Des glaciers aux forêts denses : l'Alaska en proie au changement climatique

Armé de croquis et de cartes, un scientifique reprend la plus longue étude de glacier. Découvrez l'évolution du paysage au fil du temps.

De Craig Welch
Publication 9 nov. 2017, 02:06 CET
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À l'époque où un scientifique avait commencé à étudier la région, au début du 20e siècle, le glacier John Hopkins occupait l'intégralité de ce fjord. On assiste aujourd'hui une étendue d'eau libre beaucoup plus importante.
PHOTOGRAPHIE DE Brian Buma

Ce n'est pas tous les jours que l'on voit un écologiste jouer les détectives d'une façon aussi audacieuse, feuilletant des documents jaunis du Midwest à la recherche de cartes dessinées à la main vieilles d'un siècle qui mèneraient dans les sous-bois denses peuplés de loups et d'ours bruns de l'Alaska. C'est pourtant le mode opératoire suivi par le scientifique Brian Buma pour remonter sur les traces d'une légende, le parrain de l'écologie moderne, tant reconnu dans son domaine qu'un prix de l'Ecological Society of America porte son nom.

Brian Buma, maître de conférences à l'université de l'Alaska du sud-est, était à la recherche de neuf minuscules parcelles de terre au cœur de l'immense étendue sauvage du parc national de Glacier Bay, en Alaska. Cartographiées pour la première fois par le botaniste William Skinner Cooper en 1916, ces parcelles de quelques mètres carrés étaient au centre de l'une des expériences scientifiques naturelles les plus longues portant sur l'un des endroits du pays les plus évolutifs.

William Skinner Cooper connaissait l'histoire riche du parc national de Glacier Bay, avait lu les journaux de bord du capitaine George Vancouver datant du 18e siècle, suivi les périples en canoë du naturaliste John Muir qui comparait la géologie du parc à celle de la vallée de Yosemite. Le botaniste avait insisté pour que cette région soit déclarée monument national, 55 ans avant qu'elle ne devienne parc national en 1980.

Toutefois, les parcelles secrètes où Cooper avait effectué des travaux révolutionnaires et qui apparaissent encore dans les manuels scolaires ont disparu au fil du temps. L'objectif de Brian Buma était de les retrouver.

L'été dernier, un siècle après les premières recherches de Cooper, Brian Buma a emporté quelques photos historiques, un détecteur de métaux et du gaz lacrymogène contre les ours. Avec la participation financière de National Geographic, il a trouvé les sites étudiés par Cooper. Ils lui servent désormais à repenser la façon surprenante dont les plantes évoluent face au changement climatique. Dans un article publié par l'Ecological Society of America en mai, il explique que le recul de la glace de la baie, l'un des plus rapides au monde, s'accompagne de nouveaux arbustes et de forêts qui poussent de façon plus complexe et moins uniforme que ce à quoi l'on pourrait s'attendre.

« On avait tendance à supposer que les groupements végétaux évoluaient de manière très ordonnée, qu'à chaque fois qu'on se rend dans une forêt millénaire, tout a poussé de la même manière », développe Brian Burma. « Or, il était impossible de tester cette hypothèse sans observer un paysage pendant une longue période. C'est précisément ce à quoi Cooper s'est essayé et ce que nous tentons aujourd'hui de relancer. »

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    Ces images illustrent la manière dont des parcelles précises ont considérablement évolué au fil des décennies.
    Courtesy Brian Buma

    À LA RECHERCHE D'UN ANCIEN MYSTÈRE

    Pour Brian Buma, tout a débuté à partir d'un mystère. La première observation de Glacier Bay par un non autochtone date de 1794, lors de la description par l'explorateur britannique Vancouver d'une parcelle de glace d'une largeur d'environ 32 kilomètres et d'une épaisseur de 1 200 mètres, un littoral « formé de solides et compactes montagnes de glace aux extrémités ». En 1879, lorsque Muir s'est rendu dans la région, espérant voir en temps réel les glaciers sculpter le paysage, la glace avait reculé de près de 80 kilomètres en raison du processus naturel.

    En 1916, ce fut au tour de Cooper de se rendre sur les lieux. Dans les décombres stériles situés sous la glace en fonte, il s'est servi de cartes dessinées par Vancouver pour le conduire à de petites parcelles pour suivre ce qui y poussait au fil du temps. Au cours des années puis des décennies, alors que les sols fertiles, les jeunes plants d'épinettes et les saules se déployaient, lui et ses étudiants ont remarqué le caractère aléatoire de ces nouveaux paysages, la manière dont chaque parcelle semblait différente des autres, au rythme des aléas et du hasard de la nature. À mesure qu'il vieillissait, ses étudiants ont repris le flambeau et ont rendu compte de façon détaillée de l'évolution de la région.

