000 cétacés échoués depuis 1990. Les événements médiatisés, comme l’échouage de plus de 300 rorquals boréals en Patagonie chilienne en 2015, ou les multiples échouages de baleines à bec qui se sont produits à Guam entre 2007 et 2019, démontrent qu’il s’agit d’un phénomène mondial, imputable à plusieurs facteurs.

« Les raisons pour lesquelles les baleines et les dauphins s’échouent sont probablement aussi nombreuses que les échouages eux-mêmes », explique Kevin Robinson, directeur de l’organisation de conservation marine écossaise Cetacean Research & Rescue Unit. Entre des côtes qui perturbent les mammifères marins et les menaces posées par l’homme, que savent réellement les scientifiques sur ces événements ?

 

LA TOPOGRAPHIE

La topographie des côtes et l’amplitude des marées transforment certaines régions en véritables pièges pour les mammifères marins. Ainsi, la presqu’île de Farewell en Nouvelle-Zélande, le littoral de la mer du Nord et Cape Cod sur la côte est des États-Unis sont souvent le théâtre d’échouages massifs. Selon Nick Davison, coordinateur des échouages pour le Scottish Marine Animal Stranding Scheme (Programme écossais relatif aux échouages d’animaux marins), ces zones sont trop peu profondes pour permettre le passage des cétacés, car leur faculté d’écholocalisation est conçue pour les eaux profondes.

En outre, lors du cycle de marée, l’eau peut reculer de plusieurs kilomètres en l’espace de quelques minutes et certains animaux se retrouvent alors pris au piège. Selon Daren Grover du Project Jonah, les individus qui ne remarquent pas qu’ils se déplacent dans des eaux peu profondes risquent de se trouver dans une position délicate au moment du retrait de la mer. « L’eau disparaît soudainement et ils se retrouvent loin sur la côte et à sec », explique-t-il.

 

LES CAUSES NATURELLES

Selon Dan Jarvis, agent de terrain pour le développement du bien-être pour British Divers Marine Life Rescue, les cétacés échoués peuvent être malades ou blessés, séniles, perdus, incapables de se nourrir, se trouver dans une situation délicate comme une mise à bas difficile, ou tout simplement âgés. Affaiblis, ces animaux dérivent avec le courant et finissent par s’échouer sur la côte. Quant aux individus désorientés, ils peuvent s’aventurer par accident dans des eaux peu profondes.

La prédation peut également pousser les mammifères marins à s’échouer. Ce type de comportement concerne à la fois les prédateurs et les proies. Daren Grover cite comme exemples les dauphins qui s’échouent sur une plage pour échapper à une orque et les orques piégées sur la côte après avoir chassé des raies pastenagues dans des eaux peu profondes. Si l’échouage volontaire est une technique de chasse courante chez les cétacés noir et blanc, une petite erreur suffit pour qu’ils se retrouvent prisonniers du sable ; ils doivent alors attendre qu’une vague suffisamment puissante vienne les libérer.

 

LES ACTIVITÉS HUMAINES

L’homme joue également un rôle dans ces échouages. La pêche, la pollution et les collisions avec les navires, entre autres, sont responsables de la plupart des blessures (et des morts subséquentes qui leur sont imputables) qui entraînent des échouages. Chez les cétacés, la principale cause de mortalité liée à l’homme est l’enchevêtrement dans les filets de pêche. Selon Kevin Robinson, la pêche serait responsable de l’extinction fonctionnelle du dauphin de Chine et de l’extinction imminente du vaquita. La surpêche prive également les cétacés de leurs principales sources de nourriture, ce qui les pousse à se rapprocher des côtes et à s’aventurer dans les zones soumises à la marée pour chasser.

Les causes de la mort de ce rorqual commun retrouvé sur la côte est de l’Angleterre le 30 mai 2020 sont inconnues. La plupart des cétacés qui s’échouent sont malades ou sont morts en mer, mais il arrive aussi que des animaux en bonne santé se fassent piéger sur les plages.

PHOTOGRAPHIE DE Rob Deaville, CSIP-ZSL

D’autres causes liées aux activités humaines sont insidieuses. C’est notamment le cas de la pollution : en se déversant dans l’océan, les produits chimiques finissent par engendrer des problèmes durables. Selon Rob Deaville, gestionnaire de projet pour le CSIP, même si la causalité est difficile à démontrer, il est établi que les animaux malades présentent des concentrations de polluants chimiques plus élevés dans leur organisme que les individus en bonne santé. La pollution plastique porte également préjudice aux mammifères marins : ces derniers s’enchevêtrent dans des objets en plastique, les confondent avec de la nourriture ou sont victimes de l’accumulation de microplastiques dans leur corps.

Enfin, les espèces lentes, comme les baleines franches de l’Atlantique nord, sont davantage exposées aux collisions avec les navires. Ces accidents peuvent causer de graves blessures, voire la mort des animaux percutés, et conduire à leur échouage.

 

UN OCÉAN BRUYANT

La pollution sonore, notamment celle générée par les impulsions sonores résultant de l’utilisation de sonars et des relevés sismiques, interfère avec la faculté des cétacés à communiquer et se déplacer. Assourdis, désorientés ou effrayés par ces sons, les animaux se retrouvent alors sur le rivage.

