Brésil : l’effondrement du barrage minier de Brumadinho aurait pu être évité

Des spécialistes estiment qu’il est nécessaire que l’industrie brésilienne adopte de nouvelles technologies et fasse l’objet de contrôles plus stricts.

De Gabriel de Sá
Publication 31 janv. 2019, 10:27 CET
Les membres d’une équipe de secours recherchent des victimes le 28 janvier 2019, après l’effondrement à ...
Les membres d’une équipe de secours recherchent des victimes le 28 janvier 2019, après l’effondrement à Brumadinho, au Brésil, d’un barrage minier appartenant à la société minière brésilienne Vale SA.
PHOTOGRAPHIE DE Adriano Machado, Reuters

1 177 : c'est le nombre de jours qui séparent la rupture de la digue de résidus miniers du Fundão, à Mariana, de celle de la mine Córrego do Feijão, à Brumadinho. Toutes deux se sont produites dans la région métropolitaine du Belo Horizonte, dans le sud-est du Brésil. Lors de la première catastrophe de novembre 2015, une coulée de boue toxique libérée par la structure a provoqué la mort de 19 personnes, enseveli des villages et laissé des milliers de citoyens à la rue, avant d’atteindre la mer. À l’époque, elle était considérée comme l’une des plus grandes catastrophes socio-environnementales du pays dans le secteur minier.

Et puis, le 25 janvier 2019, à environ 125 kilomètres de Mariana, l’État du Minas Gerais a à nouveau été frappé par une tragédie. Si nous ignorons encore l'ensemble des conséquences de l’accident de Brumadinho, le dernier bilan, au moment de la rédaction de cet article, faisait état de 65 morts, victimes de la boue composée de résidus miniers entreposée dans le barrage 1 de la mine Córrego do Feijão, et d’environ 280 personnes portées disparues.

Selon des spécialistes environnementaux, l’effondrement de ces deux barrages, respectivement exploités par Samarco (co-entreprise de BHP Billinton et de Vale S.A) et Vale, aurait pu être évité. Des contrôles de l’État et une réglementation plus strictes, ainsi que la mise en place de technologies plus modernes pourraient transformer le secteur minier brésilien, rendant de telles catastrophes moins susceptibles de se produire, ont confié les spécialistes à la rédaction brésilienne de National Geographic.

À la suite de la catastrophe, Leonardo Ivo, président de l’Association des observateurs de l’environnement du Minas Gerais, s’est rendu à Brumadinho ces derniers jours. « Il est nécessaire de repenser cette pratique du stockage de boue », a-t-il déclaré.

D’après Andréa Zhouri, anthropologue et coordinatrice du Groupe d’études sur les questions environnementales à l’Université fédérale du Minas Gerais, les tragédies comme celle de Brumadinho ne sont pas « des catastrophes naturelles », mais des « échecs politico-institutionnels. » Les récentes mesures adoptées par l’État dans le but de simplifier le processus de délivrance de permis environnementaux et le contrôle des barrages sont, au moins en partie, responsables. « Au Brésil et dans le Minas Gerais, le minerai l’emporte sur tout et tout le monde », a confié le chercheur.

L’importance historique de l’activité minière dans l’économie de l’État et du pays est indéniable, souligne Andréa Zhouri, mais elle estime toutefois que l’aspect économique a été bien trop privilégié par rapport à la vie des citoyens et aux problèmes environnementaux. « Il n’est pas question de critiquer le minerai, mais plutôt le modèle économique d’exportation des produits miniers qui rend le pays dépendant tout en assujettissant de manière criminelle et irrationnelle la société et les territoires », confie-t-elle. L’anthropologue critique l’assouplissement des lois en faveur des sociétés minières, ainsi que les procédures institutionnelles qui mettent en œuvre la réglementation.

Maria Dalce Ricas, directrice de l’Association de défense de l’environnement, estime que Vale avait tellement confiance en la sûreté du barrage que les installations de la société étaient situées à proximité. Des bâtiments ont été détruits et des employés de la société figurent parmi les victimes de la catastrophe. « Ces barrages sont des bombes à retardement qui peuvent exploser à tout moment », a déclaré l’écologiste. « La majeure partie de ces barrages ne sont plus utilisés ; celui-ci aussi ne l’était plus et pourtant, il s’est effondré. »

 

UN MODÈLE DE BARRAGE DÉPASSÉ ET OBSOLÈTE

La cause de l’effondrement du barrage est toujours inconnue. Ces barrages miniers, aussi appelés digues de résidus, sont des structures retenant les déchets issus des mines, qui, pour des raisons environnementales, doivent être entreposés de façon adéquate. Contactée, la société Vale a refusé de faire tout commentaire, préférant s’en tenir à ses communiqués de presse, dans lesquels elle indique que le Barrage 1 de la mine Córrego do Feijão était inactif et faisait l’objet d’un projet de déclassement. Si l’on en croit ses déclarations, le barrage avait obtenu du TÜV SÜD do Brasil une Déclaration de condition de stabilité en juin et en septembre 2018.

« Il est inquiétant qu’une évaluation du barrage ait été effectuée par des institutions compétentes et des audits externes, et qu’aucun risque de rupture n’ait été relevé », indique Leonardo Ivo.

Construit en 1976 par la Ferteco Mineração, le barrage utilise la méthode du soulèvement en amont, qui, bien que courante, est la plus dangereuse selon les spécialistes. Elle correspond au processus par lequel le barrage se sert des résidus miniers pour soulever la boue par palier. À Mariana, le fonctionnement du barrage Fundão était identique. Selon le rapport de G1, 130 barrages de ce type existent dans le pays.