    « C'est ce que Cooper a reconnu aussitôt », affirme Lewis Sharman, écologiste au sein du parc. « Voici l'occasion de prolonger cette expérience sur le long terme et d'en apprendre davantage sur l'évolution de ce paysage au fil du temps. »

    Pour Brian Buma, « il a jeté les bases du réseau le plus long du monde basé sur l'évolution du terrain. Les informations tirées de ces parcelles forment notre compréhension de l'écologie. Ces éléments étaient fondamentaux. »

    Pourtant, au début des années 1990, ces parcelles avaient été laissées à l'abandon. La dernière personne à savoir où elles se trouvaient était morte. Ce célèbre paysage évoluait toujours, mais cet aperçu unique avait disparu.

    Brian Buma a donc parcouru les archives de l'université du Minnesota. Il a mis au jour les données originales de Cooper, dont d'anciennes photographies, des cahiers manuscrits de 1916 et des croquis de cartes. Les indications de Cooper ressemblaient à celles d'une carte de pirates : « Rendez-vous près du gros rocher, tournez 15 degrés au nord, faites 45 pas et vous arriverez devant un petit rocher ». Buma a pris en photo la moindre information.

    Il a marché jusqu'en Alaska et s'est rendu dans les confins les plus lointains du parc de Glacier en kayak. Évidemment, tout avait changé. Le Nord magnétique s'était déplacé. Les rochers avaient laissé la place à des pics de fer. Il a avancé péniblement à travers les saules, à la manière d'un parcours d'aventures pour enfants. « Il fallait parfois une heure pour parcourir 800 mètres ». Il a aperçu des ours et des loups.

    Mais il a également mis la main sur les parcelles de terre. Elles étaient pour le moins révélatrices.

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        Au cours de l'étude, la forêt s'est rapidement répandue dans cette région.
        Courtesy Brian Buma

        VERS UNE RÉÉCRITURE DES MANUELS SCOLAIRES ?

        Une des parcelles de terre était recouverte de saules de 2,50 mètres et de vieux arbres morts, formant un bosquet très dense au sol. À une vingtaine de mètres de là, un autre carré de terre, aujourd'hui à l'ombre sous la courbe d'une grande épinette, ne présentait plus que des aiguilles. Certaines sections peuplées de saules étaient identiques à ce qu'elles étaient il y a un siècle. D'autres faisaient désormais partie d'une forêt d'aulnes.

        « Aux yeux d'un novice, c'est fascinant. Cela prouve à quel point la nature peut être imprévisible », s'émerveille Brian Buma. « Les chances que des graines de saules tombent à un endroit précis et que d'autres graines se répandent à un autre endroit peut réellement faire la différence. C'est comme lancer un rocher ici et constater les effets un siècle plus tard. »

        Selon de nombreux livres d'écologie portant sur la succession végétale, « on obtient d'abord des herbes, puis des tapis de plantes, des buissons et enfin les premiers arbres successoraux », explique le scientifique. « De nombreux modèles se basent sur ces hypothèses », y compris ceux utilisés par les scientifiques afin de prédire les effets du changement climatique. Pour Buma, Cooper tendait à rejeter cette tendance qui consistait à s'appuyer essentiellement sur ces inférences, au profit d'observations directes.

        D'après de nombreux scientifiques, à mesure que les glaciers reculent et que les plantes se déplacent vers le nord et dans les hauteurs, les forêts risquent de se développer. Brian Buma affirme que cela pourrait s'avérer plus complexe. « Nous assistons rarement à ce cas de figure », poursuit-il. « Nous observons des saules et des arbustes prendre le dessus et monopoliser les terres. »

        Selon lui, il est impossible de tirer des conclusions pour l'ensemble du paysage à partir de si petites parcelles. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de leçon à en tirer. Les espèces réagiront différemment au changement climatique ; certaines espèces qui migrent vers le nord bloqueront les autres. « Ce sont généralement les plus petites qui freinent les plus grandes car elles peuvent se déplacer plus rapidement », déclare-t-il.

        Pour le dire d'une autre manière, « les modèles qui prédisent un processus ordonné peuvent faire preuve de naïveté ».

        Lewis Sharman se réjouit que Brian Buma souhaite poursuivre l'œuvre laissée par Cooper.

        « Cooper était un scientifique qui reconnaissait l'importance de la préservation du parc national de Glacier Bay, notamment pour contribuer à la science à l'avenir », explique Lewis Sharman. Il ajoute que la science figure explicitement au rang des missions du parc national. « Les parcs qui en font un objectif de manière explicite sont en réalité très rares. Cela nous vient directement de l'influence de Cooper. »

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