Les espèces qui évoluent en haute mer, comme les baleines à bec, sont particulièrement sensibles aux sonars, même si elles se nagent à plusieurs kilomètres de distance. Les échouages multiples de baleines à bec qui se sont produits à Guam sont ainsi associés à l’activité des sonars navals. Les cétacés sont « probablement les animaux les plus sophistiqués sur Terre en ce qui concerne l’acoustique », souligne Kevin Robinson. Et comme le son se déplace plus rapidement dans l’eau que dans l’air et y conserve son intensité plus longtemps, il peut provoquer des blessures auriculaires chez les animaux marins.

« Lorsque [le cétacé] essaie ensuite de plonger, il ne parvient pas à égaliser la pression », indique Kevin Robinson. Comme il ne peut plus plonger, l’animal ne peut plus chasser non plus ; il souffre alors de malnutrition et de déshydratation (ses besoins en eau sont couverts par son alimentation). Affaibli, il dérivera avec le courant et finira par s’échouer sur une plage.

 

LES ÉCHOUAGES MASSIFS

Le terme « échouage massif » désigne tout échouage impliquant au moins deux animaux (à l’exception d’une mère et de son petit) et jusqu’à un groupe entier (dont la taille varie de quelques individus à des centaines de cétacés). Ces événements surviennent généralement chez les espèces très sociables, comme les globicéphales et les dauphins d’Électre. En raison de leur instinct grégaire, tous les membres du groupe restent ensemble, même si l’un des leurs est malade ou en péril. Il arrive parfois que le groupe entier s’échoue alors qu’il essayait d’aider un individu en détresse.

Les liens qui unissent ces animaux sont si forts que les individus en bonne santé remis à l’eau sont susceptibles de s’échouer à nouveau pour être avec les membres du groupe qui les appellent depuis le rivage. Pour éviter cela, les sauveteurs doivent d’abord s’occuper des animaux en détresse avant de remettre le groupe à l’eau.

 

DES CHANCES DE SURVIE FAIBLES

C’est une course contre la montre qui débute lorsqu’un cétacé s’échoue. L’animal est écrasé par son propre poids, habituellement supporté par l’eau. À cause de la réduction de la circulation sanguine, les toxines s’accumulent dans son organisme et l’empoisonnent. L’épaisse couche de graisse du cétacé peut conduire à une augmentation trop importante de la température corporelle de l’animal s’il est hors de l’eau. Enfin, comme tous les mammifères, les cétacés respirent de l’air et risquent de se noyer si de l’eau pénètre dans leur évent à marée haute.

Si vous découvrez un cétacé échoué, n’essayez pas de le déplacer. Traîner l’animal jusqu’à l’eau est « une très mauvaise idée », avertit Kevin Robinson. Cela pourrait abîmer les pointes délicates de sa nageoire caudale et s’avérer fatal si l’animal avait besoin d’être soigné avec d’être remis à l’eau. En attendant l’arrivée des vétérinaires et des volontaires formés à ce type de procédure, les organisations caritatives marines, les garde-côtes et les secours peuvent vous aider. Il est essentiel de maintenir l’animal à la verticale, de le mouiller en évitant de mettre de l’eau dans son évent et de le couvrir pour le protéger des coups de soleil.

Le taux de survie est faible des animaux échoués est cependant faible. Les sauveteurs ne remettent à l’eau que les animaux suffisamment en bonne santé pour survivre. Pour les autres, les seules options sont la captivité (dans les pays où cela est autorisé) ou l’euthanasie. Si cette décision peut être très difficile à prendre, elle est préférable, du point de vue du bien-être animal, à une vie passée en captivité, estime Dan Jarvis.

 

DES ÉVÉNEMENTS UTILES À LA RECHERCHE

Bien que tristes, les échouages aident les scientifiques à mieux connaître les cétacés, notamment les espèces difficiles à étudier comme les baleines à bec. La réalisation de nécropsies permet d’identifier les causes de la mort de l’animal, mais aussi d’en savoir plus sur sa vie, et notamment les lieux où il s’est rendu, ce qu’il a mangé, s’il a souffert de la pollution plastique ou chimique, ou encore le nombre de petits qu’il a eu. « Nous ne nous intéressons pas uniquement à leur mort ; nous nous intéressons aussi beaucoup à leur vie », confie Rob Deaville.

Selon le gestionnaire de projet, les échouages pourraient même être un signe positif pour les espèces, car ils indiqueraient que les populations se portent mieux. Pour faire simple, plus il y a de cétacés, plus ils sont susceptibles de s’échouer de causes naturelles, même si les autres menaces ont été minimisées. Ainsi, en Écosse, l’absence d’échouage d’orques est révélatrice d’une population menacée d’extinction, tandis que l’augmentation des échouages de baleines à bosse au Royaume-Uni est la preuve du rétablissement de la population depuis l’interdiction de la chasse à la baleine.

« Paradoxalement, ce qui est une mauvaise nouvelle pour un individu donné est une bonne nouvelle pour la population », déclare Rob Deaville.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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