Pourquoi les thérapies de conversion des personnes LGBTQI+ sont-elles toujours légales en France ?

Ces pratiques visant à changer l’orientation sexuelle et l’identité de genre de personnes LGBTQI+ se perpétuent en France. Des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour faire interdire ces pratiques aux impacts psychologiques dévastateurs.

De Mehdi Benmakhlouf
Publication 7 juin 2021, 09:55 CEST, Mise à jour 7 juin 2021, 14:10 CEST

Les thérapies de conversion en France n'ont rien d'anecdotique : rien qu'à Paris, les collectifs de défense des victimes ont identifié une vingtaine d’individus ou institutions religieuses et médicales qui proposent ou aiguillent vers des thérapies de conversion.

PHOTOGRAPHIE DE Vincent Roland

Il est tout juste 11 heures du matin, heure de Londres, lorsque notre entretien débute. La nuit a été courte pour Benoit Berthe, qui apparaît à l’écran. Le réalisateur de 32 ans va, une fois de plus, expliquer le calvaire qu’il a vécu. Son combat est devenu quotidien. « J’étais au téléphone avec un juriste ce matin au réveil, pour des explications juridiques » nous dit-il. C'est la première interview d'une journée qui s'annonce longue : Benoit enchaînera les entretiens pour parler de la cause dont il est devenu malgré lui le porte-parole. Celle d’anciennes victimes de thérapies de conversion.

À 15 ans, Benoit a fait son coming-out ; ses parents ne s'y attendaient pas. Venant d’une famille catholique pratiquante « sans être intégriste », Benoit est alors envoyé jusqu’à ses 18 ans dans une thérapie de conversion pour « guérir » son homosexualité dans la communauté religieuse des Béatitudes.

Les thérapies de conversion, aussi appelée thérapies de réorientation sexuelle, sont appliquées le plus souvent par la contrainte aux personnes homosexuel.les et transgenre. Elles peuvent prendre plusieurs formes, selon l’organisme qui la pratique. Présentes au sein de courants extrémistes dans les trois religions monothéistes, ces pratiques peuvent également être infligées par le corps médical, par des psychiatres, dans des cliniques privées. Elles prennent alors la forme de séances, de séminaires ou de « stages ».

« On nous emmenait dans des grandes bâtisses assez reculées, pendant les week-ends ou les vacances » explique Benoit. « Les séances pouvaient prendre plusieurs formes mais globalement il y avait beaucoup de prières, des temps de silence pendant plusieurs jours et aussi des entretiens avec un “père spirituel” durant lesquels je devais répondre à des questions très humiliantes et intrusives sur ma sexualité » poursuit-il.

De manière générale, ces séjours ont pour but d’instiller la peur de l’homosexualité chez les jeunes, qui en deviennent homophobes. Ils causent des dégâts psychologiques graves chez les victimes qui n’ont souvent aucun suivi psychologique par la suite. « Dans les années qui ont suivi, j’étais dans un tourbillon de pensées noires... Je me suis reconstruit en m’informant sur ce qu’était réellement l’homosexualité » confie Benoit.

Depuis trois ans, Benoit Berthe dirige le collectif Rien à Guérir, qui s'est donné pour mission de faire interdire ces pratiques. « Dans les faits, non seulement elles ont encore lieu mais aucune [de ces institutions] n’a été condamnée » regrette-t-il. Aujourd’hui, les associations LGBTQ+ demandent une définition et des condamnations claires au gouvernement pour que les victimes puissent porter plainte et que le phénomène soit enrayé peu à peu. Sans cela, le manque de précision et de clarification laissera les institutions naviguer dans les vides juridiques. « Le travail d’information est fait, il est bien fait. Maintenant il faut avancer » insiste Benoit.

