Sous la neige, la vie secrète des animaux pendant l’hiver

De nombreuses espèces passent les mois glacés de l’hiver sous la neige, s’isolant du froid grâce à cette épaisseur protectrice. Ce petit monde se retrouve menacé par le changement climatique.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 31 mars 2023, 11:53 CEST
Alectoris rufa Perdrix Rouge dans la neige.

Alectoris rufa Perdrix Rouge dans la neige.

PHOTOGRAPHIE DE Paul Cumberland / Alamy Banque D'Images

L’hiver évoque une période silencieuse. De la neige, des espèces qui hibernent, de grands espaces vides et blancs... Mais c’est se fourvoyer. 

À l’abri des regards, sous les couches de neige, la vie suit son cours. Des musaraignes chassent, des perdrix dorment, des campagnols se promènent dans les tunnels qu’ils ont creusés au beau milieu des flocons. Le nom savant de cette épaisseur protectrice ? Le subnivium. 

Ce mot latin signifie simplement « sous la neige ». Un environnement particulier, possible lorsqu’une couche de neige pas trop dense fait au moins 20 cm de hauteur. « Grâce au pouvoir isolant de la neige, la température entre le sol et la surface reste stable, et relativement agréable. Alors qu’au dehors, on peut atteindre les -30°C, il fera toujours autour de 0°C sous la couche de neige qui piège la chaleur du sol » explique Jonathan Pauli, biologiste à l’université du Wisconsin et auteur de nombreuses études sur le sujet. Une aubaine pour une multitude d’espèces, puisque la neige couvre environ 40 % des terres émergées chaque année.

Parmi les habitants de ces igloos naturels : la grenouille des bois, qui a l’étonnante particularité de pouvoir geler jusqu’à 60 % de son corps. Elle profite de la stabilité des températures du subnivium pour hiberner tranquillement pendant l’hiver, tout comme certaines perdrix, qui creusent leur grotte en plongeant la tête la première dans la neige. 

Une souris à pattes blanches (Peromyscus leucopus), qui se réfugie souvent sous une couche de neige, est ici sur un arbre dans le nord du Wisconsin.

PHOTOGRAPHIE DE Samuel Jolly

D’autres espèces, au contraire, s’activent dans cet univers blanc et ouaté. Les lemmings (de petits rongeurs) sont en pleine période de reproduction. Les loutres empruntent les galeries creusées pour accéder aux eaux gelées des rivières et y trouver de quoi se nourrir. Même les plantes et les champignons s’épanouissent dans ce monde parallèle. Ainsi, le lys des glaciers continue de croître. 

« Au sein du subnivium, la photosynthèse reste possible : la lumière du soleil parvient jusqu’aux plantes, et elles n’ont pas à subir le gel » souligne Jonathan Pauli. Les plantes nourrissent les insectes, qui à leur tour, font le régal des oiseaux et des rongeurs. Voilà le point de départ d’une chaîne alimentaire version hivernale. 

« Les règles habituelles du règne animal sont un peu modifiées. Normalement, plus le corps d’un carnivore est gros, plus il est haut dans la chaîne alimentaire. Or, seuls les plus petits animaux sont capables de vivre sous la neige. Cela rebat les cartes ». Les petits rongeurs ont alors accès à des ressources que n’ont pas les plus grands animaux, et ne subissent pas la prédation habituelle.

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    L'une des serres utilisées pour tester la résilience du subnivium face au changement climatique, à +3° et à +5°C. 

    PHOTOGRAPHIE DE Jonathan N. Pauli.

    Mais tout ce petit monde est menacé. Le changement climatique réduit l’épaisseur, la qualité, et la durée du subnivium. D’une part, parce que la neige prend peu à peu l’allure d’un or blanc rare et recherché. 

    Selon Météo France, si on limite les émissions, l’épaisseur de la couche de neige en moyenne montagne va diminuer de 10 à 40 % d’ici 2100. En cas de fortes émissions, elle pourrait être 80 à 90 % moins épaisse. Signal inquiétant de ce changement à l’œuvre, les Alpes ont déjà perdu 36 jours de couverture de neige ces vingt dernières années, selon une étude de Nature Climate Change, une baisse sans précédent au cours des six derniers siècles. D’autre part, parce que le changement climatique a tendance à remplacer la neige par de la pluie. 

    « En gelant, l’eau devient glace, et forme des blocs dans la neige qui nuisent à la qualité du subnivium » détaille Benjamin Zuckerberg, biologiste et professeur à l’université de Wisconsin, lui aussi auteur de nombreuses études sur le sujet. Avec ces glaçons, point de grottes ni de galeries. Les animaux se heurtent à des murs infranchissables. L’abri de toutes ces espèces disparaît alors. Mais avec un réchauffement global des températures, le subnivium aurait-il de toute façon une utilité ?  

    L'un des chercheurs spécialistes du subnivium détecte un porc-épic (Erethizon dorsatum) dans une tanière de neige dans le nord du Wisconsin. 

    PHOTOGRAPHIE DE Jonathan N. Pauli

    « Certaines espèces seront avantagées par ces températures douces, notamment au sud de l’hémisphère nord, là où les épisodes de gel seront peut-être moins fréquents» concède Benjamin Zuckerberg. Mais que deviendront les espèces les plus adaptées au subnivium, qui, sans couche de neige, seront livrées à elle-même à la première vague de grand froid  ? De nombreux animaux risquent de ne pas survivre à la disparition de leur abri enneigé.

    Pour détailler avec plus de précisions les conséquences de chaque degré supplémentaire, les scientifiques Benjamin Zuckerberg, Jonathan Pauli, mais aussi Kimberly Thompson et Warren Porter se sont livrés à une expérience. En 2012, ils ont créé trois serres en extérieur dans la région nord-américaine des Grands Lacs. L’une, de contrôle, à température ambiante. Les autres, à respectivement +3°C et +5°C . Au delà de +3°C,  les dégâts sont considérables. À + 5°C, le subnivium perdrait, dans la région des Grands Lacs, près de 45 % de sa superficie (200 000 km²) et existerait un mois en moins. 

    « C’est bien la preuve que le changement climatique fonctionne par paliers. Si l’on atteint certains seuils, alors les conditions de vie que l’on connaissait changent drastiquement » souligne Benjamin Zuckerberg.

    Une priorité donc : limiter les émissions de gaz à effet de serre. En parallèle, les actions locales de conservation restent possibles. « Certaines régions des Grands Lacs continueront tout de même à être enneigées. Nous devrions, en plus de tout faire pour limiter le réchauffement, mettre en place des mesure de protection » explique Jonathan Pauli. Parmi les options : encadrer la pratique du ski, qui tasse la neige et la rend trop compacte pour le subnivium. Pour que survive encore longtemps ce petit peuple des flocons.

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