Quand la nature dépasse la science-fiction : cet animal est capable de reconstituer son propre corps
Les polychètes possèdent des excroissances qui fonctionnent comme une imprimante 3D. Les observer nous aide à mieux comprendre la régénération cellulaire.

La plupart des gens ne verront jamais de polychète en milieu naturel, mais selon une nouvelle étude, l'étude de ces créatures singulières pourrait un jour vous être bénéfiques.
Les polychètes sont des vers marins dotés de structures complexes semblables à des poils appelées parapodes ; chez certaines espèces, elles leur permettent de nager en pleine mer ou de « marcher » sur le fond marin.
« L’une des raisons pour lesquelles nous nous intéressons aux polychètes, c’est qu’ils sont d’excellents modèles pour la biologie de la régénération », explique Florian Raible, biologiste moléculaire à l’université de Vienne, en Autriche. « Ils peuvent en fait régénérer la majeure partie de leur corps, et ils le font bien mieux que d’autres organismes. »
Alors que la majorité de son laboratoire se concentrait sur ces superpouvoirs régénératifs, l’un des postdoctorants de Raible à l’époque, Kyojiro Ikeda, a remarqué quelque chose de curieux au niveau moléculaire, en utilisant la microscopie électronique et la tomographie.
En examinant de plus près l’espèce Platynereis dumerilii, Ikeda a constaté qu’à chaque endroit où le ver portait des parapodes munies de « soies », se trouvait aussi un type de cellule appelée blaste. Plus précisément, ce blaste possède une excroissance qui s’allonge puis se rétracte de manière répétée, déposant de la chitine, une molécule naturelle, au fur et à mesure de la formation de chaque poil.
« On considère un peu ces excroissances comme des imprimantes 3D », indique Raible, auteur principal de l’étude publiée l’an dernier dans Nature Communications. « Chaque poil est fabriqué par une seule cellule. »
Fait surprenant, Raible note une « ressemblance frappante » entre la géométrie des blastes des polychètes et les cellules sensorielles présentes dans l’oreille interne des humains et autres vertébrés. Cela signifie que, outre les enseignements sur la régénération, le système des polychètes pourrait servir de modèle pour étudier des cellules similaires, ce qui aiderait à mieux comprendre des affections comme la surdité (qui peut survenir lorsque ces cellules sensorielles sont endommagées).
« On a donc en quelque sorte une nouvelle analogie entre des organismes très éloignés sur le plan évolutif, comme nous et ces vers polychètes », dit-il.
UNE IMPRIMANTE 3D NATURELLE
On compte plus de 24 000 espèces de vers sur la planète, et si la plupart d’entre nous ne pensent qu’à ceux qui remuent la terre, ces créatures tubulaires sont d’une incroyable diversité.
Le ver géant Gippsland d’Australie peut atteindre près de trois mètres de long, tandis que certains vers de la famille des Chaetopteridae sont bioluminescents, et que les vers de sang sont des dévoreurs de chair venimeux.
« Ce qui me fascine le plus, c’est qu’un tel groupe d’animaux ait réussi à s’adapter à tant d’habitats différents, ce qui a entraîné une immense variété de systèmes organiques et de morphologies », explique Conrad Helm, biologiste à l’université de Göttingen, en Allemagne. « La plupart sont visuellement très bizarres et fascinants, totalement différents de l’idée que l’on se fait habituellement d’un ver. »
Par exemple, les polychètes utilisent leurs parapodes pour nager en eau libre, ramper sur le fond marin comme s’ils marchaient, et même creuser des tunnels. Ces parapodes peuvent aussi être équipés de crochets, de stylets ou de dents, qui leur permettent de s’ancrer dans leurs terriers.
Les auteurs de l’étude ont justement observé la formation de ces structures dans leurs recherches, révélant que les dents sont également créées par ce processus semblable à une imprimante 3D, un peu comme sur un tapis roulant.
« Toutes les 30 à 40 minutes, une dent apparaît », précise Ikeda, biologiste cellulaire à l’université de Vienne et auteur principal de l’étude. « Une nouvelle dent commence à se former pendant que l’ancienne est en cours de synthèse. »
Toutes ces structures sont faites de chitine, le deuxième biopolymère le plus abondant sur Terre, et surtout un matériau très bien toléré par le corps humain. Cela signifie qu’en étudiant les soies des polychètes, les scientifiques pourraient développer de nouveaux points de suture chirurgicaux ou des adhésifs à la fois solides et biodégradables.
Les chercheurs envisagent également de développer un nouveau type de ciment dentaire.
« C’EST VRAIMENT BLUFFANT »
Conrad Helm affirme que cette nouvelle étude ne fait qu’attiser sa curiosité pour ces créatures étranges et fascinantes.
« C’est vraiment bluffant de voir à quel point la nature est capable de créer une diversité de formes et de structures que les humains sont incapables de reproduire », dit-il. « Ce qui est révolutionnaire dans cette étude, c’est qu’ils ont découvert plusieurs détails ultrastructuraux et moléculaires encore inconnus. Notamment en ce qui concerne la formation des parapodes. »
Il souligne que cela montre à quel point la recherche fondamentale, non biaisée, est cruciale.
« Sans recherche fondamentale, ces matériaux ou processus biologiques ne pourront jamais être utilisés en médecine », ajoute-t-il. « Cette étude montre qu’il reste encore beaucoup de questions sans réponse. »
Les vers sont présents sur Terre depuis plus de 500 millions d’années, soit environ 100 millions d’années avant l’apparition des arbres. Qui sait ce que ces formes de vie souvent négligées ont encore à nous apprendre ?
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