Photographié ici avec son mari Vernon May (79 ans), Robert Waldron (à gauche, 79 ans également) a été interviewé pour un article sur le cinquantième anniversaire des émeutes de Stonewall : « La communauté LGBT a parcouru un très, très long chemin. »
PHOTOGRAPHIE DE Robin Hammond

Lorsque l’on s’intéresse aux témoignages de victimes, plusieurs méthodes apparaissent pour tenter de changer l’orientation sexuelle : la thérapie par la parole, la psychanalyse, les traitements par œstrogènes, les chocs électriques et même des pratiques plus extrêmes de chirurgie consistant à transplanter des testicules d’hommes hétérosexuels dans le scrotum d’homosexuels.

Il est difficile de connaître le nombre de personnes ayant pu être victimes de ces méthodes, que le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, a récemment qualifié d'« écoeurantes et anachroniques ». Il n’existe pas de données officielles et le manque d’incriminations spécifiques ne permet pas une remontée correcte des chiffres.

« Les seuls repères chiffrés qui existent actuellement viennent des témoignages que l’on reçoit » révèle Benoit. Si l'on se base sur les chiffres officiels de nos voisins, les chiffres sont assez parlants. En Angleterre, où vit actuellement Benoit, 7 % des personnes homosexuel.les ou bisexuel.les ont subi ou se sont vu.es proposer des thérapies de conversion. Ces chiffres doublent quand il s’agit de personnes transgenres. Il s’agit d’un phénomène de société qui n’a rien d’anecdotique : rien qu’à Paris, Benoit et son collectif ont identifié une vingtaine d’individus ou institutions religieuses et médicales qui proposent ou aiguillent vers ces pratiques. Le sujet reste encore méconnu, parfois au sein même de la communauté LGBTQ+.

 

D’OU VIENNENT CES THÉRAPIES DE CONVERSION ?

Les historiens estiment que les premières thérapies de conversion sont apparues dans les années 1950 aux États-Unis, à l’initiative d’organisations religieuses rigoristes avant de connaître une expansion rapide dans les années 1970 par le biais de l’Église évangélique nord-américaine.

C’est à ce moment que les médecins décrivent le terme « homosexualité » pour définir ce qu’ils estiment être une maladie cérébrale. Pour la « soigner », les médecins tentent de guérir la zone infectée du cerveau en pratiquant des lobotomies, des séries d'électrochocs, en administrant des vomitifs ou encore des injections de testostérone. Ces pratiques apparaissent en Europe à partir des années 1990, alors même que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Il faudra attendre 2019, près de 30 ans plus tard, pour que l'OMS fasse de même avec la transidentité.

 

LE COURAGE D’ÊTRE SOI-MÊME

Parmi les nombreuses organisations à l’initiative de ces prétendues thérapies de guérison que nous avons sollicitées, une seule a accepté de nous faire un bref commentaire. « Courage, n'a pas de programmes venant en aide aux personnes homosexuelles et n'a rien à voir avec ce que l'on appelle thérapies de conversion » dément succinctement P. Louis Marie, un représentant de Courage France. Cette institution catholique présente en France depuis 2014 s’inspire pourtant fortement de ce qui se fait aux Etats-Unis.

Desert Stream Living Water, présent en France sous le nom de Torrents de vie, un institut protestant évangélique ou encore Exodus internationale, qui a pourtant fermé ses portes en 2013 mais qui continue d’influencer Torrents de Vie, continuent de proposer des thérapies de conversion sur le sol français. Sur les sites Internet de ces organisations, jamais le terme « thérapie de conversion » n’est clairement affiché. On y suggère une « aide », un « accompagnement aux personnes qui le souhaitent », ou encore de « sortir de la honte et de la peur qui empêchent l’approche de Dieu en mettant des mots sur les maux ».

Leurs discours sont moins directs qu’aux États-Unis : les groupes ne disent pas explicitement que l’homosexualité est une maladie mais tout simplement qu’elle n’existe pas. Tout le monde serait naturellement hétérosexuel.le, seule une déviance pourrait rendre homosexuel.le. 

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    D & O, 2014
    Photographie de Robin Hammond

     

    QU’EN EST-IL EN EUROPE ET DANS LE MONDE ?

    Comme bien souvent en ce qui concerne la cause LGBTQ+ le phénomène est source de controverses dans de nombreux pays. Dans le monde, l’Équateur, le Brésil, certains États américains ou encore des pays moins progressistes en termes de droits pour les personnes LGBTQ+ comme la Chine interdisent déjà les thérapies de conversion.