Andréa Zhouri estime que les barrages en amont devraient être interdits dans l’exploitation minière au Brésil. « Cette technique est dépassée et obsolète, et n’est utilisée que dans les pays en développement. Elle est dangereuse pour la population, mais est aussi la moins onéreuse », dit-elle. « Des alternatives existent, comme le confinement à sec. Vale dispose de cette technologie. L’État doit la demander. »

« Nous avons tiré peu de leçons de la tragédie de Mariana. La rupture du barrage du Fundão aurait dû grandement alerter », confie Maria Dalce Ricas. « Les mesures techniques qui garantissent la protection des populations, de la biodiversité et de l’environnement ne devraient pas être évitées en raison de leurs coûts. »

La menace d’un autre effondrement pourrait même être imminente : dimanche matin, on craignait la rupture du barrage IV, également situé dans la mine Córrego do Feijão. Vale a déclenché les sirènes de la région et les habitants ont dû quitter leur domicile. Toutefois, dans la journée, la société minière a indiqué que la défense civile avait abaissé le niveau de surveillance du barrage de 2 à 1. Les secours ont pu reprendre les opérations de recherche des disparus et les habitants sont rentrés chez eux.

 

LA LÉGISLATION ÉVOLUE

Après la tragédie qui a frappé Mariana en novembre 2015, une initiative populaire, coordonnée par le Ministère public du Minas Gerais, a recueilli plus de 56 000 signatures et a donné forme à la proposition de loi 3695/2016 baptisée « Plus jamais de mer de boue ».  Présentée à l’Assemblée législative de l’État, son principal objectif était de créer une législation spécifique relative à la sécurité des digues de résidus miniers.

Quatre points étaient considérés comme essentiels pour que la loi puisse changer l’industrie : le premier demandait l’interdiction du soulèvement en amont ; le second exigeait de prélever une caution avant le début des opérations afin d’aider à couvrir les dépenses en cas d’accident. Le troisième point souhaitait que la loi oblige les mines à prendre en considération la méthode de traitement des résidus à sec, plus sûre, et enfin, qu’il soit interdit de construire des barrages à proximité de ressources en eau publiques ou à moins de 10 kilomètres des habitations. Bien que cette proposition de loi bénéficiait du soutien du Ministère public, d’Ibama et des écologistes, elle a été remplacée par une autre, PL 3676/2016, plus vague, qui ne contenait aucun des quatre points mentionnés ci-dessus et devait permettre une plus grande pondération des critères économiques dans l’attribution des permis, indique Leonardo Ivo. Aucune de ces deux propositions de loi n’a été adoptée.

De surcroît, une loi relative à la délivrance de permis environnementaux adoptée à Minas Gerais en 2017 permet, dans certains cas, d’octroyer de façon simultanée trois permis, à savoir le permis préalable, le permis d’installation et celui d’exploitation. Mais comme le souligne Leonardo Ivo, la procédure peut être précipitée, ce qui augmente les risques d’accidents.

Vue aérienne d’une zone touchée par la coulée de boue provoquée par l’effondrement du barrage.
PHOTOGRAPHIE DE Mauro Pimentel, AFP, Getty

D’après la loi 15056/2007 de l’État qui régit la réglementation en matière de sécurité des barrages du Minas Gerais, en cas d’accident environnemental, les mesures d’urgence sont à la charge de l’entreprise, soit directement, soit sous la forme d’un remboursement auprès de l’État. Au niveau fédéral, la loi 12334/2010, ou Politique de sécurité nationale des barrages (PNSB), vise à garantir le respect des normes de sécurité des barrages. Toutefois, aucune de ces lois n’a pu éviter les tragédies de Mariana et de Brumadinho.

Andréa Zhouri estime que l’État brésilien a besoin de faire plus en matière de régulation de l’industrie minière. « L’exploitation minière doit être sujet à la société, et non l’inverse », dit-elle.

 

EXISTE-T-IL DES ALTERNATIVES VIABLES ?

Mais alors, quelles sont les alternatives aux digues de résidus miniers ?

Pour Maria Dalce Ricas, le problème est complexe et il n’existe pas de solutions simples. Elle souligne toutefois qu’il n’est plus acceptable d’entreposer de la boue en amont des communautés en raison du risque de rupture. Les cellules de drainage, dans lesquelles les déchets sont éliminés en piles pour sécher ; la transformation des déchets en matières premières destinées à la construction et le bocardage à sec figurent parmi les alternatives possibles. Elle précise que chaque technologie serait mise en œuvre pour un type particulier de résidus en fonction du minerai, et que leur viabilité devrait être étudiée pour chaque cas particulier.

Leonardo Ivo estime que les sociétés minières au Brésil devraient adopter le plus rapidement possible la technologie du traitement à sec. « Ils préfèrent prendre le risque qu’un effondrement se produise à cause du coût que cette technologie représente, mais des études démontrent que le traitement à sec n’engendrerait qu’une hausse des coûts de 20 %, ce qui est plausible pour une société minière », déclare-t-il. D’après lui, certaines sociétés ont déjà adopté le traitement à sec des résidus de minerai dans des villes comme Ouro Preto et Nova Lima.

Maria Dalce Ricas sait qu’il sera difficile pour le gouvernement de surveiller les centaines de barrages construits dans le pays et que même un processus d’octroi des permis plus strict ne résoudra pas forcément le problème. Selon elle, la réponse se trouve dans la technologie. « Un barrage doit toujours être la dernière option », conclut-elle.

 

Cet article a initialement paru sur le site natgeo.pt en langue portugaise.
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