    En 2018, le parlement Européen a voté une motion invitant les pays membres à légiférer contre ces thérapies de conversion. Pourtant, ces pratiques sont encore autorisées en Finlande, Italie, Belgique, Roumanie, Bulgarie, Grèce, au Luxembourg et en France. Malte a été l’un des premiers pays européens à les interdire. Ont suivi quelques provinces espagnoles. Plus récemment, l’Allemagne a interdit les thérapies de conversion principalement dans le but de protéger les mineurs.

    « Des mesures seront proposées pour remédier aux disparités raciales et ethniques et interdire les thérapies de conversion en Angleterre et aux Pays de Galles après consultation » a annoncé la reine d’Angleterre Élisabeth II le 11 mai dernier lors du discours de l’ouverture officielle du Parlement. Une annonce historique de la part de la monarchie britannique. Une consultation publique est prévue afin de s’assurer que les professionnels de santé puissent continuer d’aider les gens dans l’exploration de leur identité de genre, leur orientation sexuelle, sans prétendre pouvoir ou devoir la changer.

     

    « IL SERAIT GRAND TEMPS QUE NOTRE PAYS LÉGIFÈRE SUR CE SUJET »

    « Nous mesurons les bénéfices d’un délit spécifique qui écrirait noir sur blanc dans le code pénal l’interdiction des thérapies de conversion. Pour cette raison, la ministre Élisabeth Moreno y est favorable dès que le calendrier parlementaire le permettra » nous assure une source ministérielle.

    Une députée a quant à elle décidé de faire changer les choses rapidement. « Lorsque je tiens à quelque chose, je ne lâche pas » affirme Laurence Vanceunebrock, députée LREM. Depuis 2017, à force de recherches, de recensement de témoignages, de discours et d’interventions dans les médias, elle se bat pour faire interdire les thérapies de conversion. Le 23 mars dernier, elle a déposé une proposition de loi pour punir pénalement ces pratiques. « Il serait grand temps que notre pays légifère sur ce sujet » nous dit-elle avec conviction. Avant de poursuivre : « si un consensus se forme autour de ma proposition de loi dans l’hémicycle, je sais que les discussions pourraient aller très vite. En une journée, voire une demi-journée, ce texte pourrait être voté ».

    Le 11 mai dernier, la députée de l’Allier a interpelé Elisabeth Moreno, la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et l’Égalité des chances, à l’Assemblée nationale : « Pouvez-vous nous dire comment le gouvernement peut soutenir les victimes et condamner leurs bourreaux ? » 

    De fait, il existe un arsenal législatif permettant aux victimes de déposer plainte mais pas contre des thérapies de conversion. Les plaintes actuellement recevables concernent des violences volontaires, des abus de faiblesse, l’exercice illégal de la médecine, des propos homophobes ou du harcèlement.  Souvent les plaintes restent classées sans suite. « La proposition de Madame Elisabeth Borne de travailler avec le ministère de la Justice pour rééditer une circulaire invitant les services de la fonction publique à recevoir les victimes comme il se doit est nécessaire » souligne Laurence Vanceunebrock.

    « L’agenda parlementaire est particulièrement chargé entre la crise sanitaire, le plan de relance, la loi de bioéthique… nous n'avons donc, à l'heure actuelle, pas de date précise à vous communiquer » indique de son côté le ministère.

    Les associations et de nombreuses personnalités publiques ont récemment interpelé le gouvernement sur les réseaux sociaux pour faire interdire ces pratiques. Consciente de la lenteur du calendrier parlementaire, qui inclut l’examen du texte par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, Laurence Vanceunebrock est très réservée quant à la promulgation de cette loi avant la fin du mandat d’Emmanuel Macron. Elle recommande aux parents d'« accepter leurs enfants tels qu’ils sont et d'essayer de les comprendre. L’intérêt principal est celui de l’enfant et il faut l’accompagner dans ce qu’il est. »

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